Village de la Justice www.village-justice.com

Contrat de collaboration des avocats : alors... on change ?
Parution : mardi 25 juillet 2023
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/contrat-collaboration-des-avocats-alors-change,38763.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Le contrat de collaboration est une des marques de fabrique de la profession d’avocat. Assise sur un édifice réglementaire (lois, décrets, RIN), la lecture du rapport rendu en novembre 2020 par la Commission « Protection de la collaboration » du Barreau de Paris  [1] montrait cependant que la protection des collaborateurs était à revoir.
Pour autant le modèle du contrat de collaboration n’est pas désuet, tant il permet aux jeunes avocats d’être recrutés en un temps record dans un cadre correspondant à l’esprit d’indépendance de la profession libérale et plus largement de notre économie actuelle.
L’ordre des avocats du Barreau de Paris s’est remis à l’ouvrage sur ce sujet en 2022, avec les chantiers de la collaboration.
De son côté, le CNB lancé en 2022 sa propre enquête sur le sujet.
Le Village de la Justice vous détaille tout cela ici.

Les chiffres et données de 2020.

- Un mode d’exercice largement répandu.

Premier constat dès les premières lignes du rapport précité [2] si les difficultés d’exercice en collaboration demeurent, il reste un mode d’exercice largement répandu : 40% des avocats pour le Barreau de Paris, une moyenne de 30% en France.

Aussi, si la spécificité du Barreau de Paris en la matière est réelle, les réflexions autour de ce contrat sont donc transposables notamment aux autres grands barreaux qui approchent cette moyenne : Lyon (34%), Bordeaux (30%), Lille (29%), Nantes (29%) notamment  [3]

- Un bilan en demi-teinte.

Pourtant, le Conseil de l’Ordre souligne qu’il a œuvré et œuvre toujours pour la protection de ce statut, d’autant plus que sa "remise en cause pure et simple" apparaît comme une hypothèse sérieuse. Cela aurait le mérite de la simplicité !
Pour autant, le rapport n’entend pas s’y résoudre, d’autant plus qu’il le rappelle : les consœurs et confrères restent malgré tout attachés à ce mode d’exercice.

Donnons quelques chiffres liminaires tirés du rapport :
- 68% des collaborateurs sont satisfaits de leur collaboration : la majorité donc... même si le tiers restant n’est pas une fraction négligeable !
- Plus positif : les collaborateurs déclarent à 80% qu’ils ont trouvé leur première collaboration en moins de 3 mois.
- 56% des collaborateurs ont une rémunération supérieure à 5 000 euros HT.

Voilà pour les données que le rapport qualifie "d’encourageantes". Du côté des données "inquiétantes", il faut noter qu’un collaborateur sur deux indique avoir été victime de "pressions ou des manquements graves" à leur déontologie.

Plus prosaïquement, il est de nouveau constaté que les collaborateurs peinent à développer leur clientèle, essentiellement par manque de temps. Au-delà des chiffres, le rapport évoque les nombreux commentaires : "Parmi les 430 commentaires adressés à la Commission - dont la plupart émanent de collaborateurs - une très grande majorité dénonce cette situation, affirmant que le contrat de collaboration n’est ni plus, ni moins qu’un contrat de travail déguisé." Autrement dit, "les collaborateurs ont le sentiment de ne pas être traités comme des libéraux. "

- Quels axes de réforme ?

Parmi les 9 axes de réforme proposés par la commission, 3 ont particulièrement retenu notre attention :

> Au stade de la formation initiale.

Le rapport se prononce pour "dès la formation initiale, ancrer les principes de la collaboration libérale" et concrètement mieux informer les futurs collaborateurs sur leurs droits.
Et la commission ne mâche pas ses mots à propos de celle qui justement dispense cette formation : "On le sait : la formation de l’Ecole de la Formation du Barreau (EFB) ne donne pas satisfaction aux élèves-avocats."
Les lacunes de la formation influent donc directement sur le déroulé du contrat de collaboration.
Il faudrait toujours selon le rapport rendre au contrat de collaboration sa "philosophie libérale" c’est à dire "bien faire admettre à toutes et tous que le non-respect du contrat de collaboration libérale, et notamment une de ses caractéristiques substantielles (la clientèle personnelle), dénature purement et simplement les relations entre les parties et anéantit leur équilibre."
"Management" : le mot est lâché ! La commission ose : "les élèves-avocats d’aujourd’hui seront vraisemblablement des managers après-demain."
Là aussi, l’EFB doit donc œuvrer, avec l’aide des cabinets puisque ceux entendus par la Commission "seraient heureux de participer, auprès des enseignants, aux formations managériales."
La commission érafle au passage le rapport Clavel/ Haeri en s’opposant à la proposition de raccourcir de 3 mois la formation en école : elle plaide plutôt pour que ce temps soit consacré aux propositions d’enseignements susvisées.

> En formation continue.

Elle permettrait de prolonger les enseignements sur le sujet, et de les élargir à l’ensemble des avocats. Là c’est bien le Barreau qui pourra porter directement cette réforme, notamment par le biais là aussi d’une formation en management qui resterait cependant facultative. La commission lui préfère plutôt une formation "transversale" sous forme finalement de "jeu de rôles", permettant de fluidifier le dialogue entre collaborateur et cabinet.

> Au stade du recrutement.

Comme il a été souligné plus haut, le marché est réactif. Pour autant, le recrutement des collaborateurs reste une préoccupation, et un axe d’amélioration qui peut s’appuyer sur les nouveaux outils comme :
- la création d’une plateforme en ligne de recrutement, l’annonce en ligne étant le premier biais de recrutement.
- l’image numérique des avocats pour soigner le "bouche à oreille", qui arrive en troisième position des modes de recrutement.

