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Passagers aériens débarqués au mauvais aéroport : la Cour de Cassation ouvre la voie à l’indemnisation. Par Anaïs Escudié et Guilhem Della Malva, Juristes.
Parution : mercredi 31 mars 2021
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Pour la plus Haute Cour de l’ordre judiciaire, le fait pour une compagnie aérienne de ne pas pouvoir atterrir à l’aéroport de Paris - Orly, en raison de la fermeture nocturne habituelle des infrastructures, et devoir dérouter l’appareil sur l’aéroport de Roissy - Charles-de-Gaulle n’exempte pas le transporteur d’indemniser les passagers concernés.

La Cour de cassation précise par son arrêt du 17 février qu’une telle perturbation ne correspond pas à une circonstance extraordinaire au sens du règlement européen n°261/2004.

Un cas d’espèce spécifique aux aéroports de Paris.

L’aéroport d’Orly est visé par une contrainte d’exploitation spécifique : depuis une décision portant réglementation de l’utilisation de nuit de l’aéroport d’Orly [1] datée du 4 avril 1986, aucun atterrissage d’aéronef équipé de turboréacteurs n’est programmé entre 23h30 et 06h15. Plus sévère encore, même un vol retardé (du fait d’un incident ne mettant pas en cause la sécurité de l’appareil) n’est pas autorisé à atterrir sur cette plage horaire. La raison de cette décision : les riverains de l’aéroport, victimes de pollution sonore durant la journée, bénéficient ainsi de la protection de leur repos.

Dans les faits, si un appareil est retardé (par exemple, par un problème technique) et ne peut atterrir à temps, il est alors dérouté en direction de l’aéroport de Roissy - Charles-de-Gaulle, qui lui reste ouvert. Dans les cas où l’appareil lui-même atterrit avec un retard inférieur à trois heures à Roissy (par rapport à l’heure d’arrivée indiquée sur la réservation), certaines compagnies considèrent que les passagers sont bien arrivés à Paris avec un retard insuffisant pour exiger une indemnité au regard du règlement européen. Pourtant, depuis la célèbre jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) “Sturgeon contre Condor Flugdienst" [2] GmbH [3], les passagers devraient pouvoir être indemnisés s’ils n’étaient pas en mesure d’arriver à Orly par tout moyen avec moins de trois heures de retard.

Pour la compagnie aérienne, le raisonnement est simple : la destination finale est Paris, non pas l’aéroport d’Orly lui-même. Et quand bien même l’arrivée dans un aéroport précis serait important, elle ne pourrait être tenue responsable du fait que le vol soit dérouté. Elle estime que le couvre-feu de l’aéroport d’Orly n’est pas de sa faute...

La définition de circonstance extraordinaire exclut le couvre-feu règlementaire.

Pour les juges de la première chambre civile, ces arguments n’étaient pas suffisants.

Ceux-ci ont tout d’abord affirmé que la “destination finale” indiquée sur la réservation des passagers correspond bien à l’aéroport d’arrivée, et non à la ville rattachée à l’aéroport. Plus précisément, les juges ont fait appel aux obligations contractuelles des parties et aux termes de la réservation. Dans ce contrat signé par le passager et la compagnie, la réservation ne précise non pas une destination générale (qui serait ici "Paris"), mais bien un aéroport spécifique.

Tout simplement, si la compagnie ne parvient pas à acheminer les passagers au bon aéroport, elle ne s’est pas acquittée de ses obligations contractuelles. La première Chambre civile semble prendre ici la protection des passagers qui ont le nécessaire besoin d’arriver au bon aéroport : ceux dont le véhicule y est garé, ceux dont les proches patientent dans le terminal pour les accueillir, ceux qui habitent à proximité de l’aéroport, etc.

Dans un second temps, les juges ont choisi de faire reposer sur la compagnie aérienne la charge de la preuve de l’arrivée à l’aéroport d’Orly dans le délai de trois heures. Ils se reposent ici sur l’article 1153 du Code civil et sur la lettre du règlement européen, lequel vise la protection la plus complète possible des passagers, partie faible dans la relation avec la compagnie aérienne.

Enfin, les juges réfutent l’idée selon laquelle le couvre-feu en place à l’aéroport d’Orly constituerait une circonstance extraordinaire. Sont reprises ici deux jurisprudences de la CJUE sur le sujet [4], et qui ont constamment été soutenues dans les arrêts ultérieurs. Ainsi, la CJUE retient qu’une circonstance extraordinaire est un événement qui, par sa nature ou son origine, n’est pas inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappe à la maîtrise effective de celui-ci.

Cette contrainte existant depuis plusieurs décennies, la compagnie dont le plan de vol d’une ligne régulière prévoit l’atterrissage d’appareils à Orly doit simplement opérer en conséquence. Elle doit organiser ses opérations dans une limite bien établie qui n’est en aucun cas extérieur à son activité et encore moins à ses plans de vols habituels.

Une zone d’ombre subsiste : les passagers résidant dans Paris intramuros.

Cet arrêt sera bienvenu par tous les passagers concernés par de telles circonstances, principalement ceux devant absolument se rendre à Orly. Néanmoins, il ne répond pas à une question plus précise : la compagnie aérienne n’est-elle pas en mesure d’arguer que les passagers résidant à Paris intramuros n’ont pas l’absolue nécessité d’arriver à Orly ? Auquel cas, elle n’aurait pas tort en affirmant qu’elle a bien acheminé les passagers à la destination souhaitée. Du moins, dans ce cas spécifique.

L’incertitude persiste, car la portée de cet arrêt reste trop générale. Les juges ont par ailleurs renvoyé les parties devant le tribunal judiciaire compétent. Espérons que celui-ci envisage alors cette opportunité, à moins que la question soit posée à la Cour de Cassation dans un nouveau pourvoi.

Quoi qu’il en soit, la première Chambre civile a bel et bien étendu la protection des passagers aériens.

Anaïs Escudié, Fondatrice de RetardVol et Guilhem Della Malva, Juriste expert chez RetardVol

[3Arrêt du 19 novembre 2009, affaire C-402/07.