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Migrations climatiques : la progressive reconnaissance d’un statut de « réfugié climatique » ? Par Agathe Delorme, Etudiante.
Parution : vendredi 16 avril 2021
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« Nous ne parlons pas d’un problème qui commencera à nous toucher dans le futur, le futur est déjà là ». Cette alerte du Haut-Commissaire adjoint aux réfugiés de l’Organisation des Nations unies prononcée lors de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques de Poznan en 2008 met en exergue les problématiques nouvelles causées par le changement climatique et les conséquences de ce dernier sur les populations et les flux de migrations mondiaux.

Face aux bouleversements climatiques de ces dernières décennies, la société internationale s’est confrontée à une problématique devenue impérative, celle des individus quittant leur territoire à la suite de modifications environnementales de leur habitat menaçant leur droit à la vie.

Nonobstant les perpétuelles évolutions du droit international, l’encadrement des migrations climatiques demeure lacunaire, dans le sens où il n’existe point aujourd’hui de statut de réfugié climatique permettant d’octroyer à ces individus une protection égale à celle octroyée aux réfugiés politiques.

Une situation non protégée par le droit international.

Bien que les motifs environnementaux soient une raison de plus en plus importante des migrations mondiales, ceux-ci ne sont pas envisagés par le droit international des réfugiés. En effet, la Convention de Genève du 28 juillet 1951 constitue le cadre de la protection des réfugiés et établit en son article premier la définition d’un réfugié comme étant une personne qui

« craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner » [1].

Ainsi, cette définition ne permet pas de prendre en compte les réalités environnementales comme un des motifs de déplacement justifiant l’octroi du statut de réfugié. Par ailleurs, la majorité des déplacements dus à des facteurs environnementaux se font à l’intérieur des frontières des Etats, constituant donc des situations de déplacements internes, n’entrant pas dans le champ d’application de la protection conventionnelle des réfugiés.

Cette question n’est pas pour autant ignorée par le droit international, en effet l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté le 19 décembre 2018 le Pacte de Marrakech ou Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.

Bien que ce texte reconnaisse que « les phénomènes météorologiques extrêmes et d’autres catastrophes liées au climat peuvent jouer dans l’incitation au déplacement et à la migration » [2], il demeure un texte non juridiquement contraignant, ne permettant pas de garantir que les instruments de protection envisagés seront effectivement mis en place par les Etats.

Une avancée jurisprudentielle fondée sur la protection du droit à la vie.

Une timide évolution semble voir le jour depuis la décision rendue par le Comité des droits de l’Homme le 7 janvier 2020. En effet, le Comité était chargé de se prononcer sur la possible application de l’article 6 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) consacrant le droit à la vie, à la situation de Monsieur Ioane Teitiota, habitant des Kiribati, ayant fui à cause de la montée du niveau de la mer et la salinisation des eaux douces.

Bien que le Comité n’accorde pas en l’espèce la possibilité pour le requérant de demander un titre de séjour en Nouvelle-Zélande, il estime néanmoins

« que les personnes qui fuient les effets du changement climatique et des catastrophes naturelles ne devaient pas être renvoyées dans leur pays d’origine si leurs droits humains fondamentaux s’en trouvaient menacés ».

Le Comité reconnait ainsi une protection des personnes se déplaçant pour des motifs environnementaux ou climatiques, qui s’effectue par ricochet de la protection du droit à la vie, à condition que ces motifs constituent une menace imminente.

Dans la continuité de cette progressive protection des « réfugiés climatiques », la Cour administrative d’appel de Bordeaux a rendu un arrêt remarquable le 18 décembre 2020 dans lequel elle annule l’obligation de quitter le territoire français adressée à un bangladais, au motif que celui-ci « se trouverait confronté dans son pays d’origine à une aggravation de la pathologie respiratoire en raison de la pollution atmosphérique […] ».

La Cour s’est ainsi fondée sur les conséquences graves et mortelles des conditions climatiques du Bangladesh, pays d’origine du demandeur d’asile. Il apparait néanmoins difficile que cet arrêt fasse jurisprudence en la matière puisque la Cour ne consacre pas de droit à demander un titre de séjour en raison des changements climatiques dans le pays d’origine.

En effet, elle se fonde sur les dispositions déjà existantes dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile permettant de demander un titre de séjour pour des motifs de santé, en estimant que l’état de santé du requérant serait aggravé en cas de retour dans son pays d’origine.

Cette jurisprudence apparait ainsi fragile et isolée pour constituer un fondement dans de prochaines décisions.

DELORME Agathe, Etudiante en droit public.

[1Article premier A (2) de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés climatiques 1951.

[2Global Compact for Safe, Orderly and Regular Migration, 2018

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