Village de la Justice www.village-justice.com

Conflits, âge, éloignement : les incertitudes de la résidence alternée. Par Florise Garac, Avocate et Angélique Tessier, Elève-Avocate.
Parution : dimanche 11 avril 2021
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/conflits-age-eloignement-les-incertitudes-residence-alternee,38750.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

A l’issue d’une séparation, un couple, marié ou non, devra prendre une décision concernant la résidence de l’enfant commun. A défaut d’accord trouvé entre les parents, ces derniers devront saisir le juge aux affaires familiales afin qu’il statue sur la résidence de l’enfant.

Depuis la loi du 4 mars 2002, l’article 373-2-9 du Code civil dispose que « la résidence de l’enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents », ce que l’on nomme communément la garde alternée, « ou au domicile de l’un d’eux ».

Lorsque la résidence de l’enfant est fixée au domicile de l’un des parents, le juge aux affaires familiales accorde un droit de visite et d’hébergement à l’autre parent et fixe les modalités d’exercice de ce droit qui se traduisent souvent par l’accueil de l’enfant un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires, ce que l’on appelle habituellement le droit de visite et d’hébergement « classique ».

Ce droit de visite et d’hébergement est bien souvent accompagné, pour le parent qui en dispose, de l’obligation de verser une pension alimentaire entre les mains du parent chez lequel la résidence de l’enfant est fixée au titre de la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant, ce qui n’exclut pas le versement d’une telle pension dans le cadre d’une résidence alternée.

Selon les recommandations de l’article 373-2-11 du Code civil, le juge aux affaires familiales fixe la résidence de l’enfant en prenant en considération :
- La pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les accords qu’ils avaient pu conclure antérieurement ;
- Les sentiments exprimés par l’enfant mineur ;
- L’aptitude des parents à assumer leurs devoirs et respecter les droits de l’autre ;
- Le résultat des expertises éventuellement effectuées, tenant compte notamment de l’âge de l’enfant ;
- Les renseignements qui ont été recueillis dans les éventuelles enquêtes sociales ;
- Les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l’un des parents sur la personne de l’autre.

L’opportunité de mettre en place une résidence alternée doit être questionnée en présence d’un conflit parental (I), d’un enfant en très bas âge (II), ou d’un important éloignement géographique séparant les parents (III).

I. La résidence alternée en présence d’un conflit parental.

En présence d’un conflit entre les parents, le juge aux affaires familiales doit accorder ou refuser la résidence alternée en veillant spécialement à la sauvegarde des intérêts de l’enfant [1].

Ainsi, la question se pose de savoir si, face à la mésentente avérée de ses parents, l’intérêt de l’enfant se trouve dans la continuité et l’effectivité du lien avec chacun d’eux ou s’il réside plutôt dans le fait de ne pas être pris dans un potentiel conflit de loyauté.

La jurisprudence ne donne pas de réponse unique à cette question et deux tendances s’opposent.

A. L’absence de résidence alternée en cas de conflit parental.

Selon certains magistrats la résidence alternée supposerait comme prérequis un authentique consensus entre les parents sur les méthodes éducatives [2], une communication sereine et apaisée ainsi qu’une attitude bienveillante, du moins neutre et en tout cas dénuée de tout dénigrement à l’égard de l’autre parent dont le rôle doit être respecté [3] ce qui irait en défaveur de sa mise en place en présence d’un conflit parental.

De même, l’intérêt de l’enfant, qui a besoin de sérénité pour se construire, préconiserait que ce dernier soit tenu à l’écart du conflit de ses parents, pour vivre l’alternance de sa résidence de manière apaisée et épanouie.

Dès lors, la résidence alternée pourrait être destructrice [4] pour l’enfant qui serait exposé à la tension entre ses parents de façon quasi-quotidienne et qui subirait les conséquences néfastes de l’absence de communication entre eux [5].