Formalisé par la loi du 31 décembre 1971 - les collaborateurs n’étant alors protégés que par les usages de la profession  [4] - le statut d’avocat collaborateur s’est depuis renforcé. Précurseur finalement de la flexibilité des modes de relations de travail actuel, il semble pourtant désormais daté.
S’adapter, se moderniser, en un mot changer : c’est le prix de sa survie... et sans doute de celui de la profession dont il est une des spécificités.

N.D.L.R : Le rapport est basé sur un sondage réalisé par la commission Protection de la collaboration en septembre et octobre 2020, en ligne ici et dont les graphiques et/ou chiffres sont extraits.

2022 : quelles mises en pratique lors des chantiers de la collaboration ?

Le Barreau de Paris, mené par sa bâtonnière Julie Couturier, a pris le dossier en main très concrètement par le biais des « chantiers de la collaboration » qui se sont tenus le 26 septembre 2022 et a décliné autour de 9 thématiques les points déjà évoqués lors de l’étude de 2020 :
- Management
- Équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle
- Mobilité professionnelle et départ de la profession
- Tribunal médiatique et saisine des instances
- Agir contre le harcèlement et les discrimination
- Égalité professionnelle et parentalité
- Difficultés de recrutement et de trouver une collaboration
- Évolution et management de carrière
- Fidélisation des collaborateurs pour les cabinets et développement de la clientèle personnelle.

Un calendrier des propositions et de leur mise en place a été dressé pour 3 périodes :
- à court terme (avant la fin de l’année 2022) : c’est le cas par exemple pour "proposer davantage de formations au management accessibles à tous les avocats parisiens, voire une obligation avant toute embauche" ;
- à moyen terme (d’ici l’été 2023) : et on retiendra à ce titre l’idée de "Proposer davantage de formations entrepreneuriales, allant de l’installation à la négociation des honoraires, à la facturation" ;
- à long terme (d’ici la fin du mandat des Bâtonniers Julie Couturier et Vincent Nioré) : c’est le cas par exemple de la proposition consistant à "mener une réflexion sur la responsabilité de la structure en cas de harcèlement et discrimination".

Tous les détails de ces chantiers et la restitution filmée de l’assemblée plénière sont à retrouver sur la page dédiée ici.

Dans la foulée, début janvier 2023, la commission collaboration de l’ordre a présenté son rapport sur « le contrôle a posteriori des contrats de collaboration », contrôle mis en place par l’envoi (qui sera annuel) d’un questionnaire à tous les collaborateurs parisiens (au nombre de 13.500). Mis en ligne en mars 2023, ses résultats ont été présentés au conseil de l’ordre le 30 mai 2023.

Premier résultat frappant : seulement 6,75% de participation soit 915 collaborateurs...
Mais notons aussi le positif et notamment :
- 8,53 % des répondants considèrent qu’ils sont libres dans l’organisation de leur travail.
- côté télétravail, 75 % disent pouvoir y avoir recours.
- 85,37 % des répondants indiquent pouvoir développer leur clientèle personnelle même si seulement 34,50 % considèrent avoir le temps de le faire.

Côté harcèlement, le chiffre n’est pas rassurant : 15,44 % des répondants estiment avoir été victimes ou témoins de harcèlement moral ou sexuel, de discrimination ou de mauvais traitements. "C’est un chiffre qui reste pour nous inacceptable, compte tenu de notre objectif de tolérance zéro" a rappelé la Bâtonnière Julie Couturier. [5].

Les annonces et la vidéo sur la présentation de ce rapport sont à retrouver ici.

L’Enquête collaboration du CNB.

En 2022, le Conseil National des Barreaux a lancé une enquête collaboration, en plusieurs parties.
La première étude traite du harcèlement et de la discrimination chez les collaborateurs.

Parmi les chiffres à noter : à la question "Aujourd’hui à propos de la profession, vous diriez que les problèmes majeurs pour les collaborateurs sont ..."
la question du harcèlement et de la discrimination n’arrive qu’en 8ème position sur les 12 choix proposés (La difficulté à concilier le travail avec la vie personnelle restant la difficulté première).

Quant aux victimes de harcèlement, elles sont à 88% victimes de harcèlement moral (contre 9% pour le harcèlement sexuel).

Enfin, troisième chiffre marquant : 70% des victimes n’ont pas fait part de leur difficulté.

L’ensemble de l’enquête est à retrouver ici.

Ensuite, le reste de l’étude a été publié sous 3 volets : un volet collaborateurs et un volet cabinet (publiés en mai 2023 ici), puis une comparaison des volets collaborateur et cabinet en une 3ème partie (publiée au mois de juin 2023 ici).

Le CNB annonce que le questionnaire a généré environ 5 000 réponses (dont 96 % de libéraux et 4 % des salariés).

Au delà des chiffres, on notera la précision du CNB qui indique que "Si ces chiffres n’apparaissent pas – pas encore – effrayants, certaines tendances qui s’en dégagent sont des signaux dont il faut dès à présent prendre la mesure, et doivent être inversées". [6].

Enfin, le CNB a lancé du 5 mai au 16 juin 2023 une grande consultation nationale sur le statut de collaborateur ici.

Dossier à suivre, donc...

Par Nathalie Hantz Rédaction du Village de la Justice

[5Source : Gazette du Palais

[6Source : site du CNB ici.

Comentaires: