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Réduire les délais de jugement des affaires civiles et le stock de dossiers non jugés. Par Benoit Henry, Avocat.
Parution : lundi 12 avril 2021
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Monsieur le Garde des Sceaux fait le « pari » de réduire les délais de jugement.

Il veut apurer le stock considérable de dossiers non jugés, accumulé notamment pendant le premier confinement, et réduire ainsi les délais de jugement des affaires civiles.
Il a annoncé avoir installé un groupe de travail pour accélérer le rythme des jugements.
Quel est l’objet du groupe de travail ?
Quelles sont les pistes de réflexion ?
Article actualisé par son auteur en février 2024.

I - L’objet du groupe de travail.

1°- Opération de déstockage.

Le groupe de travail, présidé par Peimane Ghaleh-Marzban, Président du Tribunal judiciaire de Bobigny et ancien Directeur des Services Judiciaires au Ministère de la Justice, devra rendre ses conclusions fin mars.

Le groupe est composé de 19 autres membres, magistrats, fonctionnaires de greffe et bâtonniers

Le Garde des Sceaux a dit attendre « des propositions concrètes et innovantes, voire très innovantes, peut-être même disruptives » pour « soutenir la réalisation du plan d’apurement des stocks », « un grand plan de déstockage ».

« C’est un pari », a souligné Eric Dupond-Moretti lors d’un point presse, « un pari qui peut encore renforcer les liens entre magistrats et avocats ».

Le stock de dossiers non jugés dans les juridictions s’est considérablement alourdi en 2020 avec la crise sanitaire et après plus de deux mois d’une grève massive des avocats contre la réforme des retraites.

Lors du premier confinement au printemps, toutes les affaires non prioritaires ont été reportées, avec pour conséquence le renvoi de milliers d’audiences à des dates ultérieures.

Et si « le service public de la justice a été maintenu » lors du second confinement à l’automne, cette « période n’a pas permis de résorber les affaires anciennes », a concédé le garde des Sceaux.

2°- Des délais de jugement toujours plus longs.

Les tribunaux judiciaires ont vu à l’automne 2020 leur stock d’affaires civiles augmenter de « près de 43 000 affaires » par rapport à la fin de l’année 2019, et de « 19 000 affaires » en matière correctionnelle, a détaillé le ministre.

Le nombre d’affaires en attente s’est accru de « près de 10 000 dossiers » dans les tribunaux de proximité, et de « près de 15 000 » dans les juridictions prud’homales, ajoute-t-il.

« Pour les citoyens, ces stocks se traduisent par des délais de jugement toujours plus longs », a déploré Eric Dupond-Moretti.

L’ambition est de restaurer la confiance des citoyens dans la justice en la rendant plus accessible, plus lisible et plus efficace.

Le dernier sondage réalisé sur la perception qu’ont les Français de la justice révèle en effet que 80% d’entre eux la considère trop complexe, 60% l’estimant inefficace.

« Aujourd’hui pour l’écrasante majorité de nos concitoyens qui deviennent par contrainte parfois des justiciables - 4 millions de Français qui vont dans des palais de justice chaque année -, la justice est trop complexe et n’est pas simple, et elle n’est pas rapide, donc mon souci c’est de faire que la qualité du service soit à la hauteur des attentes », par une meilleure utilisation des moyens.

II- Les pistes de réflexion du groupe de travail.

Le groupe de travail se met à l’ouvrage et lance une nouvelle réflexion, en collaboration de 19 aux autres membres, magistrats, fonctionnaires de greffe et bâtonniers aux fins de présenter au ministère de la justice un état des lieux, quelques propositions de réformes, ainsi que plusieurs recommandations.

Parmi les pistes de réflexion du groupe de travail, figurent la possibilité d’adapter les règles générales du procès civil :
- L’objet du litige,
- Les modes de preuves,
- Le principe du contradictoire,
- La comparution,
- La compétence matérielle des juridictions civiles,
- La compétence territoriale des juridictions civiles,
- Les différents modes de saisine,
- La représentation par avocat,
- Les procédures urgentes,
- Les procédures à jour fixe,
- Les procédures accélérées au fond…

Parmi les pistes de réflexion du groupe de travail, figure la possibilité pour les avocats de participer à des audiences collégiales aux côtés des magistrats, « comme le Code de l’organisation judiciaire peut déjà le permettre à de très rares occasions », a relevé le Garde des Sceaux.

