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L’indépendance de l’avocat face au couvre-feu. Par David Guyon, Avocat.
Parution : lundi 22 mars 2021
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« Ce qu’il y a de meilleur dans l’avocat, c’est qu’il soit la quand il n’y a plus personne » disait Philippe Dumas. C’est parce que l’avocat, constitue parfois le dernier rempart face à l’injustice que le principe d’indépendance de cette profession est cardinale.

Sans cette indépendance, il n’y a pas de Justice !

Règlementer les horaires de fonctionnement des cabinets d’avocat porte atteinte à cette indépendance. Pourtant, par une ordonnance du 3 mars 2021 n°449764, ce n’est pas sur ce fondement qu’il a été mis fin à l’absence de dérogation au couvre-feu pour se rendre chez un auxiliaire de justice.

I- Genèse de l’affaire.

Alors que le décret du 29 octobre 2020 prévoyait au 7° de son article 4 une dérogation au confinement lorsqu’une personne avait besoin de se rendre chez son avocat, il n’en fut pas de même lors de l’instauration du couvre-feu.

En effet, ni le décret n°2020-1582 du 14 décembre 2020 ayant instauré un couvre-feu de 20h à 6h, ni le décret n°2021-31 du 15 janvier 2021 ayant instauré un couvre-feu de 18h à 6h, n’avaient reconduit cette exception.

Malgré cette situation, des préfets de département avaient accordé localement, à la demande des avocats, des dérogations au couvre-feu afin de recevoir leurs clients en leurs cabinets après l’heure fatidique.

Bien que la légalité de telles décisions n’étaient pas d’une très grande orthodoxie juridique, en raison de l’incompétence des préfets à pouvoir prendre des mesures de polices plus douces au niveau local que national, elles étaient relativement satisfaisantes au point que personne n’eut rien à y redire [1].

Cet équilibre fragile fut rompu lorsque le ministre de la Justice refusa officiellement lors de la conférence des bâtonniers le 29 janvier 2021 [2] d’accorder des dérogations aux cabinets d’avocats pour qu’ils puissent recevoir leurs clients au-delà de l’horaire du couvre-feu.

Rappelons que le ministre de la Justice n’est pas détenteur d’un pouvoir de police national ou local. Cependant, le garde des Sceaux, à qui l’on ne pourra pas reprocher son corporatisme, n’a fait que rappeler l’état du droit.

En effet, le décret du 29 octobre 2020, dans sa version au 14 décembre 2020 et au 15 janvier 2021 ne prévoyait pas à son article 4 de dérogation pour les cabinets d’avocats afin que ces derniers puissent recevoir leurs clients après 18h.

Cette affirmation du garde des Sceaux fut suffisante pour que le préfet de l’Hérault décide d’informer l’ordre des avocats du barreau de Montpellier que la dérogation accordée jusqu’à ce jour prenait fin.

Et voilà que le Gouvernement, adversaire permanent des recours dirigés par les avocats contre les mesures sanitaires, se retrouvent à fixer les horaires de fonctionnement de leurs cabinets !

Pour que le mal triomphe, il suffit que les gens de biens cessent d’agir. A chaque renoncement de liberté, d’une part, nous n’obtenons pas l’avantage sanitaire attendu, d’autre part, nous ne revenons jamais à l’état du droit initial. En cela on peut parler d’effet cliquet des libertés fondamentales [3].

Parce que les avocats sont le dernier rempart face à l’autoritarisme, il était important d’agir. En effet, et comme le rappelle la Cour EDH, les avocats se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique : la défense des justiciables. Par leur intervention ils permettent de rendre concret et effectif le droit à un procès équitable.

C’est dans ces conditions qu’une équipe d’avocats montpelliérains, déterminée à défendre les libertés fondamentales et notamment l’accès à l’avocat, ont travaillé d’arrache-pied.

Soutenu par l’ordre des avocats de Montpellier et de son bâtonnier, une requête sur le fondement des dispositions de l’article L521-2 du Code de justice administrative fut établie et déposée devant le Conseil d’Etat le 16 février 2021.
Par la voie du référé liberté, il était décidé de mettre fin à cette illégalité.
Face à cet engouement initié par le barreau de Montpellier, d’autres ordres et instances ordinales comme la Conférence des bâtonniers ou le Conseil national des barreaux sont intervenus volontairement à la procédure.

Le train de la défense des libertés fondamentales était en route avec pour locomotive le barreau de Montpellier.

II- L’intérêt juridique et pratique de la décision.