Par ailleurs, les discussions et rencontres entre les parents dans la cadre d’une résidence alternée seraient susceptibles d’aggraver leur conflit [6]. Face à un tel climat, certains juges se montrent réticents à accorder une résidence alternée aux parents et iront même jusqu’à restreindre le droit de visite et d’hébergement de façon à ce que les contacts entre eux soient les plus limités possibles : le passage de bras pouvant être réalisé dans des lieux publics [7], ou à la sortie de l’école.

B. La résidence alternée malgré le conflit parental.

Les magistrats favorables à la mise en place d’une résidence alternée malgré l’existence d’un conflit parental considèrent que les bénéfices de ce mode d’exercice de l’autorité parentale sont supérieurs aux désavantages résultant de la mésentente entre les parents à laquelle l’enfant peut être confronté quel que soit son mode de résidence [8].

La résidence alternée permet en effet à l’enfant de bénéficier de l’apport de ses deux parents [9] et est à ce titre une source d’équilibre affectif et d’épanouissement pour ce dernier [10], dès lors la mésentente des parents ne saurait, à elle seule, établir l’impossibilité manifeste de mettre en place une résidence alternée [11] tant qu’elle n’a pas de conséquences sur l’enfant. En effet, aucune raison ne s’oppose à la résidence alternée si les parents n’instrumentalisent pas l’enfant, et n’entretiennent pas à travers lui le conflit.

Afin de surmonter l’éventuelle stratégie qui consisterait à entretenir le conflit pour faire obstacle à la résidence alternée, les magistrats en appellent à la responsabilisation des parents dans l’intérêt de leur enfant au moyen de plusieurs outils mis à leur disposition.

1. La médiation familiale.
Pour amener les parents à adopter une attitude d’adultes responsables, sereins et tournés vers le bien-être de leur enfant, le juge peut inciter [12], voire enjoindre les parties à rencontrer un médiateur familial [13].

2. La résidence alternée probatoire  [14].
Prévue par l’alinéa 2 de l’article 373-2-9 du Code civil, la résidence alternée probatoire permet au juge aux affaires familiales d’ordonner de manière provisoire, pour une durée qu’il détermine, une résidence alternée. A l’issue de la période probatoire, le juge aux affaires familiale pourra confirmer la résidence alternée s’il constate que les parents se sont montrés soucieux de préserver leur enfant de leur conflit parental [15].

Toutefois, le juge n’est jamais tenu de mettre en place une résidence alternée probatoire, il ne s’agit là que d’une faculté.

3. Le passage de bras à l’école.
Enfin, afin d’éviter toute difficulté lors du passage de bras, le juge aux affaires familiales peut décider que l’alternance se déroulera lors de la sortie des classes ce qui limite les rencontres entre les parents en conflit [16].

En l’absence de jurisprudence constante sur ce point, qui dénote des sensibilités différentes d’un juge à l’autre, il est donc préférable que chacun des parents tente de tenir le conflit à distance pour évoquer l’avenir de leur enfant commun et aboutir à une solution amiable sur sa résidence.

II. La résidence alternée en présence d’un enfant en bas âge.

Il y a quelques années encore, la tendance allait dans le sens de la fixation de la résidence de l’enfant en très bas âge au domicile de sa mère.

A titre d’exemple, la Cour d’Appel de Paris, après avoir rappelé que la résidence alternée était fondée sur le droit de l’enfant d’entretenir des liens avec chacun de ses parents et non pas sur le droit des parents de se partager l’enfant, a relevé que la grande faculté d’adaptation d’un jeune enfant ne permettait pas d’écarter les conséquences néfastes de la résidence alternée. Dès lors que le très jeune enfant a besoin de maternage et de stabilité pour se construire harmonieusement, la résidence alternée n’apparaît pas correspondre à son intérêt, ce qui a conduit la Cour d’appel à fixer la résidence de l’enfant au domicile de sa mère et à accorder un droit de visite et d’hébergement au père [17].