Cet élargissement de la participation des avocats à l’activité juridictionnelle imposerait des modifications législatives, selon la Chancellerie.

« Je ne m’interdis rien. (...) Ce que je veux, c’est qu’on déstocke, que les délais de jugement soient réduits », affirme Eric Dupond-Moretti.

Parmi les autres pistes de réflexion du groupe de travail, figurent la possibilité de traitement de certaines démarches simplifiées.

Il s’agit des « mesures sur lesquelles on se dispense de l’appel au juge pour permettre au juge de se recentrer sur ce qui est son métier, le litige, le fait de trancher des difficultés par l’application de la règle de droit ».

« Les juges se concentrent sur les dossiers où il y a du contentieux pour protéger ceux qui ont besoin d’être protégés et éviter la lenteur du processus et des temps de décision pouvant atteindre presque 3 ans par exemple à Bobigny, presque 2 ans dans les juridictions comme Lyon ».

Il s’agit de réduire les délais d’attentes parfois très longs.

Le traitement de certaines démarches simplifiées est par ailleurs privilégié : l’enregistrement des PACS et changements de prénoms sont confiés aux officiers de l’état civil, la procédure de surendettement est simplifiée.

La réflexion en gestation semble cependant achopper sur certaines simplifications de la procédure.

C’est le cas de la saisie immobilière, sans intervention judiciaire.

Il vise, notamment à permettre (sous certaines conditions) d’autoriser la saisie par l’huissier et de faire enregistrer l’acte par le notaire.

III- Le décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile.

Annoncé depuis des mois par la Chancellerie, le décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile a finalement été publié au Journal officiel du 31 décembre 2023.

Le texte restructure la sous-section 1 de la section I du chapitre Ier du sous-titre Ier du titre VI du livre II du Code de procédure civile relative à la procédure ordinaire avec représentation obligatoire devant la cour d’appel.

Il opère un partage clair entre les dispositions qui relèvent de la procédure à bref délai et celles qui relèvent de la procédure avec mise en état.

Il procède en outre à l’autonomisation des dispositions relatives à la procédure d’appel en supprimant notamment les renvois aux dispositions applicables au tribunal judiciaire.

Il clarifie le contenu de la déclaration d’appel et assouplit le formalisme de l’appel en permettant l’extension du périmètre de l’effet dévolutif dans les premières conclusions.

Il augmente à deux mois les délais pour conclure dans la procédure à bref délai et permet l’augmentation par le magistrat compétent de l’ensemble des délais pour conclure dans les procédures avec mise en état et à bref délai.

Il définit les pouvoirs du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président dans la procédure à bref délai et clarifie ceux du conseiller de la mise en état.

Il crée une invitation systématique des parties à conclure une convention de procédure participative aux fins de mise en état en appel.

Il redéfinit le périmètre de l’effet dévolutif de l’appel en supprimant le critère de l’indivisibilité de l’objet du litige.

Enfin, il effectue diverses coordinations dans le Code des procédures civiles d’exécution, dans le Code de commerce et dans de le Code de la consommation.

Il entrera en vigueur le 1er septembre 2024, et sera applicable aux instances d’appel et aux instances consécutives à un renvoi après cassation introduites à compter de cette date.

IV- La promotion des règlements amiables.

La Médiation, l’un des modes de règlement des différends, en remplacement d’une procédure judiciaire (ou en cours de procédure), mérite toute notre attention tant elle peut être efficace et satisfaisante pour les parties.

Aujourd’hui elle est devenue dans le Code de Procédure Civile un mode à part entière de règlement des différends.

Les intérêts d’une médiation, ne sont plus à démontrer.

Elle présente l’immense avantage de laisser aux parties (appelées médiés) le choix de leur propre solution plutôt que de confier à un tiers (juge, arbitre ou autre), le soin de décider pour eux.