L’intérêt de cette décision est avant tout juridique. Le Conseil d’Etat rappelle et confirme des principes fondamentaux. D’autres auteurs ont parfaitement analysé la portée de cette décision [4]. Il s’agira donc de les rappeler rapidement.

L’ordre des avocats de Montpellier soutenait que l’absence de dérogation au couvre-feu pour se rendre chez un avocat portait une atteinte au droit à l’assistance effective d’un avocat dans un cadre qui assure la confidentialité des échanges tout en permettant au justiciable de présenter les éléments de sa situation.

Ce constat résultait de plusieurs points :
- Les horaires contraignants de travail qui empêche une partie de la population active de se rendre chez son avocat ;
- L’impossibilité matérielle pour une partie de la population de recourir aux nouveaux moyens de communication ;
- L’impossibilité matérielle d’assurer la confidentialité des échanges avec l’avocat notamment lorsqu’il s’agit d’un différend familial et que la téléconférence à lieu au domicile.

Le Conseil d’Etat, dans cette ordonnance du 3 mars 2021 n°449764 a quant à lui reconnu que le droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction implique de préserver un respect effectif des droits de la défense et du droit à un procès équitable.
Le droit à un procès équitable est une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L521-2 du Code de justice administrative.

Le droit à un recours effectif, le secret des échanges entre l’avocat et son client ainsi que les droits de la défense sont des conséquences du droit à un procès équitable.
Pour rappel ce droit est garanti par l’article 6 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Ce droit implique que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi.

Pour le Conseil d’Etat, la restriction querellée portait atteinte à cette liberté fondamentale pour deux raisons :
- La consultation à un avocat n’est pas possible d’une manière identique selon que le client est un particulier ou un professionnel, ce dernier pouvant bénéficier d’une dérogation au couvre-feu pour motif professionnel ;
- La téléconsultation n’est pas susceptible de permettre une parfaite confidentialité des échanges entre le client et son avocat, notamment en matière de différend de nature familiale ou personnelle.

Les avocats ont ainsi retrouvé le droit de recevoir leurs clients à leur cabinet après 18h, dans le respect des gestes barrières.

III- L’absence discutable de référence à l’indépendance de l’avocat.

Il est regrettable de noter que ce n’est qu’à travers le prisme du droit au procès équitable que l’avocat se retrouve ainsi, indirectement, protégé.
Alors que la garantie au procès équitable passe notamment par la garantie d’indépendance de l’avocat, il aurait été de bon aloi que ce principe cardinal de l’Etat de droit soit rappelé [5].
S’il est essentiel que les parties puissent avoir affaire à un tribunal indépendant, cette indépendance vaut également à l’égard des parties. En effet, il ne serait pas concevable qu’un avocat se voit fixer le contenu de ses conclusions ou bien les arguments qu’il ait en droit de soulever par l’autre partie. Dans une telle hypothèse, il serait évident qu’il n’y aurait aucune garantie au droit à un procès équitable.
En règlementant les horaires des cabinets d’avocat, le Gouvernement, qui est la partie adverse dans les procédures portant sur des contestations d’acte règlementaire, le cas d’école dépeint ci-dessus devient réalité.

En leur qualité d’auxiliaire de la justice, les avocats n’ont pas à voir les horaires de leurs cabinets réglementés.

Suspendre l’interdiction de recevoir du public après 18h00 dans les cabinets d’avocat dès lors que cela toucherait leur principe d’indépendance aurait eu le mérite de protéger la profession en sa qualité d’auxiliaire de la justice.

En effet, dans la présente affaire, cette suspension ne vaut qu’en tant que les deux motifs de cette décision sont en cause (problème de la téléconsultation et inégalité entre un professionnel et un consommateur).

Dans ces conditions une interdiction de recevoir du public qui ne rencontrerait pas les deux reproches précédents pourrait tout à fait être valable. Ainsi un couvre-feu à 20h pourrait tout à fait prévoir, que passé cette heure, les cabinets n’auraient plus le droit de recevoir leur clientèle.

Or, il ne revient pas au Gouvernement de fixer de manière unilatérale les horaires de fonctionnement des cabinets.

Il existe des régimes dans lesquels les avocats ne sont pas indépendants. Cependant il ne s’agit pas de démocraties. Dans une telle hypothèse où l’avocat n’a aucune indépendance, les justiciables n’ont véritablement plus personne.

David Guyon Avocat Barreau de Montpellier

[1Conseil d’Etat 18 avril 1902 n°04749 Commune de Néris-les-Bains.

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