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Le sort des clauses attributives de compétence en matière de réseaux sociaux. Par Jonathan Elkaim, Avocat.
Parution : mardi 30 mars 2021
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La plupart des praticiens ayant été confrontés à des problématiques impliquant des réseaux sociaux ou des sites communautaires le savent : il est bien souvent ardu de surmonter les obstacles juridiques que ces derniers opposent à tout utilisateur de leurs services.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, chambre 4, 6 janvier 2021 n°20/08857.

L’un d’entre eux, et certainement le plus connu, reste celui de la clause attributive de compétence au profit de la juridiction où la société exploitante a son siège.

Très souvent située aux Etats-Unis, à l’abri des regards du juge Français, la société concernée reste difficilement atteignable empêchant, sinon décourageant, les justiciables dans leur initiative d’exercer une action judiciaire à son encontre.

Les plus résilients d’entre eux ont néanmoins pu obtenir la mise à l’écart d’une telle clause, sur le fondement du « déséquilibre significatif », présidant à la qualification de la clause abusive.

La Cour d’appel de Paris a déjà eu l’occasion de relever que la clause attributive de compétence contenue dans les conditions générales de la société Facebook obligeait l’utilisateur

« à saisir une juridiction particulièrement lointaine et à engager des frais sans aucune proportion avec l’enjeu économique du contrat souscrit pour des besoins personnels ou familiaux ; que les difficultés pratiques et le coût d’accès aux juridictions californiennes sont de nature à dissuader le consommateur d’exercer toute action devant les juridictions concernant l’application du contrat et à le priver de tout recours à l’encontre de la société Facebook Inc » [1].

Cette décision, pleine de bon sens, souffrait néanmoins d’un défaut pratique puisqu’elle ne s’appliquait qu’au consommateur ou au non-professionnel.

En ce début d’année 2021, la Cour d’appel a cette fois procédé à la mise à l’écart d’une telle clause au profit d’une société ayant ouvert un compte sur un site communautaire, dès lors qu’elle n’a pu en prendre connaissance et ainsi accepter les conditions générales de l’exploitant du site en cause.

1. Les faits.

La société de droit américain Tripadvisor LLC [2], permet à chaque internaute de publier et de partager un avis sur des professionnels du tourisme tandis que sa filiale française, la société Tripadvisor France, a pour objet la réalisation de prestations de marketing et promotionnelles à destination du marché français.

Une société dénommée Viaticum, exploitant notamment un site internet« Bourse des vols » [3] dont l’objet est la recherche et la réservation de billets d’avions en ligne reprochait notamment aux sociétés Tripadvisor France et Tripadvisor LLC de détourner sa clientèle en éditant un forum de discussion dénommé « Bourse des vols » sur lequel des commentaires négatifs à l’égard du site bourse-des-vols apparaissent,

« facilement accessibles par une recherche ’BDV’ dans le moteur de recherche Google et alors que le site Tripadvisor permet d’avoir accès à une rubrique ’vol’ de réservation en ligne concurrente ».

La société Viaticum a sollicité à plusieurs reprises la suppression des commentaires litigieux auprès de la société Tripadvisor France sans succès, la contraignant à l’assigner aux côtés de la société Tripadvisor LLC devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins d’obtenir leur condamnation « à supprimer sous astreinte, la discussion sur la période de janvier 2016 à novembre 2017 dénigrante intitulée "Bourse des vols - Forum de voyage sur transport aérien - Tripadvisor" » ainsi qu’à des dommages et intérêts sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire.

Les sociétés Tripadvisor France et Tripadvisor LLC ont alors soulevé, in limine litis, une exception d’incompétence du Tribunal de commerce de Paris au profit des juridictions de l’Etat du Massachusetts aux Etats-Unis d’Amérique en application d’une clause attributive de compétence.

Cette exception fut néanmoins rejetée par les premiers juges lesquels ont estimé que la clause attributive de juridiction stipulée dans les conditions générales d’utilisation du site tripadvisor est nulle, faute d’être « très apparente ».

Une interprétation que la Cour fera sienne à la suite de l’appel interjeté par les sociétés Tripadvisor.

2. Sur l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris.

Dans les faits soumis à l’appréciation de la Cour, une clause des conditions générales d’utilisation du site internet dans leur version de 2013, année durant laquelle la société Viaticum avait procédé à l’ouverture de son compte sur le site internet de la société Tripadvisor, devait être analysée.

Cette clause relative à la compétence de juridiction stipulait que :

« Le Site, (à l’exclusion des liens vers des sites tiers), est contrôlé par TripAdvisor LLC et exploité par TripAdvisor LLC depuis ses bureaux situés à Needham, Massachusetts, États-Unis et à ses alentours. Par sa mise en ligne du Site et votre utilisation de celui-ci, TripAdvisor et vous-même convenez de manière explicite que tout litige, toute réclamation ou autre problèmes engendrés par l’utilisation que vous faites du Site, ou s’y rapportant, seront régis par les lois du Commonwealth de l’Etat du Massachusetts, Etats-Unis d’Amérique, à l’exclusion de ses règles de conflits de lois. Vous acceptez que toutes réclamations que vous pourriez avoir contre TripAdvisor découlant du fonctionnement ou de l’utilisation du Site, ou s’y rapportant, soient portées devant les tribunaux compétents du Massachusetts pour résolution, sauf dans le cas où des dispositions applicables dans votre pays de résidence exigeraient l’application d’autres règles ou une autre attribution de compétence juridictionnelle, et que de telles dispositions ne puissent être écartées par contrat ».

