Village de la Justice www.village-justice.com

Avocats et erreur médicale pendant l’accouchement : le défaut d’information de la mère. Par Dimitri Philopoulos, Avocat.
Parution : jeudi 1er avril 2021
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/avocat-erreur-medicale-pendant-accouchement-defaut-information-mere,38682.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

La victime et son avocat ne manqueront pas de remarquer un arrêt du 11 mars 2021 de la Cour administrative d’appel de Versailles qui a condamné un centre hospitalier pour ne pas avoir informé la mère des risques d’un accouchement par voie basse.

Par un arrêt rendu le 11 mars 2021, la Cour administrative d’appel de Versailles a statué sur l’obligation légale d’information de la mère lors d’un accouchement par voie basse [1].

I. Exposé des faits.

Après une césarienne lors de l’accouchement de son premier enfant, la mère de la victime a été admise à la maternité d’un centre hospitalier en vue de l’accouchement de son deuxième enfant. Peu après son placement en salle de travail, le gynécologue obstétricien a été appelé par la sage-femme en raison des anomalies du rythme cardiaque fœtal (une bradycardie). Le gynécologue obstétricien a décidé de procéder à une extraction de l’enfant par une césarienne en urgence. Lors de la césarienne, le médecin a mis en évidence une rupture utérine à l’origine de la « souffrance fœtale ».

L’enfant né en état de mort apparente a été réanimé. Il a été ensuite transféré dans le service de réanimation néonatale. Malgré cette prise en charge, l’enfant a présenté une encéphalopathie hypoxo-ischémique. Un examen d’imagerie cérébrale par résonance magnétique (IRM) a révélé une atteinte des noyaux gris centraux.

L’enfant conserve des séquelles d’une infirmité motrice cérébrale (IMC), parfois appelée paralysie cérébrale (PC).

Dans un premier temps, la commission de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CCI) a été saisie. Après expertise médicale, la commission a rendu un avis positif qui a conclu à un défaut d’information à la charge du gynécologue obstétricien de nature à engager la responsabilité de l’hôpital. Cette faute de consentement était à l’origine d’une perte de chance pour la mère de demander la réalisation d’une césarienne programmée qui aurait évité le préjudice subi par l’enfant.

Dans son avis, la CCI a invité le centre hospitalier à formuler une offre d’indemnisation aux parents de la victime en réparation des préjudices subis.

Cependant, l’assureur de l’hôpital a refusé de proposer une offre.

Dans ces conditions, l’Office national d’indemnisation d’accidents médicaux (ONIAM) a été saisi d’une demande de substitution à l’assureur défaillant.

L’ONIAM a refusé de se substituer à l’assureur de l’hôpital et donc n’a pas présenté une offre d’indemnisation aux parents.

Les parents d’un enfant victime d’une erreur médicale pendant l’accouchement doivent prendre note de cet échec de la procédure devant la CCI. Les accidents médicaux survenus pendant l’accouchement et la naissance d’un enfant handicapé sont des procédures complexes. Cette complexité est mal adaptée à la procédure devant la CCI puisque, après un avis positif de celle-ci, les assureurs des maternités sont libres de ne pas proposer une offre d’indemnisation à la victime. L’ONIAM est également libre de ne pas se substituer à l’assureur défaillant et de ne pas faire une proposition d’indemnisation à la victime.

Il en résulte un taux élevé de tels refus après un avis positif de la CCI. Dans ce cas, la famille de la victime sera obligée de recommencer la procédure devant le juge d’où une perte de temps considérable. Pour cette raison, la famille devrait prendre conseil auprès d’un avocat en droit de la santé ou en droit médical avant de s’adresser à la CCI.

II. Sur le défaut d’information.

1. Texte applicable.

Aux termes de l’article L1111-2 du code de la santé publique :

« Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l’urgence ou l’impossibilité d’informer peuvent l’en dispenser. (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l’établissement de santé d’apporter la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen ».

En vertu de ce texte, le médecin doit informer « toute personne » y compris donc la mère lors d’un accouchement par les voies naturelles, sur son état de santé, les investigations et traitements proposés ainsi que les risques fréquents ou graves normalement prévisibles en cas de refus étant précisé que la charge de la preuve incombe au médecin ou à l’établissement de santé.

2. Solution de la décision rapportée.

La Cour administrative d’appel de Versailles a fait application de ce texte dans le cadre d’un accouchement par les voies naturelles.

A ce titre, la Cour administrative d’appel a décidé :

« La circonstance que l’accouchement par voie basse constitue un événement naturel et non un acte médical ne dispense pas les médecins, dès lors, de l’obligation de porter, le cas échéant, à la connaissance de la femme enceinte les risques qu’il est susceptible de présenter eu égard notamment à son état de santé, à celui du fœtus ou à ses antécédents médicaux, et les moyens de les prévenir ».

