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[Tribune] Fiche Google My Business : la messe est dite ? Par Arnaud Dimeglio, Avocat.
Parution : mardi 6 avril 2021
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Le 9 mars dernier, le Tribunal judiciaire de Paris a validé le fichage par Google d’un professionnel personne physique. La fiche Google My Business permet de ficher un professionnel, de le noter, et de l’évaluer. Sous couvert de la liberté d’expression, viennent ainsi d’être sacrifiées, sur les intérêts financiers de Google, nos données, notre vie privée.

Ce jugement n’a pas été rendu par la 17eme chambre de Paris, la sacro-sainte chambre spécialisée en matière de liberté d’expression, et qui aurait dû traiter de ce litige [1]. La raison nous en échappe.

Initialement, une magistrate de la 17eme avait accueilli favorablement la demande en référé du dentiste qui avait plaidé le droit de s’opposer au traitement commercial de ses données. Google avait ainsi dû supprimer cette fiche [2].

Précisons que cette décision n’était pas isolée, et qu’elle s’inscrivait dans la tendance même de la jurisprudence de la 17eme chambre, laquelle avait jugé que le fait de noter sur un site des professeurs de manière anonyme était un traitement de données déloyal, disproportionné (Affaire « Note2be » [3]).

Puis curieusement, un an après, alors qu’un second dossier se présentait devant le Président de la 17eme chambre : revirement de jurisprudence, cela ne relevait plus du référé [4]. Il était même devenu évident que la fiche était au service de la liberté d’expression, et qu’elle n’avait pas de caractère commercial !

Que s’est il passé en un an ? Dieu seul le sait. Il est des choses invisibles qui nous dépassent. La messe est-elle dite pour autant ?

Pour les bigots de la liberté d’expression, elle est hélas dite depuis longtemps. Ne sonne dans leur tête que le même son monocorde de cloche.

Pour ceux qui sont prêts à écouter une autre musique, qui croient en la justice, il y a encore lieu d’espérer, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord parce qu’il est des signes dans cette décision qui ne trompent pas.

Comme le fait que le Tribunal ait repris des arguments de la société Google alors même que le demandeur les avait supprimés de ses conclusions : hébergement de données de santé.

Le diable se cache dans les détails.

Ensuite, il y a le fond, plus grave, une véritable descente aux enfers :

Tout d’abord la confusion entre droit des données personnelles, et droit au respect de la vie privée : ce n’est pas parce que des données ne relèvent pas de la vie privée, qu’elles ne bénéficient pas de la protection des données personnelles.

Ensuite l’affirmation suivant laquelle les données personnelles seraient publiques, et ne seraient pas ainsi protégées, alors que la jurisprudence européenne reconnaît le contraire [5].

Quant à la collecte des données, il en est rappelé sa genèse : Google a obtenu ces données de la société Infobel laquelle les a obtenues auprès de la société Orange.

Mais sur le plan juridique, le mystère demeure : l’article L.34 du CPCE que le demandeur avait invoqué est cité au passage, mais pas l’article R.10-4 II du même code lequel interdit l’usage des listes d’abonnés à d’autres fins que « la fourniture d’annuaires universels ou de services universels de renseignements téléphoniques ».

Rien n’est dit aussi sur l’article D 4113-118 du CSP, lequel prévoit que seul le Conseil national de l’Ordre des médecins est chargé de la gestion d’un répertoire d’identification nationale des professionnels de santé.

Il est ensuite affirmé que les éventuelles fautes des sociétés Orange et Infobel dans la communication de ces données ne sauraient engager la responsabilité des sociétés Google. Or les sociétés Orange et Infobel ne sont ici que des sous-traitantes qui ne font qu’exécuter les ordres de Google. La responsabilité de cette dernière pouvait ainsi être engagée.

Le Tribunal prétend ensuite que l’impact éventuel de la fiche sur la jouissance du droit à la protection des données personnelles est « faible ».

Google n’est pourtant pas les « Pages jaunes », et la fiche du demandeur n’est pas un simple « forum ». Il semble ici que les lumières de la liberté d’expression aient aveuglé le Tribunal.

Comment n’a-t-il pas vu que Google est le média le plus puissant du monde, que n’importe qui, sous couvert d’anonymat peut déverser sa frustration, sa haine sur un homme ainsi placardisé ?

Peu importe pour le Tribunal, on s’empresse de dire la messe :

« En tout état de cause, il résulte de ce qui précède que l’impact éventuel de cette fiche sur la jouissance de ce droit pour le requérant est faible et qu’il ne saurait prévaloir sur la liberté d’expression et d’information de la société Google LLC et des internautes, qui est garantie par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme. »

Mais comment y croire ?

