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La confiscation du produit du délit de travail dissimulé. Par Laëtitia Marchand et Matthieu Hy, Avocats.
Parution : vendredi 16 avril 2021
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Dans un arrêt inédit rendu le 16 mars 2021 (pourvoi n°20-80290), la chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle que le produit de l’infraction de travail dissimulé correspond au seul montant des cotisations éludées et non aux revenus de l’activité non déclarée.

En l’espèce, poursuivi des chefs de travail dissimulé par dissimulation d’activité et blanchiment liés à l’exercice d’une activité non déclarée, un prévenu a notamment été condamné par le tribunal correctionnel à la confiscation de sommes d’argent saisies sur des comptes bancaires ouverts au nom de membres de sa famille.

La Cour d’appel a confirmé les confiscations ordonnées par le tribunal aux motifs adoptés qu’a été pris en compte le montant total des sommes créditées sur les comptes bancaires du prévenu d’une part, et que le produit de la vente d’un immeuble financé par les revenus de l’activité non déclarée a été immédiatement réparti par l’intéressé sur les comptes de ses enfants et de sa sœur.

S’agissant de la demande de restitution formulée par la sœur du prévenu, la cour d’appel l’a rejetée en retenant que celle-ci n’avait pas justifié de l’origine des sommes versées sur ses comptes. Le condamné et sa sœur se sont pourvus en cassation.

En premier lieu, au visa des articles 1 du protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme consacrant le droit de propriété et 131-21 du Code pénal, la chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle les exigences de motivation de la peine de confiscation [1], ce qui l’avait déjà conduit à sanctionner la mention classique selon laquelle la juridiction de jugement « ordonne la confiscation des scellés » [2].

A l’exception de la confiscation en nature ou en valeur d’un bien qui constitue dans sa totalité le produit ou l’objet de l’infraction, le juge doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété soit sur invocation, soit, en cas de confiscation de patrimoine, d’office.

En conséquence, lorsque le juge confisque, cette peine n’étant pas obligatoire, à de rares exceptions près [3], le juge doit : s’assurer sur caractère confiscable du bien ; préciser sa nature et son origine ainsi que le fondement de la mesure ; s’expliquer, le cas échéant, sur la nécessité et la proportionnalité de l’atteinte portée au droit de propriété du prévenu.

La dispense de motivation applicable à la confiscation du produit ou de l’objet de l’infraction, d’origine jurisprudentielle [4], désormais prévue à l’article 485-1 du Code de procédure pénale en matière correctionnelle, rend indispensable la détermination précise dudit produit du délit.

Tel est le deuxième enseignement de l’arrêt.

En deuxième lieu, la Haute juridiction rappelle en effet que

« dans le cas où la confiscation prononcée porterait sur le produit de l’infraction de travail dissimulé, seul le montant des cotisations éludées pourrait être pris en compte ».

De manière logique mais probablement contre-intuitive, le produit du délit de travail dissimulé ne saurait correspondre au chiffre d’affaires réalisé [5]. Il ne consiste qu’en une économie réalisée sur des cotisations qui auraient dues être réglées à l’URSSAF mais ne l’ont pas été. Ainsi que l’écrivait prosaïquement le demandeur au pourvoi, confisquer la totalité des revenus du condamné revenait à priver « le prévenu des revenus de son travail ». En d’autres termes, si les revenus n’avaient pas été dissimulés, les cotisations dues auraient correspondu à une fraction de ceux-ci et non à leur totalité.

L’application de cette règle conduit à constater que le produit de l’infraction est bien inférieur aux sommes parfois prises, à tort, comme référence en matière de travail dissimulé.

Cette solution a d’autant plus d’intérêt qu’il doit être constaté que le délit simple de travail dissimulé ne fait encourir ni la peine de confiscation de patrimoine [6], ni celle reposant sur la présomption d’illicéité [7].

En troisième lieu, la Haute juridiction expose qu’

« en retenant que (la sœur du prévenu) n’avait pas justifié de l’origine des sommes versées sur ses comptes, les juges, qui n’ont pas établi que l’intéressée ait eu connaissance de leur origine frauduleuse, ont inversé la charge de la preuve ».

D’une part, il est implicitement rappelé que la réserve des droits du propriétaire de bonne foi s’applique y compris lorsque les fonds constituent le produit de l’infraction [8]. Il en résulte que la bonne foi du tiers suffit à faire échec à ce type de confiscation et doit conduire à la restitution.

D’autre part, la Cour de cassation rappelle que la bonne foi se présume [9].

Il appartient donc au ministère public de démontrer la mauvaise foi du tiers demandeur à la restitution, c’est-à-dire sa connaissance de l’origine frauduleuse des sommes, et non à ce dernier d’apporter la preuve de l’origine licite des fonds versés sur ses comptes.

A ce titre, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de sanctionner le refus de restitution fondé sur l’absence de preuve de licéité de l’origine des sommes [10].

Matthieu Hy Avocat au Barreau de Paris www.matthieuhy.com [mail->contact@matthieuhy.com]

[1En ce sens, Crim., 27 juin 2018, n°16-87009 ; Crim., 16 janvier 2019, n°17-86581 ; Crim., 29 janvier 2020, n°17-83577 ; Crim., 23 mars 2021, n°20-81479.

[2Crim., 3 mars 2021, n°19-87093.

[3Par exemple Crim., 11 septembre 2018, n°17-84545 ; Crim., avril 2018, n°17-83170.

[4Notamment Crim., 27 juin 2018 précité.

[5Déjà en ce sens, Crim., 6 novembre 2019, n°18-85070 ; Crim., 29 juin 2016, n°15-81426 ; Crim., 12 juillet 2016, n°15-9355.

[6Art.131-21, al.6, Code pénal ; Crim., 21 janvier 2020, n°19-80257.

[7Art. 131-21, al.5 , Code pénal.

[8Notamment Crim., 7 novembre 2018, n°17-87424.

[9Déjà en ce sens, Crim., 26 juin 2019, n°18-84650.

[10Crim., 5 décembre 2001, n°01-80315.

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