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Le référé-liberté au secours des enfants handicapés sans prise en charge éducative. Par David Taron, Avocat.
Parution : mardi 30 mars 2021
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Des milliers d’enfants ne bénéficient pas d’une prise en charge éducative ou d’une prise en charge éducative adéquate, en dépit des orientations décidées par les commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées.
Pour remédier à cette difficulté, le droit offre des voies de recours qui peuvent se révéler efficaces. La première d’entre elles est le référé-liberté.

En ces temps où les pouvoirs publics mettent – à juste titre - l’accent sur la scolarisation des enfants, d’aucuns oublient parfois que nombre d’entre eux souffrent chroniquement d’une absence de prise en charge éducative.

Pourtant, que l’on se réfère au droit national ou au droit international, le droit à l’éducation constitue certainement l’un des droits les plus consubstantiels à nos démocraties libérales. Ainsi, le droit à l’éducation est une liberté fondamentale, comme l’indique le treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, auquel se réfère celui de la Constitution de 1958. De même, l’article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales consacre le droit à l’instruction.

Comment expliquer malgré tout que de trop nombreux enfants porteurs d’un handicap ne soient pas accueillis à l’école ? Est-ce la faute à un manque de moyens ? un manque de volonté politique ? des freins administratifs ou culturels ? Il y a certainement un peu de tout cela.

Même s’il n’existe aucune réelle statistique portant sur le nombre d’enfants ne bénéficiant pas d’une scolarisation, tous les professionnels et tous les responsables associatifs constatent qu’il demeure des milliers d’enfants « sans solution ».

Souvent, les familles se trouvent désarmées et sans réponse à leurs demandes auprès des autorités compétentes (mairie, inspection académique, etc.) et ce, alors même qu’elles peuvent légitimement revendiquer un accueil de leur enfant à l’école.
Face aux blocages, il ne reste à vrai dire bien souvent que la justice pour obtenir gain de cause. On le sait trop peu ; le juge administratif dispose des pouvoirs permettant de contraindre l’éducation nationale à accepter la scolarisation d’un enfant porteur de handicap(s).

En effet, la procédure dite du référé-liberté [1] se révèle énergique et peut permettre de débloquer, dans des délais très brefs, des situations extrêmement délicates.

Le succès d’une telle démarche contentieuse implique néanmoins la satisfaction de plusieurs conditions que nous nous proposons de présenter ci-dessous.

Mais avant cela, une précision s’impose : ne sera ici envisagé que le cas d’un enfant à propos duquel la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) a décidé d’une orientation en milieu ordinaire. Pour les cas où une orientation dans un établissement relevant du code de l’action sociale et des familles a été décidée, la procédure du référé-liberté sera le plus souvent inefficiente [2]

1. Une urgence à caractériser pour obtenir une scolarisation rapide.

Cette exigence est satisfaite dès lors que sont prouvés l’immédiateté de l’atteinte à une liberté fondamentale et le caractère préjudiciable de cette atteinte à brève échéance.

En matière éducative, la condition d’urgence sera satisfaite chaque fois que l’enfant ne peut pas suivre une scolarité, soit qu’aucun établissement ne l’accueille, soit que l’accueil proposé ne s’avère manifestement pas adapté au handicap.

D’une certaine manière, il n’est pas abusif de soutenir qu’en matière de défaut de scolarisation ou de scolarisation manifestement inadaptée, la condition d’urgence se trouvera le plus souvent satisfaite.

A fortiori, quand la scolarisation est elle-même complètement inadaptée, l’enfant se trouve nécessairement dans l’impossibilité de suivre une scolarité efficiente. La condition d’urgence se trouve alors remplie.

C’est ce qu’a jugé le tribunal de Melun dans une ordonnance du 28 septembre 2017 (n°1707537).
Concernant la condition d’urgence, les termes de cette décision étaient les suivants :

« 3. Considérant que la privation pour un enfant, notamment s’il souffre d’un trouble de santé invalidant, de toute possibilité de bénéficier d’une scolarisation adaptée, selon les modalités que le législateur a définies afin d’assurer le respect de l’exigence constitutionnelle d’égal accès à l’instruction, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, au sens de l’article L521-2 du Code de justice administrative ; qu’elle est, par suite, de nature à justifier l’intervention du juge des référés sur le fondement de cet article, sous réserve qu’une urgence particulière rende nécessaire l’intervention d’une mesure de sauvegarde dans les quarante-huit heures ; qu’en outre, le caractère grave et manifestement illégal d’une telle atteinte s’apprécie en tenant compte, d’une part de l’âge de l’enfant, d’autre part, des diligences accomplies par l’autorité administrative compétente, au regard des moyens dont elle dispose ;

Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction que l’affectation de X. en classe de sixième ordinaire a, eu égard à ses compétences scolaires et à ses retards cognitifs, pour conséquence de le priver de la possibilité de fréquenter un établissement d’enseignement et de bénéficier d’une formation scolaire ; que l’absence de scolarisation de cet enfant, en violation des articles L111-1 et L111-2 du Code de l’éducation, crée une situation d’urgence au sens de l’article L521-2 du Code de justice administrative ; que si la rectrice de l’académie de Créteil relève que Mme Y. n’a pas saisi immédiatement le juge des référés, cette circonstance n’est pas de nature à priver la présente demande de son caractère d’urgence dès lors qu’il est constant que l’intéressée s’est efforcée, en vain, de parvenir à une solution amiable avec l’administration et d’obtenir l’intervention du Défenseur des droit »

Bien entendu, la satisfaction de la condition d’urgence présuppose que les parents ne soient pas restés inactifs et qu’ils aient entrepris des démarches afin de pousser les pouvoirs publics à remédier à leur carence. Gageons que les cas où l’inertie excessive des parents peut être mise en avant sont extrêmement rares.

2. Une atteinte grave et immédiate au droit à l’éducation pour obtenir une scolarisation rapide.

Ainsi qu’il l’a été écrit plus haut, le droit à l’éducation est une liberté fondamentale, comme l’indique le treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, auquel se réfère celui de la Constitution de 1958.

Ce droit, confirmé par l’article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, est en outre rappelé à l’article L111-1 du Code de l’éducation, qui énonce que :

« le droit à l’éducation est garanti à chacun »

Et, s’agissant des enfants présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant, à l’article L112-1 du même code, selon lequel le service public de l’éducation leur assure une formation scolaire adaptée.

L’exigence constitutionnelle d’égal accès à l’instruction est mise en œuvre par les dispositions de l’article L.131-1 de ce code, aux termes desquelles :

« L’instruction est obligatoire pour chaque enfant dès l’âge de trois ans et jusqu’à l’âge de seize ans ».

S’agissant des enfants en situation de handicap, il faut préciser que selon l’article L.112-1 du Code de l’éducation, les enfants et adolescents handicapés sont soumis à l’obligation éducative. Ils satisfont à cette obligation en recevant soit une éducation ordinaire, soit, à défaut, une éducation spéciale, déterminée en fonction des besoins particuliers de chacun d’eux par la CDAPH. Le service public de l’éducation assure donc une formation scolaire, professionnelle ou supérieure aux enfants présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant.

A cet égard, le Conseil d’Etat a jugé que :

« Considérant que la privation pour un enfant, notamment s’il souffre d’un handicap, de toute possibilité de bénéficier d’une scolarisation ou d’une formation scolaire adaptée, selon les modalités que le législateur a définies afin d’assurer le respect de l’exigence constitutionnelle d’égal accès à l’instruction, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, au sens de l’article L521-2 du Code de justice administrative, pouvant justifier l’intervention du juge des référés sur le fondement de cet article, sous réserve qu’une urgence particulière rende nécessaire l’intervention d’une mesure de sauvegarde dans les quarante-huit heures ; qu’en outre, le caractère grave et manifestement illégal d’une telle atteinte s’apprécie en tenant compte, d’une part de l’âge de l’enfant, d’autre part des diligences accomplies par l’autorité administrative compétente, au regard des moyens dont elle dispose » [3].

Pour les enfants en situation de handicap, et afin garantir l’effectivité d’une scolarisation adaptée, l’article L351-2 du Code de l’éducation dispose que les décisions d’orientation de la CDAPH s’imposent :

« aux établissements scolaires ordinaires et aux établissements ou services mentionnés au 2° et au 12° du I de l’article L312-1 du Code de l’action sociale et des familles dans la limite de la spécialité au titre de laquelle ils ont été autorisés ou agréés ».

Est donc illégale une scolarisation non conforme à l’orientation décidée par la CDAPH. Mais cette illégalité ne se suffit pas à elle-même.