Toutefois, il apparait qu’avec l’évolution des mœurs et la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes, un courant jurisprudentiel préconise la mise en place d’une résidence alternée malgré le jeune âge de l’enfant compte tenu de sa capacité d’adaptation.

Dans un arrêt du 2 mai 2016, la Cour d’Appel de Limoges a fixé une résidence alternée pour un enfant de 3 ans et demi en invoquant la nécessité pour ce dernier d’entretenir des relations de qualité avec chacun de ses parents [18].

Ce qui ne va pas sans susciter des critiques. En particulier, celles des praticiens dans le domaine de la psychologie qui s’accordent pour dire que l’absence de stabilité de la résidence du très jeune enfant fait obstacle à son développement cognitif puisque toute son énergie est mobilisée pour s’adapter à l’instabilité de sa résidence [19].

L’enfant devrait donc, selon ces experts, disposer dans les premières années de sa vie d’un domicile stable indispensable à sa construction. A titre d’exemple, M. Bernard Golse, pédopsychiatre-psychanalyste, a estimé que la mesure de résidence alternée devrait être proscrite chez les enfants jusqu’à trois ans environ, voire quatre ans pour certains [20].

Celui-ci déconseille le recours à tout mode d’alternance qui entraine un éloignement de l’enfant de sa « figure d’attachement » à un rythme inapproprié, car trop long ou répétitif, par rapport à son développement, ce qui exclut aussi le droit de visite et d’hébergement pendant une semaine entière.

Concernant le parent chez lequel la résidence de l’enfant devrait être fixée pour assurer sa stabilité, il convient de souligner que le droit ne fait aucune distinction quant aux capacités des parents et ne prévoit pas de régime préférentiel en faveur de l’un d’eux. La résidence devra seulement être fixée chez le parent qui représente « la figure de sécurité » pour l’enfant [21]. Du fait du lien établi durant la grossesse et de la législation relative au congé maternité, la mère, sous réserve qu’elle ne soit pas défaillante, est « le principal pourvoyeur de soin » [22] du très jeune enfant et se voit, à ce titre, souvent attribuer la résidence principale de ce dernier comme ce fut le cas dans un arrêt rendu par la Cour d’appel de Besançon du 23 juin 2017. La Cour d’appel, après avoir rappelé que « la loi commande de fixer la résidence de l’enfant en fonction de son intérêt propre et non de celui de l’un de ses parents ou pour rechercher une égalité parentale finalement néfaste à l’enfant », l’a dans ce cas d’espèce fixée chez sa mère [23].

En tout état de cause, il convient de souligner que l’attribution de la résidence d’un enfant ne doit jamais être vécue comme une victoire d’un parent sur l’autre car seul l’intérêt de l’enfant compte [24].

III. La résidence alternée en présence d’un éloignement géographique important des domiciles des parents.

La résidence alternée qui conduit au changement de domicile de l’enfant de manière récurrente n’est envisageable qu’à la condition qu’une distance raisonnable sépare les domiciles de ses parents.

Qu’est-ce qu’une distance raisonnable ? Il n’existe pas de réponse précise à cette question.

Le caractère raisonnable de la distance qui sépare les résidences des parents est souverainement apprécié par le juge aux affaires familiales, lequel tient également compte de la distance qui sépare ces domiciles de l’école de l’enfant.

Sur ce point, la Cour d’Appel de Rennes [25] a confirmé un jugement qui refusait la résidence alternée en ces termes :

« Il y a lieu de relever que Monsieur X travaille au sud de l’agglomération nantaise. Et même s’il justifie, (…) que la fonction (…) qu’il exerce ne comporte aucun horaire strict, il y a lieu de considérer que cet éloignement géographique de plus de 90 kms du lieu de scolarisation d’enfants encore jeunes qui ne peuvent par ailleurs se rendre facilement sur le lieu d’habitation de leur père (15 kms entre le lieu de scolarisation et le lieu d’habitation du père) ne permet pas de faire droit à la mise en place d’une résidence alternée. En effet cette contrainte supplémentaire est exclusive d’un intérêt pour les enfants à la résidence alternée une semaine sur deux. Le jugement qui a prévu un droit d’accueil élargi du jeudi après la classe au lundi matin sera confirmé sur ce point ».

