Village de la Justice www.village-justice.com

Quand une juriste et un médecin créent une application de calcul de l’indemnisation des victimes de dommage corporel...
Parution : lundi 19 avril 2021
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/indemncalcul-nouvel-outil-numerique-pour-calcul-indemnisation-des-victimes,38782.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Marianne Lahana, Responsable juridique au sein d’un fonds d’indemnisation, a co-créé avec Janine de Palmas, médecin instructeur dans le même fonds, une application adaptable de calcul d’offre d’indemnisation.
Elle partagent avec nous leur expérience et résultats sur IndemnCalcul...

Les technologies numériques permettent le développement de nouveaux outils particulièrement performants dans le domaine juridique et celui du dommage corporel. A cet effet, nous avons conçu et développé une application numérique de calcul de l’offre d’indemnisation qui permet, pour un régime spécifique, une rationalisation des processus de chiffrage.
Notre application IndemnCalcul a pour objectifs de guider l’utilisateur dans le calcul des différents préjudices et de l’assister dans les processus complexes ou chronophages tels que les calculs de la perte de gains professionnels, de l’incidence professionnelle/perte de retraite, de l’assistance par tierce personne.
Elle permet aussi d’éviter tout calcul répétitif, d’éliminer les erreurs de retranscription des indices ou des plafonds, d’assurer la mise à jour automatique des sous-totaux et du total lors d’une modification de l’un des postes de préjudice, de générer directement l’offre d’indemnisation à transmettre à la victime et/ou à son conseil et enfin de garder en mémoire les différents cas traités et de permettre ainsi de constituer une solide base de données pour le juriste.

Les fonctionnalités : Conçue dans l’esprit d’une application smartphone, l’ergonomie intuitive d’IndemnCalcul est d’une utilisation aisée. Développée à partir d’un logiciel de gestion de bases de données relationnelles, elle recouvre les versants victime directe et victime indirecte.
Dans le versant victime directe, elle offre cinq onglets avec les postes de préjudice de la nomenclature Dintilhac. Deux zones de saisie dans chaque onglet : la première permettant au juriste de rédiger l’argumentation relative au poste de préjudice et la deuxième lui permettant d’intégrer ses observations et les demandes de la victime ou de son conseil. Dans chaque onglet également, un popup « calcul » qui permet la saisie des informations utiles au calcul des montants de chaque poste. Le même processus de traitement est prévu pour le versant victime indirecte.
La saisie dans des champs séparés de toutes les informations extraites des rapports d’expertise et la recherche agissant sur chaque valeur séparément, rend possible la production de statistiques par sous-groupes permettant de savoir par exemple combien de victimes ayant eu telle maladie ou tel accident ont été indemnisées, de quelle manière et à quels montants.

Le Contexte...

« Si l’on veut réduire la variabilité de la géométrie de la réparation (…), il ne fait aucun doute que l’adoption d’une nomenclature unique et générale des préjudices corporels est éminemment souhaitable  [1] » déclarait J-P Dintilhac en 2007.

La nomenclature Dintilhac a offert cette unicité et cette égalité de traitement. Elle est largement appliquée en France même si elle n’a officiellement qu’une valeur indicative. On la retrouve au sein d’organismes tels que l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM), le Fonds de Garantie des victimes des Actes de Terrorisme (FGTI), le Comité d’Indemnisation des Victimes des Essais Nucléaires (CIVEN), ainsi que l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (APHP) mais elle est également appliquée par les juridictions civiles, pénales et administratives. Certains l’appliquent seulement en partie, comme le Fonds d’Indemnisation des Victimes de l’Amiante (FIVA).

Ainsi, même si une adaptation est nécessaire suivant qu’il s’agit de victimes d’accident, d’erreur médicale, d’effets indésirables de médicaments ou de produits toxiques, le médecin-expert, en appliquant la nomenclature Dintilhac suit un processus d’évaluation du dommage corporel poste par poste, qui est quasiment toujours le même.

Par ailleurs, les modalités de calcul du montant de chaque chef de préjudice sont, pour la plupart d’entre eux, codifiées selon les règles générales applicables dans cette matière (sans pour autant être figées).

Le juriste amené à procéder au calcul de l’indemnisation agit donc dans un cadre aux contours bien définis.
Dans ce contexte, développer une solution numérique qui faciliterait le passage de l’expertise médicale au montant de l’indemnisation nous a paru être une évidence. Et si différentes solutions existent au sein des institutions impliquées dans le domaine de l’indemnisation du dommage corporel, il n’existe pas à notre connaissance d’application digitale disponible en France proposant une solution fiable d’automatisation du calcul.

Nos Objectifs...

L’application numérique IndemnCalcul permet, pour un régime spécifique, la rationalisation et la sécurisation des processus de calcul de l’indemnisation.

