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Délits de presse en Guinée : diffamation ou injure : distinction, moyens de riposte et sanctions. Par Abdoul Bah, Juriste.
Parution : jeudi 8 avril 2021
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L’apport majeur de la loi portant sur la liberté de la presse adoptée en 2010 est la suppression des peines privatives de liberté pour les délits de presse.
La diffamation ou l’injure commise désormais par voie de presse ou par tout autre moyen de communication relève d’un régime spécial de sanctions, lequel ne prévoit plus de peine d’emprisonnement.
Cette suppression de l’emprisonnement, avancée majeure de la réforme, peine encore à s’imposer dans la pratique car ces délits, même commis par des professionnels de la presse dans l’exercice de leurs fonctions, n’ont pas cessé de faire l’objet de sanctions privatives de liberté.

Article actualisé par son auteur en août 2021.

A titre préliminaire, convient-il de déterminer dans quelles conditions le régime dérogatoire de sanctions prévu par la loi précitée s’applique en matière de diffamation ou d’injure.
En effet, ce sont des infractions de droit commun c’est-à-dire ne pouvant pas être commises que par des professionnels de la presse, et ce par des moyens énoncés à l’article 98 de ladite loi :
« (…), par des discours, cris ou menaces dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, graffitis, peintures, caricatures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou l’image, vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par tout autre moyens de communication audiovisuelle, en ligne, (…) ».

Il est prévu par ailleurs à l’article 364 du code pénal que :
« La diffamation commise… Au moyen de discours, cris, menaces, proférés dans les lieux ou réunions publics, ou encore au moyen d’écrits vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, en tout cas par toutes voies autres que celles de presse, (…) »

De ces dispositions il résulte que les supports de communication de propos diffamatoires ou injurieux ne sont pas définis de façon limitative mais de manière ouverte, de sorte qu’en dehors notamment de la presse écrite, orale et en ligne, un autre moyen de communication semble particulièrement concerné : les réseaux sociaux.

Toutefois, il importe de se demander si ces derniers font partie ou non des supports de communication par voie de presse.
Dans la négative, c’est le droit commun (code pénal) qui s’applique en cas de commission via les réseaux sociaux (Facebook par exemple), les dispositions précitées n’excluant que la commission par voie de presse.

En revanche, dans l’hypothèse où les réseaux sociaux sont inclus dans les supports de communication par voie de presse, les dispositions en la matière desdits code et loi, tous susceptibles de s’appliquer, c’est le principe de l’application de la loi dans le temps qui volerait au secours, afin de déterminer la loi applicable.

Ainsi, il va de soi que c’est le code pénal qui pourrait normalement s’appliquer par l’effet abrogatoire dans la mesure où il date de 2016, soit postérieurement à la loi portant sur la liberté de la presse adoptée en 2010.
Le délit de diffamation ou d’injure commis donc via un réseau social se voit appliquer les sanctions prévues par le code pénal dont des peines d’emprisonnement donc.

De plus, la diffamation ou l’injure constitutive de délit de presse suppose une certaine publicité, c’est-à-dire les propos à l’origine sont mis à la disposition du public, raison pour laquelle cela semble renvoyer d’ailleurs à la diffamation ou l’injure publique. Par exemple, des propos proférés à haute voix publiquement ou dans un journal, magazine, sur internet….

A contrario, en l’absence de cette publicité, la diffamation ou l’injure serait de nature privée (proférer par sms ou mail des propos diffamatoires par exemple), ce qui, en bonne logique, supposerait de sanctions moins graves que celles prévues pour la diffamation ou l’injure publique, même si, en l’état actuel de la législation, la distinction ne semble pas prévue.

I - Distinction.

Si les délits de diffamation et d’injure visent communément à sanctionner une atteinte à l’honneur, il n’en demeure pas moins qu’ils constituent des infractions distinctes à bien des égards.

A- Diffamation.

