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[Tribune] L’aliénation parentale : un syndrome qui dérange. Par Hélène Rouby Verneyre et Delphine Bivona, Avocates.
Parution : jeudi 25 mars 2021
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Quel avocat qui pratique le droit de la famille, n’a pas été confronté à une situation de rejet catégorique et violent - et ce sans aucune raison objective - par un enfant de l’un de ses deux parents ?
Quel avocat ne s’est pas trouvé alors démuni ?
Après avoir attentivement analysé ces situations, nous avons acquis la conviction que seul le syndrome d’aliénation parentale (SAP) permettait d’expliquer ces rejets irrationnels.

Nous soutenons donc systématiquement dans des cas caractéristiques devant les juridictions compétentes la possible existence d’un SAP.

Ce syndrome a été défini dès les années 80 par le psychiatre américain Richard Gardner.

Ce médecin indique qu’il se manifeste par

« une campagne de dénigrement injustifié menée par l’enfant contre un parent. Cette situation résulte de l’endoctrinement d’un enfant par un parent …  »

Il relève l’existence de huit critères caractéristiques :
- dénigrement par l’enfant de l’un de ses parents ;
- absence de pertinence des arguments étayant le dénigrement ;
- absence totale d’ambivalence chez l’enfant dans son entreprise de dénigrement du parent rejeté ;
- affirmation par l’enfant de ce que ce rejet est le résultat de sa réflexion personnelle ;
- soutien intentionnel par l’enfant du parent favori dans le conflit parental ;
- absence de culpabilité de l’enfant envers le parent ciblé ;
- discours de l’enfant calqué sur celui du parent favori ;
- dénigrement par l’enfant non seulement du parent rejeté mais aussi de l’entourage de ce dernier (famille et amis).

Richard Gardner définit également trois stades de gravité : léger, modéré et sévère dans l’objectif d’aider à mettre en œuvre une prise en charge adaptée en fonction du degré de gravité constaté.

Plus récemment, le psychiatre français Paul Bensussan, expert agréé par la Cour de cassation, l’a décrit comme

« toute situation dans laquelle un enfant rejette un parent de façon injustifiée à tout le moins non explicable par la qualité antérieure de la relation ».

Il est par ailleurs maintenant admis que le parent aliénant utilise différentes stratégies conscientes ou parfois même inconscientes pour aboutir au résultat attendu : le rejet par l’enfant du parent aliéné.

Ce syndrome d’aliénation parentale a également été reconnu tant par la Cour européenne des droits de l’homme dès 2007 que par la Cour de cassation en 2013 .

La haute juridiction a en effet relevé que :

« La Cour d’appel (… ) a procédé à une appréciation souveraine des éléments qui lui étaient soumis pour décider que le syndrome d’aliénation parentale qui s’était installé dans la vie de l’enfant conduisait à transférer sa résidence chez son père (…) ».

Toutefois on ne peut que déplorer que bien qu’admis par des psychiatres de renom et par la juridiction suprême, la reconnaissance du SAP se heurte fréquemment au scepticisme des différents acteurs judiciaires.

Plusieurs causes sont susceptibles d’expliquer ces réticences :
- Tout d’abord, le terme aliénation fait peur parce qu’il fait immédiatement penser aux asiles d’aliénés du passé dans lesquels « les fous » vivaient reclus.
En réalité la dénomination d’aliénation parentale a été choisie en raison de son sens étymologique latin : « alienus : rendre étranger ». En l’espèce, l’enfant considère l’un de ses parents comme un étranger voire un ennemi ;
- De même, les différents intervenants socio-judiciaires peuvent avoir le sentiment que le parent écarté invoquant le SAP est en fait incapable de se remettre en cause. Il lui est ainsi, en quelque sorte, fait grief d’imputer à l’autre parent la responsabilité de l’hostilité de l’enfant à son encontre ;
- Les professionnels concernés peuvent également être mal à l’aise à l’idée de ne pas prendre en compte la parole de l’enfant ce qui reviendrait d’une certaine façon à la nier alors qu’elle a pu être sacralisée du moins par le passé ;
- La réticence des magistrats envers le SAP peut enfin s’expliquer par le fait qu’il n’est pas toujours invoqué de bonne foi. En effet, ils peuvent craindre que les parents accusés de désintérêt ou de maltraitance, ne l’utilisent comme moyen de défense à ces accusations.

Et pourtant nous ne devons pas nous laisser décourager par le scepticisme ambiant et devons soutenir l’existence de ce syndrome lorsque cela a lieu d’être.

Il est impératif de continuer à invoquer le SAP lorsqu’un parent est injustement rejeté par son enfant.

En outre, pour éviter qu’une situation irréversible ne s’installe, il faut agir le plus rapidement possible.

Plusieurs options sont à la disposition du parent ostracisé. Le choix à faire est naturellement fonction de la situation de fait et de droit existante.

Précisons que suivant les cas, peuvent être saisis cumulativement ou alternativement : le juge aux affaires familiales, le juge des enfants ou encore le juge pénal.

Il convient de rassembler le maximum de preuves de nature à convaincre la juridiction en charge du dossier de l’existence de l’aliénation parentale.

Des mesures d’investigations judiciaires pourront de surcroît être sollicitées pour confirmer son existence.

Une fois le juge convaincu de l’aliénation parentale, de nombreux outils sont à sa disposition pour mettre en place des solutions efficaces en fonction du stade de gravité du syndrome et de la juridiction saisie :

Devant le juge aux affaires familiales :
- mise en place d’une médiation ;
- respect des modalités du droit de visite et d’hébergement sous astreinte ;
- condamnation du paiement d’une amende civile d’un montant maximum de 10 000 euros ;
- fixation ou modification des modalités d’exercice de l’autorité parentale.

Devant le juge des enfants :
- mise en place de mesures d’assistance éducative

Devant le juge pénal :
- poursuite du chef de non-représentation d’enfant avec possibilité de solliciter un ajournement du prononcé de la peine ou condamnation pénale assortie d’un sursis probatoire…

Si, comme on l’a bien compris, il est difficile de faire admettre par les juges l’existence du syndrome d’aliénation parentale, il est cependant certain que plus il sera diagnostiqué et pris en charge précocement, plus ses effets parfois dévastateurs auront des chances d’être neutralisés.

Il faut d’autant moins baisser les bras que certains pays dont notamment l’Allemagne admettent plus facilement que la France le SAP et proposent un véritable accompagnement adapté des familles dont le résultat est très encourageant.

Tous les espoirs sont donc permis pour que les institutions médico-judiciaires parviennent en France à une prise en charge spécifique et appropriée.


Avertissement de la Rédaction du Village de la Justice :
Le concept du "Syndrome d’aliénation parentale" fait l’objet de controverses. Il ne fait à ce jour l’objet d’aucun fondement scientifique - mais à l’inverse il n’est pas interdit et est utilisé dans de nombreux dossiers juridiques.
L’expression et l’usage du concept sont fortement déconseillés au niveau européen (https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0406_FR.html), étudiée au niveau français avec une note d’information mise en ligne sur le site intranet de la direction des affaires civiles et du Sceau du ministère de la Justice pour informer les magistrats du caractère controversé et non reconnu du syndrome d’aliénation parentale). Note introuvable à notre connaissance (voir à ce sujet : https://www.senat.fr/questions/base/2017/qSEQ171202674.html ).
Les enjeux sont multiples et nous semblent devoir être tranchés par une autorité publique.
Dans l’attente de clarification, nous vous invitons à prendre avec grandes précautions cette expression qui est ici employée sous la seule responsabilité de l’auteur.

Delphine BIVONA et Hélène ROUBY-VERNEYRE [->d.bivona@bivona-avocats.fr] [->roubyverneyre@gmail.com]