Le Tribunal n’y croit pas lui-même d’ailleurs car il tente alors de se justifier par l’analyse de la finalité de la fiche, et c’est là où le bât blesse.

Sous le phare des projecteurs, le Tribunal ne voit pas en effet la finalité commerciale de la fiche.

Il ne voit que la soit disante philanthropie de Google qui est venu au monde pour sauver l’humanité du profond silence dans laquelle elle était plongée.

Grâce à Dieu, désormais n’importe qui va pouvoir raconter n’importe quoi, sur n’importe qui, sur le média le plus puissant du monde, sans limitation de temps, et d’espace.

Quelle aubaine !

Mais le Tribunal n’a pas vu que sur la fiche la queue du diable dépassait.

Des liens en effet, proposent aux professionnels fichés, de mordre à l’hameçon, et de créer un compte Google, lequel est un service commercial en lui-même.

Le fait que Google offre ensuite dans la partie administrative de la fiche aux professionnels de promouvoir leur activité grâce à Google Ads est le paroxysme de l’offre commerciale.

Celle-ci commence déjà avec la proposition d’ouvrir un compte : « Suggérer une modification - Vous êtes le propriétaire de cet établissement ? » 

Cette suggestion est une invitation commerciale à ouvrir un compte gratuit.

Le professionnel a beau dire que :

Le fait de lui proposer personnellement d’ouvrir un compte constitue une forme de démarchage, de prospection commerciale,
Sa déontologie lui interdit d’acheter des publicités ADS pour faire la promotion de son activité,
La loi lui proscrit de discuter avec des patients au travers de sa fiche.

Peu importe, le Tribunal ne l’entend plus. Les cloches sonnent à tue-tête.

Comme si cela n’était pas suffisant, on le culpabilise : il ne peut affirmer que les finalités de son traitement ne seraient pas déterminées, et explicites puisqu’il souhaite les voir interdire.

Il ne pourrait pas être démarché commercialement puisqu’il est libre de souscrire à l’offre qu’on lui fait : « rien ne l’obligeait ni à adhérer au service Google My Business, ni à faire paraître des publicités AdWords ».

Il ne peut davantage invoquer le fait que d’autres aient mordu à l’hameçon, aient pactisé avec le diable.

La messe est dite, et redite : ses arguments sont « inopérants ». Il est banni de ses droits.

En dernier recours, il avait tenté en vain d’invoquer son droit à la tranquillité [6], le détournement de sa clientèle. Mais tout est balayé au passage.

Puis les cloches se remettent à sonner, mais de façon fausse cette fois.

Après avoir considéré que la fiche n’avait pas de finalité de prospection commerciale, le Tribunal écrit :
« Si la finalité de la fiche professionnelle de Monsieur X. n’est pas illégitime pour le motif de prospection commerciale (…) ».

Il reconnaît ainsi que la fiche a une finalité de prospection commerciale.

De quoi en perdre la tête.

Le Tribunal a beau dire que la fiche a une finalité informationnelle, son jugement sonne faux.

Certes la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique autorise les avis en ligne, mais son décret d’application indique la nécessité de respecter les données personnelles (article D.111-18 du code de la consommation).

Elle précise aussi que seules les personnes ayant eu une expérience de consommation avec le professionnel peuvent donner leur avis : pas n’importe qui.

Certes le professionnel pourrait agir en justice pour demander la suppression d’un avis, et Google, comme tout hébergeur, offre la possibilité de faire un « signalement ».

Mais de leur côté, les auteurs des avis ne sont pas obligés de s’identifier, et peuvent être anonymes.

Contrairement à ce qu’affirme le jugement, il n’est donc pas « loisible » d’agir spécifiquement contre les internautes. Ajoutons à cela que Google n’a obligation de ne supprimer que des contenus « manifestement » illicites. Un privilège obtenu par les hébergeurs.

Le professionnel est ainsi pris en tenaille entre Google, par principe irresponsable, et une personne potentiellement anonyme, et par voie de conséquence, tout aussi irresponsable.

Pour justifier le sacrifice du professionnel, il est invoqué la liberté d’expression.

Alors que le droit des données personnelles a la même force juridique que cette liberté, le Tribunal fait primer cette dernière sur le premier.

Selon le jugement, la liberté d’expression doit primer sur le droit des données personnelles puisque, en cas d’abus, il est « loisible » de pouvoir agir contre les personnes.