Il est défini par l’article 108 de la loi portant sur la liberté de la presse comme étant [1] :
« Toute allégation ou imputation qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé, est une diffamation.
La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite de manière dubitative ou si elle vise une personne ou un corps expressément nommé, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours audiovisuels, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.
 »

Il en résulte qu’il faut nécessairement la réunion de 2 conditions pour caractériser le délit de diffamation :
- Une allégation ou imputation d’un fait qui, d’une part, porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’autrui, porte sur un fait précis et, d’autre part, vise une personne ou un groupe de personnes dont l’identification est possible ;
- L’auteur doit avoir agi sciemment, une intention présumée, et donc point besoin pour la victime de rapporter la preuve de l’intention de ce dernier à lui nuire.

En outre, la sanction pour délit de diffamation s’étend même à un tiers qui se limite juste à reproduire l’allégation ou l’imputation en cause (une publication indirecte). Par exemple, le fait pour un internaute de partager sur un réseau social des propos diffamatoires (écrit, audio ou vidéo) à l’égard d’une personne identifiée ou identifiable.

Il existe toutefois deux cas dans lesquels l’auteur desdits propos pourrait s’exonérer de toute responsabilité.
En effet, d’une part, la loi [2] permet à l’auteur de se dégager de toute responsabilité lorsqu’il est à même de prouver la vérité des faits diffamatoires, sauf lorsqu’ils concernent la vie privée de la victime notamment : c’est l’exception de vérité.
Exemple, publier ou partager sur internet un message qualifiant quelqu’un d’escroc en soutenant qu’il a perçu indûment des montants d’autrui ; dans ce cas, si l’auteur de ces propos rapporte le bien-fondé des propos, il pourrait invoquer le bénéfice de l’exception de vérité.

En revanche, si par exemple le message fait cas d’une relation extra-conjugale d’autrui, peu importe que l’auteur rapporte l’exactitude de ce fait il sera responsable, l’exception de vérité ne pouvant jouer si les faits litigieux relèvent de la vie privée d’autrui.

D’autre part, pour être dispensé de toute responsabilité, l’auteur peut arguer sa bonne foi en prouvant la légitimité du but poursuivi (le droit et l’intérêt du public à en être informé), la fiabilité de ses sources, sa sincérité, sa prudence…

B- Injure.

L’article 112 de la même loi [3] dispose que :
« Toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait, est une injure ».
Il en ressort que même si l’injure peut être aussi toute expression offensante à l’image de la diffamation, contrairement à celle-ci, c’est une allégation de faits non précis, des propos donc violents ou dégradants qui sont nécessairement isolés.

A l’instar de la diffamation, l’élément intentionnel est présumé, et le fait de publier ou tenir notamment sur internet des propos injurieux suffit à le caractériser. Par exemple, qualifier autrui de menteur, de voleur ou de conard sans fondement factuel précis.

Néanmoins, il convient de faire remarquer qu’il n’est pas souvent aisé de distinguer des propos diffamatoires de ceux injurieux, et que parfois les uns sont indivisibles des autres [4].
Dans ces conditions, une attention particulière s’impose en termes de qualification de l’infraction d’autant que la recevabilité de la demande en dépend notamment.
En effet, lorsque des propos injurieux sont indivisibles d’allégation de nature diffamatoire (présence de deux délits), l’un est généralement absorbé par l’autre ; ainsi, seule prévaut la qualification du délit dont la sanction est la plus élevée.

Lorsqu’en revanche dans une publication des propos injurieux sont divisibles de ceux diffamatoires, pourrait s’imposer nécessairement une double qualification sans pour autant que cela entraîne un cumul de peines au titre des délits distincts ; ainsi seule sera retenue la plus élevée des peines applicables en présence.

Au-delà, contrairement à la diffamation, le fait de prouver la vérité des faits allégués n’exonère aucunement l’auteur d’injure de sa responsabilité.
Néanmoins, l’excuse de provocation – l’injure constituant une réaction à l’attitude de la victime par exemple – pourrait exonérer ou atténuer sa responsabilité sous réserve notamment que l’offense en cause paraisse proportionnée [5].

II- Moyens de riposte.

Une personne qui s’estime victime de propos diffamatoires ou injurieux dispose de plusieurs moyens de riposte [6].

A- L’exercice d’un droit de réponse.