Ainsi, et à raison de la souscription réalisée en toute connaissance de cause par la société Viaticum aux conditions générales d’utilisation du site internet, les sociétés Tripadvisor, les sociétés éponymes soutenaient que l’intimée avait consentie à la clause attributive de juridiction précitée.

Dès lors, et selon les sociétés Tripadvisor, la clause invoquée était opposable à la société Viaticum dès lors qu’elle en a eu connaissance et qu’elle l’a acceptée au moment de la conclusion de ses conditions générales d’utilisation.

Pour autant, la société intimée contestait toute prise de connaissance desdites conditions générales d’utilisation et tout consentement à celles-ci au moment de la création de son compte en 2013.

Afin de justifier de cette acceptation par la société intimée, les sociétés Tripadvisor versaient aux débats des captures d’écran de la procédure d’inscription à laquelle est invité chaque utilisateur du site Tripadvisor, laquelle faisait apparaître une mention indiquant qu’« En continuant à utiliser le site, vous indiquez que vous acceptez notre charte de confidentialité et nos conditions d’utilisation », puis lors de la confirmation, indiquant qu’« En cliquant sur confirmer, vous acceptez nos conditions d’utilisation ».

Pour autant, la société intimée contestait une telle description dès lors que celle-ci n’était pas mise en œuvre au moment de la création de son compte utilisateur.

La Cour d’appel procède à un constat similaire, dès lors que la procédure décrite par les sociétés Tripadvisor ne disposait d’aucune date certaine et

« et qu’aucun élément n’est apporté par ces dernières permettant de confirmer que cette procédure était bien celle soumise au processus de création d’un compte utilisateur en 2013, et à défaut de quelle manière les CGU 2013 était mise à disposition sur le site ».

Ainsi, la Cour remarque que la clause litigieuse des conditions générales laissait sous-entendre que la simple utilisation du site suffisait à présumer l’acceptation de celles-ci.

Or, les sociétés Tripavisor ne démontraient pas qu’au moment de la création du compte utilisateur de l’initimé, la société Viaticum, fusse-t-elle un professionnel des services sur internet, avait eu connaissance des conditions générales d’utilisation datant de 2013 et qu’elle en avaient accepté le contenu.

Ce défaut de preuve suffit à lui seul à écarter l’opposabilité de la clause attributive de juridiction à l’endroit de la société intimée.

3. Les enseignements pratiques d’une telle décision.

L’on retient de cet arrêt que si la pratique des clauses admettant une prorogation de compétence internationale dans le cadre d’un litige international reste parfaitement licite [4] , la Cour d’appel de Paris tend progressivement à écarter l’exception d’incompétence attendue dès lors qu’elle elle vise à dissuader un justiciable d’agir à l’encontre d’un site communautaire ou de réseaux sociaux.

La première tendance, nettement marquée par l’objectif de protéger les intérêts du consommateur, a consisté à permettre à tout utilisateur d’un tel site, et dès lors qu’il y est éligible, à pouvoir se fonder sur les dispositions de l’article L212-1 du Code de la consommation réputant non écrites les clauses abusives.

Une inspiration directement puisée dans les enseignements de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne, laquelle avait jugé , dans un arrêt du 27 juin 2000 [5], qu’une clause « ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice par le consommateur », était susceptible de constituer une clause abusive :

« dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel au sens de la directive, une clause préalablement rédigée par un professionnel et n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, qui a pour objet de conférer compétence, pour tous les litiges découlant du contrat, à la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve le siège du professionnel, réunit tous les critères pour pouvoir être qualifiée d’abusive au regard de la directive ».

En effet et ainsi que la Cour l’a souligné, une telle clause fait peser sur le consommateur, l’obligation de se soumettre à la compétence exclusive d’un tribunal qui peut être éloigné de son domicile, rendant sa comparution plus difficile.

Ainsi et dans le cadre de litiges portant sur des sommes limitées :

« les frais afférents à la comparution du consommateur pourraient se révéler dissuasifs et conduire ce dernier à renoncer à tout recours judiciaire ou à toute défense ».

Un raisonnement qui fut par la suite repris par la Commission des clauses abusives en 2014, laquelle avait considéré qu’une clause ayant pour objet, ou pour effet, de supprimer ou de limiter l’exercice du droit en justice d’un consommateur ou d’un non-professionnel pouvait être « potentiellement » qualifiée d’abusive [6].

La Cour d’appel de Paris avait d’ailleurs suivi une telle logique dans son arrêt du 12 février 2016, jugeant que les conditions générales de la société Facebook obligeait l’utilisateur

« à saisir une juridiction particulièrement lointaine et à engager des frais sans aucune proportion avec l’enjeu économique du contrat souscrit pour des besoins personnels ou familiaux ; que les difficultés pratiques et le coût d’accès aux juridictions californiennes sont de nature à dissuader le consommateur d’exercer toute action devant les juridictions concernant l’application du contrat et à le priver de tout recours à l’encontre de la société Facebook Inc » [7].