Une affirmation que l’on peut retourner d’un revers de main.

Il est en effet « loisible » pour les internautes qui se plaignent des professionnels d’agir à leur encontre devant les Tribunaux au lieu de se faire justice eux-mêmes au travers des réseaux sociaux.

En principe, le Tribunal aurait, au contraire, dû faire prévaloir la protection des données personnelles du professionnel sur la prétendue liberté de Google et des internautes.

Compte tenu de l’impact de cette fiche, les droits du professionnel auraient en effet dû prévaloir sur l’intérêt économique de Google.

Ses droits auraient ensuite dû prévaloir sur l’intérêt des internautes, dont il n’est pas démontré la nécessité d’utiliser la fiche pour s’exprimer, ou l’intérêt prépondérant d’accéder à des avis.

Le Tribunal aurait ainsi dû opérer une véritable balance des intérêts de chacune des parties. Mais un seul son de cloche sonne : celui de Google, et des internautes.

A la fin du jugement, il est toutefois répondu à certains arguments du professionnel, comme l’interdiction de faire de la publicité, ou encore le secret médical. Mais la messe étant dite, les arguments du Tribunal ne sont ici que de pure forme.

Surtout que, au passage le Tribunal montre de manière ostentatoire son parti pris pour Google en arguant qu’il serait « disproportionné » d’exiger du fameux moteur qu’il informe les professionnels du traitement de leurs données. Une disproportion qui manifestement ne fonctionne que d’un seul côté.

A ce sujet, le Tribunal reprend l’argument de Google suivant lequel les données étant banales et non sensibles, cela serait disproportionné d’en informer les professionnels. Comme si la fiche n’avait que pour finalité de reprendre leurs données : le jugement confond ici traitement et données.

Sur l’information du professionnel, le Tribunal occulte aussi toutes les informations que Google a communiquées au dentiste en cours d’instance.

Il masque toutes les régularisations que Google a dû faire pour se mettre en conformité avec la loi, et passe outre les informations non encore diffusées, et les régularisations qui restent à effectuer.

Sur les formalités préalables, le Tribunal ne juge que du présent, et non du passé. Comme un simple juge du référé.

Concernant la communication des données exigées par le décret de 2011, le Tribunal reconnaît implicitement que Google n’a pas communiqué les données « certes prévues légalement », mais le justifie en raison du fait que le demandeur n’a pas agi à l’encontre des auteurs des avis. Mais comment agir à leur encontre quand précisément l’absence de ces données empêche de les identifier ?

Enfin, pour écarter les demandes subsidiaires du professionnel de limitation de sa fiche et des avis, le Tribunal utilise l’argument de Google suivant lequel cela serait incompatible avec l’article 5 du Code civil. Une justification commode, mais qui n’explique pas en quoi ces demandes nécessiteraient de prononcer des dispositions générales.

Le Tribunal condamne enfin le professionnel à payer, aux sociétés GOOGLE, la somme de 5000 euros de frais de justice. Après un mauvais pli, il est difficile de revenir en arrière. Seul lot de consolation : l’absence d’exécution provisoire du jugement.

Au final, il ressort de ce jugement le sentiment que l’affaire n’a pas été tranchée, que la messe n’a pas encore été dite, et qu’il est encore possible d’espérer.

Mais il faut avouer que, après la lecture d’un tel jugement, la foi en la justice est ébranlée. Plus rien ne s’oppose désormais à ce que nous soyons tous fichés, notés, évalués. Il ne faut pas croire que la liberté d’expression ait triomphé. Seul en ressortira gagnant l’intérêt financier de ceux qui font du « business » avec nos données.

Arnaud DIMEGLIO Avocat à la Cour, Docteur en droit, Titulaire des mentions de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, droit des nouvelles technologies, droit de l'informatique et de la communication. Bureau principal: 8 place St. Côme, 34000 Montpellier Bureau secondaire: 10 avenue de l’Opéra, 75001 Paris [http://www.dimeglio-avocat.com->http://www.dimeglio-avocat.com]

[3Cour d’appel de Paris, arrêt du 25 juin 2008, affaire Société Note2be.com/SNES FSU et autres

[5CEDH 27 juin 2017, Satakunnan Markkinapörssi oy et satamedia oy c. Finlande, paragraphe 188

[6Le professionnel s’était fondé sur l’article 1240 du code civil. La Cour de cassation vient désormais protéger la tranquillité sur le fondement de la vie privée (article 9 du Code civil) Cf https://dimeglio-avocat.com/2021/01....

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