Le second juge énonce ainsi que le caractère naturel d’un accouchement par voie basse ne dispense pas le médecin d’exécuter son obligation d’information de la mère quant aux risques relatifs à son propre état de santé et à celui du fœtus ainsi que les moyens d’éviter ces risques.

La Cour administrative d’appel a surtout ciblé le cas particulier d’antécédents connus :

« En particulier, en présence d’une pathologie de la mère ou de l’enfant à naître ou d’antécédents médicaux entraînant un risque connu en cas d’accouchement par voie basse, l’intéressée doit être informée de ce risque ainsi que de la possibilité de procéder à une césarienne et des risques inhérents à une telle intervention ».

Ce chef de la décision est important car les risques d’accouchement par voie basse augmentent considérablement en présence de certains antécédents médicaux ou obstétricaux.

Il en est ainsi dans l’affaire rapportée puisque l’antécédent d’une césarienne antérieure est un facteur de risque connu de rupture utérine. Une césarienne programmée avant le travail évite ce risque.

Naturellement, l’hôpital tente de se soustraire à son obligation d’information puisque les mentions « utérus cicatriciel » et « épreuve utérine acceptée » figurent au dossier et le protocole du centre hospitalier prévoit une telle information.

La Cour administrative d’appel rejette ces considérations qui

« ne suffisent pas à établir de façon probante la réalité de la délivrance de ces informations sur les risques, formellement contestée par la mère » [2].

La solution de la Cour administrative d’appel est conforme à l’article L1111-2 du code de la santé publique puisqu’il appartenait à l’établissement de santé d’apporter la preuve que l’information a été délivrée. Bien que cette preuve puisse être apportée par tout moyen, les mentions du dossier sont contredites par la mère et la personne qui l’a accompagnée lors de la consultation litigieuse.

Lorsqu’il y a un défaut de consentement de la mère sur les risques d’un accouchement par voie basse, une difficulté consiste à déterminer l’importance de la perte de chance qui en découle. En effet, il peut être difficile d’estimer la probabilité qu’une césarienne programmée aurait été choisie par la mère dûment informée. Le plus souvent le juge fixe l’importance de la chance perdue selon les constatations de l’expert ainsi que les arguments et pièces versées aux débats par l’avocat de la victime.

III. Côté pratique.

En cas de rupture utérine, une césarienne antérieure doit inciter l’avocat à vérifier la délivrance de l’information par le gynécologue obstétricien sur les risques d’un accouchement par voie basse.

Il en est ainsi car la tentative de voie basse après césarienne (TVBAC) comporte un risque connu de rupture utérine. De fait, comparée à la paroi saine, la cicatrice utérine est sujette à rupture lors du travail d’accouchement. Une césarienne programmée après césarienne (CPAC) évite ce risque.

Selon le Collège national des gynécologues obstétriciens français (CNGOF), bien que la TVBAC soit légitime dans la majorité des cas, le choix de la voie programmée d’accouchement doit être partagé par la patiente et le médecin.

En conséquence, pour le CNGOF, si la patiente souhaite une CPAC après information, discussion, et délai de réflexion, il est légitime d’accéder à sa demande.

Il convient de noter qu’après deux césariennes antérieures, le risque est nettement plus élevé et la TVBAC est fortement déconseillée.

C’est pourquoi l’information de la mère est d’une importance particulière en cas de tentative de voie basse après césarienne.

L’information est d’une telle importance que le Collège national des gynécologues obstétriciens français a établi une fiche d’information de la mère en cas de tentative d’accouchement sur utérus cicatriciel [3].

La fiche d’information du CNGOF ainsi que les recommandations de la pratique clinique contiennent des précisions utiles qui peuvent aider l’avocat construire sa demande sur l’importance de la perte de chance.

A ce titre, notre cabinet d’avocat a mis en ligne un outil de prédiction du risque d’échec d’un accouchement par voie basse après césarienne antérieure [4].

En conclusion, dans le cadre d’un préjudice subi après un accouchement par les voies naturelles, l’avocat en droit de la santé doit soulever dans ses écritures le défaut d’information de la mère notamment lorsque des antécédents médicaux ou obstétricaux sont à l’origine d’un risque connu pour la mère ou pour l’enfant.

Naturellement, l’avocat doit également ajouter un chef sur le consentement de la mère dans la mission d’expertise proposée au juge.

Dimitri PHILOPOULOS Avocat à la Cour de Paris Docteur en médecine https://dimitriphilopoulos.com

[1CAA Versailles (6ème ch.), 11 mars 2021, n° 18VE00440.

[2De manière singulière, le gynécologue obstétricien a même prétendu que la mère aurait été accompagnée du père de la victime lors de la consultation prénatale alors qu’en réalité il s’agissait d’une amie de la mère ! Cette femme contestait également la communication de l’information à la mère.

[3Cette fiche d’information du CNGOF présente les avantages et inconvénients d’un accouchement par voie basse et ceux d’une césarienne programmée.