Le droit communautaire a - de nouveau - permis de dégager une solution visant à protéger les intérêts des consommateurs confrontés à une limitation de leur droit d’ester en justice.

Cette pratique de contournement des clauses attributives de compétence par les Juridictions de l’Union Européenne a d’ailleurs été de nouveau employée en matière de données personnelles par la Cour de Justice pour retenir la responsabilité de la société Facebook Inc située aux Etats-Unis, en qualité de responsable de traitement sur le territoire d’un Etat Membre, dès lors que l’une de ses filiales y était située [8].

Sans que l’on s’y trompe, l’intérêt des arrêts précités n’est pas de limiter le caractère abusif d’une telle clause au seul éloignement géographique, au risque de vider complètement la substance de toute clause attributive, dont l’objet est naturellement de localiser un règlement judiciaire d’un litige dans un lieu déterminé pouvant être éloigné de celui du cocontractant.

Le caractère abusif se mesurera davantage au regard du caractère dissuasif des frais de justice que l’internaute serait amené à exposer et des modalités pratiques nécessaires pour assigner la société étrangère.

Une telle preuve pourra être plus simple à rapporter lorsque la clause attributive de compétence désigne, comme dans l’arrêt commenté, une juridiction américaine.

Pour autant, les jurisprudences précitées présentaient l’inconvénient majeur de ne s’appliquer qu’aux rapports de consommation, excluant de ce fait tous comptes ouverts par des sociétés, ou encore des indépendants, dans le cadre d’une activité commerciale, libérale ou artisanale sur les réseaux sociaux.

L’arrêt commenté a donc le mérite d’ouvrir une nouvelle voie au profit cette fois des professionnels, bien que les fondements exploités par la Cour d’appel ne concernent aucunement le caractère abusif de la clause attributive de compétence.

Du point de vue légal, une évolution a également été constatée.

Depuis l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, l’article 1171 du Code civil permet désormais au professionnel de se prévaloir du caractère abusif d’une clause, si celle-ci est stipulée dans un contrat d’adhésion et qu’elle ne peut être négociée librement par une partie.

L’on peut raisonnablement penser que de telles conditions pourraient être satisfaites dès lors qu’une clause attributive de compétence stipulée dans des conditions générales d’utilisation d’un site exploitant des réseaux sociaux, est par essence non négociable.

Le bât risquerait toutefois de blesser s’agissant des coûts exposés, dès lors qu’un professionnel peut disposer davantage de moyens qu’un particulier.

Pour autant, l’application de ces dispositions n’a pas été débattu dans l’arrêt commenté, dès lors que cette disposition n’était pas applicable au moment de l’ouverture du compte de la société intimée.

La Cour ne s’est jamais fondée sur le caractère abusif de la clause mais sur l’inopposabilité de celle-ci, ouvrant ainsi une nouvelle voie au justiciable lorsque les règles précitées ne sont pas applicables.

Cette exigence de preuve quant à la connaissance et l’acceptation par l’utilisateur des conditions générales est d’autant plus importante qu’elle est désormais codifiée à l’article 1119 du Code civil :

« Les conditions générales invoquées par une partie n’ont effet à l’égard de l’autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées ».

Ces dispositions imposent donc aux sociétés exploitantes de sites internet de redoubler de vigilance dans la mise en œuvre de leur procédure d’inscription.

En outre, l’on rappellera que l’article 3 du Règlement Européen « Platform to Business » (également appelé P2B), impose aux « services d’intermédiation en ligne » ou « moteurs de recherche » et les « entreprises utilisatrices », de rédiger des conditions générales « de façon claire et compréhensible » afin d’être « facilement accessibles » durant toute la relation contractuelle, y compris avant la conclusion du contrat.

A défaut, les stipulations visées au même titre que les conditions générales seront considérées comme nulles, incitant certainement les utilisateurs à contester leur exécution et à solliciter leur mise à l’écart dès lors qu’ils parviendraient à justifier qu’une clause n’a pas été rédigée de manière claire et compréhensible empêchant ainsi toute acceptation.

Le justiciable dispose en conséquence d’un panel de fondements lui permettant d’écarter les effets d’une clause attributive de compétence, dont les effets devront toutefois être appréciés au cas par cas.

Jonathan ELKAIM - Avocat au Barreau de Paris

[1Cour d’appel de Paris, chambre , pôle 2, 12 février 2016, n°15/08624.

[2Exploitante du site www.tripadvisor.fr

[4Civ.1ère, 11 février 1997, n°95-10.845.

[5CJUE, 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, (C 240/98 à C 244/98).

[6Comm. clauses abusives, recomm. n° 2014-02, 7 nov. 2014.

[7Cour d’appel de Paris, chambre , pôle 2, 12 février 2016, n°15/08624.

[8CJUE, 5 juin 2018, Wirtschaftsakademie (C-210/16) - Point 63.