Ainsi, la mise en place d’une résidence alternée est rendue impossible lorsque la distance qui sépare le domicile d’un parent à l’autre ainsi qu’à l’école est de nature à entrainer une fatigue excessive de l’enfant en contradiction avec son intérêt.

Toutefois, lorsque les parents vivent dans la même commune, la résidence alternée est plus communément admise, à l’exception de grandes villes, au premier rang desquelles Paris, où il a pu être estimé qu’une résidence alternée n’était pas envisageable entre des parents habitant dans des arrondissements différents compte tenu de la fatigue générée par les trajets dont la durée se trouve fréquemment allongée aux heures de pointes.

Conclusion.

La fixation de la résidence d’un enfant en bas âge ou en présence d’un conflit parental est soumise à un fort aléa judiciaire qui devrait encourager les parents à trouver un accord conforme à l’intérêt de leur enfant, si besoin en ayant recours aux modes alternatifs de règlement des différends (MARD) dont fait partie la médiation familiale.

Me Florise GARAC, Avocate et Angélique TESSIER, élève-avocate [->fgarac@avolex-avocats.com] 19, rue Auber - 75009 PARIS

[1Article 373-2-6 du Code civil.

[2Cour d’appel de Douai, 7 juin 2012, 11/05226.

[3Cour d’Appel de Dijon, 29 septembre 2019, 15/00989.

[4Cour d’Appel de Nancy, 29 aout 2016, 16/01852

[5Cour d’Appel de Paris, 13 juin 2017, 15/02267.

[6Cour d’Appel de Chambery, 22 mai 2017, 16/0049.

[7Cour d’Appel de Nancy, 29 aout 2016, 16/01852.

[8Cour d’Appel de Chambéry, 23 janvier 2017, 16/01313.

[9Cour d’Appel de Nancy, 23 janvier 2017, 16/00615.

[10Cour d’Appel de Nancy, 17 juin 2017, 16/01238.

[11Cour d’Appel de Douai, 22 juillet 2011, 17/04027.

[12Cour d’Appel de Bordeaux, 18 octobre 2016, 15/06140.

[13Article 373-2-10 du Code civil.

[14Cour d’appel de Nancy, 19 juin 2017, 16/01238.

[151ère civ, 14 février 2006, n°05-13.202.

[16Cour d’Appel de Nancy, 23 janvier 2017, 16/00615.

[17Cour d’Appel de Paris, 9 juillet 2015, 14/18153.

[18Cour d’Appel de Limoge, 2 mai 2016, 15/00853.

[19https://www.huffingtonpost.fr/eliette-abecassis/garde-alternee-consequences-psychologiques_b_4056539.html sur le colloque du 4 octobre 2013 organisé par l’Association mondiale de santé mentale du nourrisson.

[20Golse Bernard, « résidence alternée - Point de vue d’un pédopsychiatre », AJ Famille, janvier 2012, page 44-45.

[21https://www.huffingtonpost.fr/eliette-abecassis/garde-alternee-consequences-psychologiques_b_4056539.html sur le colloque du 4 octobre 2013 organisé par l’Association mondiale de santé mentale du nourrisson.

[22Jacqueline Phélip, sage-femme, présidente de l’association « L’enfant d’abord » et auteure, https://entreleslignesentrelesmots.blog/2018/09/19/garde-alternee-dans-linteret-des-enfants-ou-des-parents/

[23Cour d’Appel de Besançon, le 23 juin 2017, 16/00481.

[24Cour d’Appel de Douai du 22 juillet 2011, 11/04027

[25Cour d’Appel de Rennes, 27 novembre 2012, 11/07176.