C’est une voie de recours non contentieuse offerte à la victime qui s’exercice selon le canal de publication utilisé par l’auteur des propos litigieux.
Lorsque l’auteur a utilisé des sites pouvant être considérés comme hébergeurs (par exemple, Google, Facebook, YouTube…), la victime pouvant réagir à la publication sur ces sites, peut répondre immédiatement et directement aux propos en cause. C’est un premier réflexe à avoir naturellement pour démentir les attaques, et ce afin de limiter le préjudice subi.

En revanche, lorsqu’il a utilisé d’autres sites d’informations (par exemple, la presse audiovisuelle, en ligne), l’exercice du droit de réponse obéit à un régime légal particulier [7].
Précisément, lorsque c’est un organe de presse en ligne qui a publié les propos litigieux, la personne (morale ou physique) mise en cause peut adresser une réponse au directeur de publication de l’organe de presse, lequel est tenu d’en publier dans des conditions restrictives [8] sous peine de condamnations pécuniaires.

B- La saisine du juge des référé pour le retrait des propos litigieux.

La victime peut saisir le juge qui peut prendre toutes mesures urgentes afin de prévenir, limiter un dommage ou de faire cesser un trouble manifestement illicite le cas échéant, un recours qui s’avère primordial et très utile [9].
En effet, avant d’attaquer sur le fond l’auteur devant le juge [10], il est vivement conseillé de saisir le juge des référés pour faire ordonner le retrait rapide du site des propos en vue de limiter le préjudice. Il est possible aussi de solliciter l’allocation d’une indemnité provisionnelle.
Lorsque c’est la presse en ligne qui est mise en cause, on peut également solliciter du juge qu’il ordonne au responsable de l’organe de presse, de publier la décision de condamnation sur la page d’accueil de son site, et ce selon des modalités fixées par le juge.
Par ailleurs, pour saisir le juge du fond ou le juge des référés, la victime doit le faire dans un délai de 6 mois à compter de la date de publication des propos litigieux, sous peine de prescription de son action en justice [11].
Ainsi, la découverte en ligne d’un message à caractère diffamatoire ou injurieux six mois après sa publication lui est absolument préjudiciable à la victime en ce qu’elle ne peut plus recourir au juge, raison pour laquelle faut-il redoubler de vigilance de cet égard.
Lorsqu’un tiers reproduit, partage ou republie en ligne lesdits propos, il est aussi responsable que l’auteur qui a publié le premier ; sauf dans ce cas c’est un nouveau délai de prescription qui court à compter de l’action dudit tiers, second auteur susceptible d’être poursuivi pour les mêmes faits donc.

III - Sanctions.

Les sanctions varient selon que l’infraction a été commise par voie de presse ou par d’autres que celles-ci.

A- Par voie de presse.

Comme rappelé plus haut, il n’est plus possible de prononcer des peines d’emprisonnement à l’égard de l’auteur d’un délit de diffamation ou d’injure commis par voie de presse, et ce quel que soit le moyen utilisé. L’amende est dès lors l’unique sanction pénale dont le montant varie selon la qualité de la victime.
S’agissant d’une diffamation, lorsqu’elle vise des personnes dépositaires de l’autorité publique ou des personnes en raison de leur origine, de leur appartenance ou non à une ethnie…, l’amende est plus élevée que celle visant des particuliers : de 1 000 000 à 5 000 000 fg dans le premier cas de figure, de 10 000 000 à 20 000 000 dans le deuxième et de 500 000 à 2 000 000 fg dans le dernier [12].

S’agissant d’une injure publique, lorsqu’elle vise une personne dépositaire de l’autorité, l’amende visant les particuliers auteurs de diffamation est celle applicable. Lorsqu’elle vise des personnes en raison de leur origine, de leur appartenance ou non à une ethnie…, la peine prévue en cas de diffamation dans les mêmes conditions s’applique également (cf. supra).
En revanche, concernant des particuliers victimes d’un délit d’injure (commis par voie de presse), il semble que le législateur a omis de prévoir la peine applicable – ni séparément encore moins par renvoi à d’autres dispositions à l’image des cas ci-dessus).

