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Indemnisation d’une chirurgie de réduction mammaire ratée. Par Anne Faucher, Avocat.
Parution : mardi 13 avril 2021
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L’indemnisation d’une réduction mammaire ratée en 7 questions-réponses.

1) Qu’est ce que la chirurgie de réduction mammaire ?

Une femme qui présente une hypertrophie mammaire, c’est-à-dire une poitrine trop volumineuse par rapport à sa morphologie, peut souffrir du dos, être gênée dans la vie quotidienne, être complexée.

Une des solutions pour y remédier consiste à recourir à une chirurgie de réduction mammaire.

Il s’agit de retirer une partie de la poitrine et de la remodeler, sous anesthésie générale, et réduire ainsi le poids et le volume des seins.

Il existe de très nombreuses techniques chirurgicales de réduction mammaire, dont le choix doit dépendre théoriquement de la situation particulière de la patiente.

Cette chirurgie ne doit pas être confondue avec le lifting mammaire qui vise seulement à remonter la poitrine en cas d’affaissement, ni avec la pose d’implants mammaires qui vise au contraire à augmenter le volume des seins.

En fonctions de certains critères (gêne physique et poids retiré), il ne s’agit plus d’une chirurgie esthétique mais d’une chirurgie à visée thérapeutique pouvant être prise en charge par la Sécurité Sociale.

Cette qualification n’est pas anodine car la solidarité nationale est exclue pour tout accident de chirurgie esthétique, et ce en vertu de la Loi du 22 décembre 2014 créant l’article L1142-3-1, I du code de la santé publique.

2) Quels sont les risques de complications d’une réduction mammaire ?

La réduction mammaire est une chirurgie difficile à risque élevé de complications, à un niveau comparable à la plastie abdominale (plus de 10%).

Le bilan pré-opératoire, l’information préalable et complète de la patiente sur les risques encourus tout comme le suivi-post opératoire sont donc essentiels.

Les principales complications sont :
- infections
- nécrose du mamelon
- altération de la sensibilité au niveau de la poitrine
- hématomes
- sutures qui lâchent
- phlébite
- embolie pulmonaire.

Les principaux cas de chirurgie ratée sont :
- cicatrices voyantes, larges, irrégulières, colorées
- cicatrices rétractiles qui déforment la poitrine
- seins asymétriques
- volumes inégaux des deux seins
- mauvais positionnement du mamelon placé trop haut et/ou trop interne
- asymétrie des mamelons
- seins qui s’affaissent dans les suites de la chirurgie.

A noter que les reprises ne sont pas toujours possibles ni souhaitables, les risques d’une chirurgie secondaire étant accrus : nécroses, infections, greffes, cicatrices supplémentaires…

Une complication suite à une réduction mammaire peut engendrer une profonde détresse morale chez la patiente, le regret d’avoir fait cette opération, l’incompréhension, etc.

L’intervention de la commission des usagers de l’établissement de soins pourra être fort utile pour rétablir le dialogue entre la patiente et le corps médical et apporter les explications attendues par la victime.

3) Dans quels cas la patiente victime pourra-t-elle être indemnisée ?

En matière d’accident médical, le principe est celui de l’indemnisation du patient en cas d’infection nosocomiale, d’affection iatrogène (suite à la prise d’un médicament), d’aléa thérapeutique ou de faute du chirurgien.

Toutefois la victime bénéficie d’un traitement moins favorable si l’intervention est uniquement à visée esthétique.

La solidarité nationale n’indemnise pas la patiente en cas d’aléa thérapeutique, d’infection nosocomiale, d’affection iatrogène, ni en cas d’intervention du chirurgien en dehors du champ de son activité de prévention, de diagnostic ou de soins.

La patiente victime devra donc démontrer la faute du chirurgien pour être indemnisée de ses préjudices.

4) Quelles sont les fautes qui peuvent être reprochées au chirurgien ?

Les hypothèses de fautes médicales engageant la responsabilité médicale du chirurgien ou celle de l’établissement de santé sont nombreuses.

Le plus souvent, il est reproché au chirurgien de ne pas avoir informé sa patiente ou de l’avoir insuffisamment informée, ce qui en soi est évitable.

Sur ce point, les obligations du chirurgien sont importantes et elles le sont davantage en matière de chirurgie esthétique.

L’information délivrée doit être claire et loyale et doit être comprise par la patiente, afin qu’elle donne un consentement éclairé à l’acte médical.

Le défaut d’information portant sur un risque qui s’est réalisé, par exemple une nécrose du mamelon ou des cicatrices chéloïdes sur une peau mate (ce qui est courant), engage la responsabilité du chirurgien.

La patiente pourra être indemnisée au titre d’un préjudice d’impréparation ainsi que de la perte de chance de se soustraire à l’opération.