Grâce à l’intégration du schéma méthodologique d’évaluation défini au départ dans un logiciel de bases de données relationnelles, l’application permet :
- de guider l’utilisateur pour le calcul des différents préjudices et de l’assister dans certains processus complexes ou chronophages tels que les calculs de la perte de gains professionnels, de l’incidence professionnelle (dont la perte des droits à la retraite), de l’assistance par tierce personne ;
- d’éviter tout calcul répétitif et d’éviter les erreurs de retranscription des indices, barèmes ou plafonds ;
- d’assurer la mise à jour automatique des sous-totaux et du total lors de la modification de l’un des postes de préjudice ;
- de générer directement l’offre d’indemnisation à transmettre à la victime et/ou à son conseil ;
- de garder en mémoire les différents cas traités et permettre de constituer ainsi une base de données pour le juriste.

Fonctionnalités détaillées

Pour le développement d’IndemnCalcul, nous avons choisi le logiciel Filemaker Pro qui est un logiciel de gestion de bases de données relationnelles associant des fonctions performantes, une compatibilité avec un grand nombre de plateformes et une interface conviviale. Notre application fonctionne ainsi sous Mac OS X et sous Windows, soit en réseau poste à poste, soit en mode Client-serveur avec la version FileMaker Server.

Conçue avec une ergonomie intuitive très proche de celle d’une application de smartphone, IndemnCalcul est d’une utilisation particulièrement aisée.

L’application couvre les versants victime directe et victime indirecte. Dans le versant victime directe, elle offre cinq onglets avec les postes de préjudice de la nomenclature Dintilhac. Deux zones de saisie dans chaque onglet : la première permettant au juriste de rédiger l’argumentation relative au poste de préjudice et la deuxième lui permettant d’intégrer ses observations et les demandes du conseil de la victime (ou de la victime elle-même). Dans chaque onglet de préjudice, un popup « calcul » permet la saisie dans des tableurs des informations utiles au calcul des montants de chaque poste. Le même processus de traitement est prévu pour le versant victime indirecte.

Aux fonctionnalités d’un tableur classique, s’ajoute ici celle d’une base de données relationnelles qui permet de connecter entre elles des informations stockées dans différents endroits (rubriques ou tables) et de les interroger par des scripts (programmes).

Cela s’avère particulièrement utile dans le cas de l’indemnisation du dommage corporel quand on considère l’interdépendance de certains postes de préjudices.

La connexion entre différentes tables-sources est également précieuse quand il s’agit d’utiliser différents barèmes, plafonds ou indices de revalorisation et éviter ainsi toute erreur de retranscription fastidieuse et chronophage.

En outre, la saisie dans des champs séparés de toutes les informations extraites des rapports d’expertise rend très aisée les tris et les recherches.

Chaque table peut contenir des rubriques de types variés :
- type Calcul dont le contenu peut utiliser celui d’autres rubriques, éventuellement présentes dans d’autres tables ;
- type Conteneur qui permet d’insérer des pdf, les rendant facilement accessibles depuis l’application ou d’insérer des liens de sites internets ;
- type Statistique servant par exemple à produire des synthèses, avec totaux, moyennes, valeurs maximales et minimales, et cela par catégories.

L’application permet ainsi la production de statistiques par sous-groupes, par exemple le calcul du montant moyen d’un préjudice pour un ensemble de cas similaires ou encore le calcul de l’assiette d’indemnisation prévisible pour un risque ou un accident ou une pathologie donné(e).

L’existence d’interface type ODBC avec des tableurs classiques est également un avantage déterminant quand il s’agit d’évaluer des procédures, de valider des hypothèses à explorer et d’arrêter des décisions dans le domaine de la prise de risque impliquant un dommage corporel.

Il est enfin possible de définir les profils des utilisateurs et leur accès aux données. Cet accès est géré par l’administrateur de l’application qui autorise suivant les cas, soit la lecture seule, soit la lecture et la saisie des données.

Exemples...

Ne pouvant détailler ici les modalités de calcul de chaque poste de préjudice, nous avons sélectionné quelques cas qui donnent un aperçu du fonctionnement de l’application [2].

I- En préambule à tout calcul

Outre la saisie des données concernant les détails de l’accident ou la maladie en cause (type d’affection, date de consolidation, date du premier arrêt de travail), l’application invite d’emblée le juriste à intégrer le calendrier détaillé des hospitalisations. Chaque jour d’hospitalisation pourra alors être décompté automatiquement des périodes d’assistance par une tierce personne ou de déficit fonctionnel temporaire partiel.

II- Assistance par une tierce personne avant consolidation (ATP)

L’application permettant d’automatiser la déduction des jours d’hospitalisation pour les périodes concernées, les seules données à saisir sont les dates de début et de fin de chaque période, le type de l’assistance par une tierce personne (professionnelle ou non) ainsi que la nature de l’aide (active ou passive) et enfin le nombre d’heures d’assistance par jour, évalué par l’expert.