Serait-on tenté de croire que le juge, saisi pour délit d’injure commis via la presse envers un particulier, n’étant plus permis de prononcer une peine d’emprisonnement comme dans le cas de la diffamation dans les mêmes conditions, pourrait se référer à l’amende prévue par le Code pénal pour le cas d’injure commis à l’égard des particuliers par d’autres voies que celles de presse (de 500 000 à 1 000 000 fg) [13], ce qui serait de nature à considérer l’injure moins grave que la diffamation commise par voie de presse (cf. supra).
De plus, le juge civil peut condamner l’auteur, voire le responsable de presse à payer à la victime des dommages et intérêts au titre du préjudice subi.
Du reste, dans le cas où c’est un organe de presse qui est en situation de récidive, le juge peut ordonner la suspension de celui-ci s’il est retenu responsable [14].

Enfin, tel précisé dans le cadre d’un référé (v. supra), la victime peut aussi solliciter du juge qu’il soit ordonné que la décision de condamnation de l’auteur ou du directeur de publication responsable des propos incriminés fasse l’objet d’une publication à ses frais.

B- Par d’autres voies que celles de presse.

S’agissant d’une diffamation, lorsqu’elle vise des personnes dépositaires de l’autorité publique ou des personnes en raison de leur origine, de leur appartenance ou non à une ethnie…, l’amende est plus élevée que celle visant des particuliers : de 1 000 000 à 5 000 000 fg dans le premier cas de figure, de 10 000 000 à 20 000 000 dans le deuxième et de 500 000 à 2 000 000 fg dans le dernier.

S’agissant de la diffamation visant des personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargés de missions de service public notamment, elle est punie d’une peine d’emprisonnement de 1 mois à 1 an et/ou d’une amende de 500 000 à 1 000 000 de fg, et d’une peine d’emprisonnement de 16 jours à 6 mois et/ou de la même amende lorsqu’elle vise des particuliers [15].
Quant à l’injure, dans le premier cas qui précède, elle est punie d’une peine d’emprisonnement de 16 jours à 6 mois et/ou d’une amende de 500 000 à 2 000 000 de fg et, dans le second, d’une peine d’emprisonnement de 16 jours à 3 mois et/ou de la même amende qu’en matière de diffamation à l’égard des particuliers [16].

En définitive, force est de constater in fine que l’internet notamment n’est pas non plus un espace de non-droit, de déversoir de tout et de n’importe quoi, voire de défouloir comme bon nous semble.
L’internet, étant un domaine à évolution exponentielle, le droit essaye du mieux qu’il peut de le régir à des fins de protection et de défense des personnes, notamment celles victimes de diffamation ou d’injure.
Convient-il de faire remarquer qu’un particulier, pour réussir à faire sanctionner un délit de diffamation et/ou d’injure dont il est victime, doit déposer une plainte, sauf lorsqu’elle a été visée pour des raisons particulières (appartenance ethnique, religion, origine, race…) ; auquel cas le procureur pourrait aussi, de sa propre initiative, déclencher une poursuite [17].

Contrairement, lorsque la victime est une personne dépositaire de l’autorité publique (le Président de la république par exemple), la poursuite est engagée d’office par le ministère public, sauf opposition expresse de la victime [18]

Abdoul Bah, Juriste.

[1V. égal. Art.363 du code pénal.

[2Article 114 de la loi sur la liberté de presse.

[3V. égal. Art. 363 du Code pénal.

[4Voir l’article 144 de la loi précitée.

[5Voir l’article 145 de la loi sur la liberté de de la presse.

[6Voir en ce sens la revue Lamy des collectivités territoriales, décembre 2011, n°74.

[7Voir l’article 18 et s. de la loi sur la liberté de la presse.

[8Le directeur est tenu de publier la réponse dans un délai, en principe, de 3 jours ou au plus prochain numéro à compter de la réception. Quant à la victime, sa demande d’insertion forcée de sa réponse, doit être faite dans les 6 mois à compter de la date de publication des propos en cause sous peine de prescription.

[9Article 850 du Code de procédure civile économique et administrative (CPCEA).

[10Voir l’article 126 et s. de la loi précitée.

[11Article 146 de la loi précitée.

[12Article 109 et s. de la loi sur la liberté de la presse.

[13Voir l’article 366 du Code pénal.

[14Voir les articles 111 et 112 de ladite loi.

[15Art. 364 et 365 du Code pénal.

[16Art. 366 du Code pénal.

[17Article 128 in-fine de la loi de la même loi.

[18Voir l’article 128 de la même loi.