Solution que les médiés rechercheront et trouveront ensemble, accompagnés et guidés pour ce faire par le médiateur, après qu’il les ait aidés à renouer le dialogue.

Mais encore faut-il ensuite que l’accord trouvé en médiation puisse avoir une valeur réelle et reconnue.
Le médiateur peut-il rédiger lui-même l’accord final ?
Le médiateur peut-il signer l’accord final ?
Pour autant, encore faut-il s’assurer que l’accord trouvé soit respecté.

A l’issue de la médiation, si les parties tombent d’accord, elles le formalisent ; il s’agit de « l’accord de médiation ».

Il est, la plupart du temps, matérialisé par un écrit : « un accord de médiation ».

Le rôle du médiateur est de guider les médiés vers un accord possible.

Le Médiateur ne rédigera pas lui-même cet accord.

Son rôle réside dans l’accompagnement des parties tout au long du processus.

Il est là pour permettre aux médiés de renouer le dialogue lorsque c’est nécessaire pour les aider à s’entendre et se comprendre, les guidant, se faisant, vers un accord possible.

Le médiateur doit être certain que les parties ont bien le droit de s’obliger ou de renoncer ainsi.

Or, elles n’en ont pas toujours le droit.

« L’accord de médiation » ne peut porter atteinte à des droits dont elles n’ont pas libre disposition.

La loi ne donne donc à aucun moment l’autorité suffisante au médiateur pour rédiger l’accord.

La loi ne donne donc à aucun moment l’autorité suffisante au médiateur pour signer l’accord.

Il ne rédige pas l’accord mais il donne aux médiés des éléments pour qu’ils rédigent eux-mêmes avec l’aide de leur avocat.

Selon les cas, il va être communiqué aux médiés la synthèse des notes prises en séance ou un résumé

En revanche, il ne parait pas pouvoir établir de « procès-verbal de médiation » ou de « constat d’accord de médiation » écrit après un accord, un désaccord, une délibération.

La loi limite strictement les personnes habilitées à rédiger « l’accord de médiation « cet acte sous seing privé.

Les avocats ont un monopole pour assister ou représenter les parties et un quasi-monopole pour les activités de consultation juridique et de rédaction des actes sous seing privés.

Rédiger un contrat dans un contexte conflictuel n’est pas une chose simple.

Les parties vont faire des concessions, assumer des obligations nouvelles, renoncer à exercer certains droits.

Ils doivent rédiger le contrat avec un contenu juridique qui est un accord de volonté entre les parties destiné à modifier, transmettre ou éteindre des obligations.

S’il n’y a pas d’obligations réciproques, il n’y a pas de contrat, il n’y a pas d’acte produisant des effets juridiques.

Il me semble important de rappeler que la transaction n’est valable que s’il existe des concessions et que ces concessions ont un caractère réel ; appréciation particulièrement délicate comme en témoigne encore un arrêt de septembre 2023 de la Cour de cassation.

Il me semble donc prudent de nommer l’écrit formalisant l’accord « accord de médiation » et surtout pas transaction ; à charge pour les avocats assistant les médiés de rédiger juridiquement cet accord.

Le rôle du Juge.

Quelle force donner à l’accord de médiation : cet accord s’impose à ses signataires qui sont tenus de le respecter.

Dans un procès le jugement est la solution retenue par le juge et non celle des parties, si bien qu’il est peu probable qu’elles s’exécutent spontanément.

Les décisions de justice sont donc, de façon générale, assorties de la force exécutoire ; chaque partie peut ainsi contraindre l’autre à respecter et exécuter les termes d’un jugement (ou arrêt).

En médiation les parties (que l’on nomme les médiés) sont maîtres du processus et de la solution qu’ils apporteront à leur différend.

Grâce au processus structuré de cette mesure et avec l’aide et l’assistance du médiateur, ce sont les médiés eux-mêmes qui vont créer, imaginer, la solution à leur différend ; une solution qui emportera ainsi leur pleine approbation puisqu’ils en seront les co-auteurs.

C’est là le propre et la force de la médiation.

Dès lors, l’on peut penser qu’il n’est pas utile que cet accord soit revêtu d’une force obligatoire ou exécutoire comme c’est le cas pour une décision de justice qui leur est imposée sans concertation.

Les accords de médiation ne sont que très rarement non respectés spontanément, contrairement aux décisions de justice.

A tout moment, les parties peuvent soumettre à l’homologation du juge l’accord issu de la médiation.

Cette homologation par un tribunal est toujours facultative.

Elle peut se faire, qu’il s’agisse d’une mesure de médiation judiciaire ou conventionnelle.

Le juge contrôlera ensuite sa régularité et la conformité de l’accord à l’intérêt des parties.

L’accord doit donc revêtir la force obligatoire pour s’imposer aux parties.

L’homologation peut plus concrètement, poser un problème de confidentialité.

L’accord de médiation, tout comme les échanges durant tout le process, sont par principe soumis à une stricte confidentialité.

Or, l’homologation suppose que l’on communique au juge le contenu de l’accord trouvé, qui ne sera ainsi plus tout à fait confidentiel.

Le seul effet de l’homologation est de donner à l’accord force exécutoire.

Mais l’accord (même issu de médiation) est un simple contrat qui a force obligatoire (et non « exécutoire »).

Les parties ne peuvent pas le faire exécuter mais elles peuvent saisir les tribunaux en action « exceptio non adimpleti contractus » c’est à dire d’une action en inexécution d’un contrat.

Le tribunal, s’il constate qu’une des parties n’a pas respecté son obligation contractuelle, peut la condamner à payer des dommages-intérêts à l’autre partie.

Pour cela il est évident qu’il faut produire l’accord.

Les parties ne disent pas au juge comment elles y sont arrivées, ce qui est confidentiel mais elles demandent seulement l’exécution du contenu de l’accord.

Je note d’ailleurs que la confidentialité est levée pour des question d’exécution de l’accord.

L’homologation est donc une exception au principe de confidentialité.

Enfin, au-delà de l’adaptation des règles générales du procès civil et de la possibilité de traitement de certaines démarches simplifiées, la commission créée par le Garde des Sceaux doit s’attaquer à la résorption du Stock, par la médiation et la conciliation.

Parmi les pistes de réflexion du groupe de travail, figurent la possibilité de l’extension des modes amiables de règlement des différends dans la procédure judiciaire.

Pour ce faire, le groupe de travail peut désormais s’appuyer sur la publication du rapport de la Cour d’Appel de Paris pour la promotion et l’encadrement des MARD dont l’objectif est de développer la culture des modes amiables de règlement des litiges et de renforcer l’institutionnalisation de la médiation et de la conciliation dans les juridictions et de clarifier le régime de la médiation et de la conciliation judiciaires.

Les chances d’obtenir un accord pour la médiation sont beaucoup plus importantes quand la proposition est faite par un médiateur et plus précisément le médiateur dont les parties savent qu’il interviendra par la suite, car cette prise de contact est l’occasion de créer le climat de confiance indispensable pour consentir à une médiation.

Selon moi, les objectifs doivent être les suivants :
- Améliorer la communication sur la médiation dans sa forme, dans sa durée, dans la disponibilité de ses acteurs ;
- Alléger au maximum le travail du juge et du greffier ;
- Supprimer un maximum de contraintes à la médiation ;

(De ce point de vue, la réglementation de la médiation administrative qui fait confiance au juge et au médiateur paraît être beaucoup plus adaptée que la réglementation judiciaire).

Références :
Promotion et encadrement des MARD
Publication du rapport de la Cour d’Appel de Paris
D. n° 2023-1391, 29 déc. 2023, portant simplification de la procédure d’appel en matière civile : JO, 31 déc. 2023
Médiation : acte sous seing privé d’avocat : refus de lui conférer la force exécutoire. Par Benoit Henry, Avocat.

Benoit HENRY, Avocat [->http://www.reseau-recamier.fr/] Président du Réseau RECAMIER Membre de GEMME-MEDIATION https://www.facebook.com/ReseauRecamier/
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