L’information doit également porter sur le résultat, une discussion devant intervenir sur le volume des bonnets souhaité par la patiente. A défaut, le chirurgien pourra être condamné.

C’est ainsi que la Cour d’appel de Poitiers dans un arrêt de la 1re chambre civile du 7 Mai 2020 (n° 18/01511) a retenu la responsabilité du chirurgien aux motifs suivants :

« En retirant à chaque sein une masse de tissus telle que Mme B. est passée d’un tour de poitrine très important à petit, puisque de bonnets E-F à bonnets B, le docteur C. - qui ne prétend nullement n’avoir pu pratiquer une exérèse moindre - a pris, sans nécessité, le parti de modifier substantiellement la morphologie et la silhouette de sa patiente sans s’être assuré d’agir conformément au résultat qu’elle recherchait ».

Par ailleurs, la prise en charge médicale doit se faire dans les règles de l’art.

Sont ainsi susceptibles d’engager la responsabilité du chirurgien :
- l’absence d’une mammographie lors du bilan pré-opératoire si le cas de la patiente le justifiait
- l’existence chez la patiente de troubles psychiatriques incompatibles avec une prise en charge en chirurgie esthétique
- le choix inadapté d’une technique opératoire
- le retrait trop important de poitrine impliquant éventuellement une nouvelle opération avec la pose d’implants
- l’utilisation maladroite du bistouri électrique
- un hématome post-opératoire non drainé
- une infection non traitée à temps.

A noter qu’en matière de chirurgie esthétique, le chirurgien ne peut pas aggraver l’état de sa patiente, ce qui peut être le cas par exemple :
- si les mamelons sont mal positionnés et/ou asymétriques
- si les seins sont asymétriques
- si les seins n’ont pas le même volume
- si les cicatrices sont disgracieuses et résultent d’un défaut de maitrise des procédés de suture.

4) Quel est le délai pour demander une indemnisation ?

La victime dispose d’un délai de 10 ans à compter de la consolidation médico-légale pour solliciter l’indemnisation de son préjudice corporel.

La date de consolidation est fixée par un médecin. Elle correspond au moment où les lésions sont stabilisées et ne sont plus susceptibles de s’améliorer.

5) Quelles sont les principales étapes du processus indemnitaire ?

L’indemnisation de la patiente victime peut être amiable ou judiciaire :
- devant une Commission de Conciliation et d’Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections Iatrogènes et des Infections Nosocomiales (CCI) pour les accidents médicaux graves à exception des actes de chirurgie esthétique
- devant le tribunal judiciaire ou le tribunal administratif
- à noter qu’une plainte disciplinaire contre un médecin ne permet jamais à la victime d’être indemnisée, il s’agit d’une erreur d’aiguillage.

L’indemnisation se fait sur la base d’une expertise médico-légale.

L’expertise est une étape cruciale à ne pas négliger.

Elle doit être préparée avec soins, l’idéal étant de se faire assister par un binôme avocat-médecin compétent en responsabilité médicale, en dommage corporel et intervenant exclusivement pour les victimes.

6) Est-ce que la patiente victime pourra-être indemnisée rapidement ?

La durée du processus indemnitaire dépend notamment de la gravité de l’accident.

Il faut le temps que la victime soit consolidée mais aussi le temps de se prononcer sur les responsabilités, d’évaluer les préjudices, de les chiffrer puis d’obtenir l’indemnisation définitive, donc c’est plutôt long.

Dans certains cas il sera possible d’obtenir des provisions, ce qui permettra à la victime de faire face en attendant l’issue du litige.

De mon point de vue, un règlement très rapide ne signe pas une indemnisation de qualité.

7) Quels sont les bons réflexes que doit avoir la victime d’une réduction mammaire ratée ?

Tout d’abord, la victime doit demander la copie de son dossier médical, qui comprend notamment le dossier infirmier.

C’est un droit absolu consacré par la Loi Kouchner il y a presque 20 ans.

Le délai de communication du dossier médical est de minimum 48H et maximum 8 jours, délai porté à 2 mois si l’intervention chirurgicale a plus de 5 ans.

Ensuite, la victime doit vérifier sa couverture assurantielle. Cela signifie quelle doit vérifier si l’un des contrats d’assurance en vigueur au jour de l’accident médical garantit le sinistre, et notamment si elle bénéficie d’une assurance protection juridique ou défense-recours, souvent incluse dans son assurance multirisque habitation.

Enfin, il est vivement conseillé à la patiente victime de se faire assister par un avocat, qu’elle devra choisir avec attention s’agissant d’un contentieux technique.

Anne FAUCHER Avocat DU Contentieux médical DU Réparation juridique du dommage corporel DIU Evaluation des traumatisés crâniens DIU Traumatisme crânien de l’enfant, de l’adolescent - syndrome du bébé secoué http://anne.faucher.avocat.free.fr/