Sont alors générés automatiquement : la durée de la période (en jours), le nombre de jours d’hospitalisation à déduire, le nombre de jours à considérer, le tarif horaire du fait du lien existant entre ce tableur et la base des forfaits. Ainsi au terme de la saisie, s’affiche le montant pour chaque période et le montant total.
Dans chaque ligne, l’utilisateur a la possibilité d’ajouter un commentaire afin d’éclairer le destinataire de l’offre, sur d’éventuelles particularités. Ce tableau est intégré au document final du projet d’offre.

III- Déficit fonctionnel temporaire (DFT)

Le déficit fonctionnel temporaire total : les périodes d’hospitalisation ayant été renseignées dans le préambule, le DFTT s’affiche automatiquement dès que le montant de l’indemnité journalière forfaitaire est précisé.
Le déficit fonctionnel temporaire partiel : ce poste a, comme l’assistance par une tierce personne, la particularité de ne pouvoir se cumuler avec les journées d’hospitalisation. L’application assurant la déduction mécanique du nombre de ces jours, la saisie ne concerne ici que le calendrier des périodes retenues et les classes d’incapacité respectives.

IV- Pertes de gains professionnels actuels (PGPA)

Le calcul des pertes de gains professionnels, qu’ils soient actuels ou futurs, peut s’avérer complexe et chronophage, recouvrant parfois de longues périodes d’arrêt de travail avec des montants d’indemnisation très élevés. Les méthodologies varient selon les utilisateurs.

Cette absence d’harmonisation a pour conséquence de perdre le professionnel du droit dans le choix de la bonne méthodologie (quel calcul, comment procéder, quelles dates choisir, quels taux, …).
L’application propose une méthode et une interface d’utilisation simple. Il s’agit de suivre les trois étapes suivante, pas à pas :
- s’assurer que les données de base sont bien renseignées (date du premier arrêt de travail, date et régime de retraite, date de consolidation,...), et préciser l’année de paiement ;
- compléter un tableur pour le calcul du revenu de référence ;
- compléter un deuxième tableur pour le calcul des pertes, année par année, depuis l’arrêt de travail jusqu’à la date butoir définie par le cas [3]. Dans ce tableur, la sélection des années requises appelle automatiquement les coefficients de revalorisation INSEE. Les données restant à saisir sont, par année : le salaire réellement perçu et les différentes indemnités journalières et/ou pensions versées à la victime.

Le montant total des pertes de gains professionnels actuels s’affiche avec possibilité de revalorisation à la date de paiement.

V- Proratisation et capitalisation

L’application prévoit, pour les préjudices le justifiant, la possibilité de proratiser ou de capitaliser certains montants.
La proratisation est proposée dans deux cas :
- le cas d’une victime décédée après la consolidation de son état de santé pour les postes suivants : le déficit fonctionnel permanent, le préjudice d’agrément, le préjudice esthétique permanent, le préjudice sexuel et tout autre préjudice permanent figurant dans la méthodologie de l’utilisateur.
- le cas d’une évaluation par l’expert de plusieurs périodes successives de souffrances endurées ou du préjudice esthétique (temporaire ou permanent).

La capitalisation est proposée dans le cas d’une victime dont l’état de santé est consolidé et qui est toujours en vie lors de l’établissement de l’offre pour les postes suivants : les frais divers, les dépenses de santé, et l’assistance par une tierce personne.

Conclusion

Ce nouvel outil numérique de calcul d’une indemnisation permet, pour un régime spécifique, une rationalisation des processus de chiffrage.
Nous avons pu en mesurer le gain en termes de temps et d’efficacité, par une utilisation régulière pendant plus de trois ans dans le cadre d’une structure d’indemnisation de solidarité nationale.
IndemnCalcul est une application paramétrable. L’adaptation et la personnalisation du logiciel repose sur l’intégration de la méthodologie et des barèmes retenus dans chaque cadre.
IndemnCalcul est destinée aux avocats, aux organismes d’indemnisation et aux assurances. Elle leur permettra de gagner en productivité et d’assurer une juste indemnisation des préjudices subis.

Marianne Lahana, Docteur en droit public, élève-avocate, Responsable juridique dans un fonds d'indemnisation, et Janine de Palmas, Docteur en médecine, médecin instructeur dans ce même fonds d'indemnisation.

[1DINTILHAC (J.-P.), « Propos en faveur d’une nomenclature unique », Colloque CNB, L’indemnisation du préjudice corporel – Une réparation à géométrie variable, 28 novembre 2007

[2Une vidéo présentera prochainement l’application en détail

[3LAHANA (M.), Thèse : “L’indemnisation des victimes des essais nucléaires français”, Université Paris II Panthéon-Assas, octobre 2020 - marianne.lahana chez gmail.com.

Comentaires: