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Le barème Macron menacé ? La fronde des juridictions se durcit en 2021. Par Xavière Caporal, Avocate et Angélique Tessier, Elève-Avocate.
Parution : vendredi 9 avril 2021
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Les récentes décisions du Conseil de prud’hommes de Nantes (CPH Nantes, 05 février 2021, n° 20/00025) et de la Cour d’Appel de Paris (CA Paris, 16 mars 2021, n°19-08.721) qui écartent l’application du barème d’indemnisation pour licenciement abusif prévu par l’article L1235-3 du Code du travail, mesure phare du Gouvernement d’Emmanuel Macron, permettent de faire le point sur les derniers rebondissements de cette saga judiciaire.

Pour rappel, ce barème s’applique aux licenciements réalisés à compter du 22 septembre 2017 et encadre les indemnités versées aux salariés licenciés abusivement en tenant uniquement compte de leur ancienneté dans l’entreprise, et non pas de leur situation particulière (âge, qualification, charges de famille, opportunités de retour à l’emploi, perte de revenus à l’issue de la rupture du contrat de travail, handicap etc.).

L’argument principal soulevé contre l’application du barème réside dans le fait qu’un tel plafonnement ne permet pas au salarié d’obtenir la réparation de son préjudice réel. Le juge est, en effet privé de la possibilité de lui accorder des dommages et intérêts plus élevés que ceux prévus par le barème.

Le barème violerait ainsi l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT et l’article 24 de la Charte Sociale Européenne qui reconnaissent le droit des travailleurs licenciés sans motif valable de recevoir « une indemnité adéquate ou (…) une autre réparation appropriée ».

Dès 2018, différents Conseils de prud’hommes ont eu à se prononcer sur la compatibilité du barème avec le droit international et plusieurs d’entre eux, à commencer par celui de Troyes [1], ont déclaré le barème inconventionnel et ont écarté son application.

Pour plus d’informations sur ces jugements : Le plafonnement des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse : le barème « Macron » en sursis ?

Les avis de la Cour de cassation.

Dans deux avis du 17 juillet 2019 [2], l’Assemblée plénière de la Cour de cassation indiqué que l’article 24 de la Charte Sociale Européenne ne s’appliquait pas dans des litiges entre particuliers et a reconnu la conformité abstraite du barème « Macron » à l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT ce qui aurait pu mettre un terme au débat.

La poursuite de la fronde des Conseils de prud’hommes.

Ces deux avis n’étant pas contraignants, les Conseils de prud’hommes ont continué d’écarter le barème dans les décisions suivantes :
- CPH Grenoble, départage, 22 juillet 2019, 18/00267,
- CPH de Nevers, 26 juillet 2019, 18/00050,
- CPH de Pau, 26 juillet 2019, 18/00160,
- CPH de Troyes, 29 juillet 2019, 18/00169,
- CPH du Havre, 10 septembre 2019, 18/00413,
- CPH de Boulogne Billancourt, 18 septembre 2019, 18/00444,
- CPH de Limoges dans 3 jugements du 1er octobre 2019, 19/00113, 114 et 115,
- CPH de Saint Germain en Laye, 08 juin 2020, 18/00290.

En dernier lieu, le Conseil de prud’hommes de Nantes a reconnu que la réparation adéquate du préjudice du salarié dépassait le plafond du barème qui devait donc être écarté [3].

Le ralliement des Cours d’appel.

Les Cours d’Appel, uniquement composées de juges professionnels, ont également rappelé leur faculté d’écarter le barème lorsque dans un litige qui leur est soumis, il affecte de manière disproportionnée le droit du salarié d’obtenir l’entière réparation de son préjudice.

Dans son arrêt du 25 septembre 2019, la Cour d’Appel de Reims [4] a longuement rappelé l’existence des deux types de contrôles de conventionnalité. Le premier, abstrait qui porte sur la règle de droit elle-même et le second, concret qui porte sur les conséquences de l’application de ladite règle dans des circonstances précises.

Pourtant, faute pour la salariée d’avoir demandé à la Cour d’exercer un contrôle de conventionnalité concret, celle-ci a refusé d’y procéder et a, en conséquence, appliqué le barème légal.

Ainsi, la reconnaissance par les Cours d’Appel de la possibilité d’apprécier au regard de la situation particulière du salarié, la conventionnalité du barème n’aboutit pas toujours à son inapplication.

Toutefois, dans son arrêt du 6 novembre 2020, la Cour d’Appel de Bourges [5] a franchi le pas puisqu’elle a été la première à allouer à un salarié des dommages et intérêts supérieurs au plafond fixé par l’article L1235-3 du Code du travail afin de réparer intégralement son préjudice.

Dans la continuité de ce raisonnement, la Cour d’Appel de Paris a jugé très récemment le 16 mars 2021 [6] que compte tenu de la situation concrète et particulière de la salariée, le montant prévu par l’article L1235-3 du Code du travail ne permettait pas une indemnisation adéquate et appropriée du préjudice subi, contrairement aux exigences de l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT. En effet, la salariée justifiait d’un préjudice équivalent à 32 000 euros correspondant à la diminution depuis le licenciement de ses ressources financières, or le barème prévoyait une indemnité maximale de 4 mois de salaires équivalente à 17 615 euros ce qui représentait à peine la moitié du préjudice subi. En conséquence, la Cour d’Appel a écarté l’application du barème et a alloué à la salariée la somme de 32 000 euros correspondant à l’intégralité de son préjudice.

Ces jurisprudences invitent donc les employeurs à être vigilants dans la mise en œuvre des licenciements, notamment lorsque les salariés ont peu d’ancienneté.

Maître Xavière CAPORAL, Avocate et Angélique TESSIER, élève-avocate AVOLEX AVOCATS [->xcaporal@avolex-avocats.com] 26, rue du Boccage - 44000 NANTES

[1CPH Troyes, 13 décembre 2018, n°18/00036.

[2Avis n°15012 et 15013.

[3CPH Nantes, 05 février 2021, n° 20/00025.

[4CA Reims, 25 septembre 2019, n° 19/00003.

[5CA Bourges, 6 novembre 2020, n°19/00585.

[6CA Paris, 16 mars 2021, N°19-08.721.