En la matière, le Conseil d’Etat a précisé l’office du juge du référé-liberté en énonçant que :

« lorsqu’il est soutenu, à l’appui d’une demande présentée sur le fondement de l’article L. 521-2, qu’un enfant handicapé ne bénéficie pas d’une scolarisation ou d’une formation scolaire adaptée, il appartient au juge des référés d’apprécier le caractère grave et manifestement illégal d’une telle atteinte en tenant compte, d’une part, de l’âge de l’enfant et, d’autre part, des diligences accomplies par l’autorité administrative compétente, au regard des moyens dont elle dispose » [4].

Il ne suffit donc pas que l’enfant ne soit pas scolarisé ; encore faut-il que ce défaut de scolarisation soit très préjudiciable compte tenu de son âge et que l’administration ait fait preuve d’une grande inertie.

Concrètement, l’atteinte au droit à l’éducation sera jugée suffisamment grave et immédiate s’agissant d’un enfant devant être « immergé » dans les apprentissages fondamentaux et au sujet duquel les services académiques n’auraient entrepris aucune démarche en vue d’assurer sa solarisation. Bien entendu, il appartiendra à l’administration de justifier de l’ensemble de ses démarches.

Dans l’ordonnance précitée du tribunal administratif de Melun, le juge avait fait droit à la demande de la famille en jugeant précisément que :

« Considérant, en deuxième lieu, qu’ainsi qu’il a été dit au point 4, l’état de santé et les compétences cognitives et scolaires du jeune X, qui est âgé de onze ans, sont totalement incompatibles avec la poursuite d’une scolarité en classe de sixième ordinaire, même avec l’accompagnement d’une auxiliaire de vie scolaire ; que, par ailleurs, il n’est pas contesté que l’inscription de X. en classe ULIS élémentaire au cours des quatre dernières années a permis au jeune garçon d’entrer dans un processus de scolarisation et d’apprentissage des savoirs fondamentaux auquel l’affectation litigieuse porte un coup d’arrêt ; que si la rectrice de l’académie de Créteil fait valoir que la décision de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées mentionne que la requérante bénéficie d’une décision d’attribution en institut médico-éducatif, il n’est pas contesté que les capacités d’accueil de ces établissements font obstacle à une affectation effective du jeune X. ; qu’enfin, si l’administration soutient que malgré la création de nombreuses classes ULIS au cours des dernières années, les demandes, en particulier pour l’enseignement secondaire, ne peuvent pas être toutes satisfaites, il ne résulte pas de l’instruction que l’autorité administrative a mobilisé l’ensemble des moyens dont elle dispose, y compris le maintien de l’enfant en classe ULIS élémentaire, pour permettre la poursuite de sa scolarisation dans des conditions compatibles avec son état de santé ; qu’il s’ensuit que la décision d’affecter le jeune X. en classe de sixième ordinaire, en méconnaissance de la décision de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées du 31 mai 2017, porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit pour tout enfant de bénéficier d’une scolarité adaptée à son état de santé » (ibidem)

La rupture du parcours scolaire, l’interruption dans l’acquisition des apprentissages permettent de caractériser l’atteinte au droit à l’éducation. Si les moyens mobilisés par l’administration peuvent constituer, pour cette dernière, un moyen de se défendre, encore faut-il qu’elle justifie, de manière précise, ses actions. Il lui appartiendra ainsi de détailler les objectifs qu’elle poursuit et les moyens qu’elle alloue à leur réalisation. Elle en est souvent incapable.

La procédure du référé-liberté offre des avantages certains : une relative simplicité et une célérité évidente. On peut regretter qu’elle ne soit pas plus souvent utilisée pout faire avancer la situation des familles confrontées à une méconnaissance manifeste du droit à l’éducation.

Malheureusement, cette procédure n’a pas vocation à apporter une solution à toutes les difficultés rencontrées par nombre d’enfants et leurs familles, confrontés, plus que d’autres justiciables encore, au dualisme de juridiction et à la lenteur du processus juridictionnel.

David TARON Avocat au Barreau de Versailles

[1Article L. 521-2 du Code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »

[2Pour une illustration récente, on peut relever que le Conseil d’Etat a estimé que : « le juge des référés ne peut quant à lui ordonner, pour répondre à l’urgence et sauvegarder les droits et libertés fondamentaux, que des mesures immédiates et provisoires ; ni la création de place dans un IME, ni l’octroi d’une reconnaissance dérogatoire à une structure d’accueil, à supposer qu’elle soit légalement possible et seule de nature à répondre à la situation, ne relèvent de cet ordre de mesure », CE ord., 28 décembre 2020, n°447411.

[3CE ord., 15 décembre 2010, n°344729

[4CE ord., 27 février 2017, n°404483