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Nouveaux modes d’accès aux emplois de direction : changement de visage pour la Fonction publique ? Par Benjamin Samico, Attaché principal d’administration de l’Etat.
Parution : mardi 20 avril 2021
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La loi de transformation de la fonction publique et ces deux décrets d’application [1] vont durablement changer la physionomie de la fonction publique et de la haute Fonction publique en l’espèce. En effet, les décrets objets de l’étude visent à permettre l’accès à des « non-fonctionnaires » à des emplois de direction et des emplois fonctionnels.

Ces décrets permettent donc le recrutement sur contrat pour l’ensemble des emplois de direction de la fonction publique de l’Etat, à l’exception des emplois dont la nomination est laissée à la discrétion du Gouvernement. S’agissant de la Fonction publique territoriale, le décret objet de l’étude a permis d’étendre le recrutement de personnels contractuels aux communes plus modestes.

Une nouvelle voie d’accès aux emplois de direction a ainsi été créée, en dé sanctuarisant l’accès à ces emplois, habituellement occupés par des fonctionnaires, même si la ressource existe chez les titulaires

Cette révolution, aussi bien culturelle que juridique doit être regardée sur les apports qu’elle introduit dans les fonctions publiques de l’Etat et territoriales, mais aussi sur les conséquences structurelles qui sont de nature à changer durablement la physionomie de la fonction publique.

La fonction publique est confrontée depuis quelques années à plusieurs enjeux concomitants qui remettent en question certains « dogmes » et l’oblige à s’adapter rapidement comme un déficit d’attractivité, la méconnaissance des métiers proposés ou encore la réduction des déficits dans la fonction publique entre autres.

Après une année de concertation avec les organisations représentatives du personnel, jugée d’ailleurs insatisfaisante par certaines [2], la loi de transformation de la fonction publique [3] publiée en août 2019 a profondément modifié les modes de gestion et de fonctionnement de la fonction publique et, de fait, du service public.

Certaines dispositions sont d’application immédiate, il s’agit notamment de :
- l’harmonisation du temps de travail entre les secteurs public et privé ;
- le dispositif permettant, par la négociation et la conclusion d’un accord, de définir les conditions minimales d’exercice de certains services publics en cas de grève des agents publics dans la fonction publique territoriale ;
- les nouvelles règles applicables aux fonctionnaires momentanément privés
d’emploi dans la fonction publique territoriale ;
- la suppression du jour de carence pour maladie pour les femmes enceintes et
le maintien du régime indemnitaire des agents territoriaux lors des congés de
maternité, de paternité ou d’adoption à l’instar des règles applicables dans les
deux autres versants de la fonction publique ;
- l’alignement des règles de rémunération des apprentis du secteur public sur
celles du secteur privé et la sécurisation du recrutement d’apprentis dans les
filières paramédicales.

D’autres dispositions sont entrées et vont entrer en vigueur à compter du 1er
janvier 2020, après la parution de décrets d’application.
C’est le cas de :
- la suppression de la compétence des commissions administratives paritaires
pour les mutations ;
- le recours élargi au contrat sur les emplois de direction et les emplois
permanents de catégorie A, B et C ;
- le contrat de projet ;
- le dispositif de rupture conventionnelle ;
- le congé de proche aidant ;
- l’entretien de carrière pour les agents exposés à un risque d’usure
professionnelle ;
- les garanties accordées aux agents publics à l’occasion d’une
restructuration, notamment dans le cadre des plans de départ volontaire ;
- ou encore, l’ensemble des leviers permettant de supprimer les écarts de
rémunération et de déroulement de carrière entre les femmes et les hommes
ou de mieux prévenir et traiter les situations de violences sexistes ou sexuelles
dans la Fonction publique.

Dans la conception traditionnelle du système d’emploi public, l’Etat n’est pas
regardé comme un employeur, mais comme le représentant de l’intérêt public
et le collaborateur comme un serviteur de l’Etat et non comme un employé [4]. Le Portugal qui a esquissé cette définition a pourtant une conception « libérale » du service public en ce que l’accès aux emplois publics a été libéralisé et un statut « d’agent » a été créé à côté de celui de fonctionnaire de l’Etat.

La Fonction publique est également une fonction publique de carrière. L’entrée dans la Fonction publique française se fait dans la plupart des cas, pour l’ensemble de la vie professionnelle de l’agent à l’inverse de ce qui se pratique dans le système anglo-saxons pour lequel on parle de fonction publique d’emplois ou de missions et dans lequel les agents sont recrutés pour occuper un emploi donné et n’ont pas de carrière organisée.

S’écartant de ce paradigme, l’une de ces mesures, voulue par le Président de la République a trait à la souplesse accordée aux employeurs publics pour recruter des contractuels notamment lorsque les compétences attendues ne se trouvent pas parmi les fonctionnaires, et pour faire face à des besoins spécifiques ou limités dans le temps (par exemple : contrat de projet, le temps d’un projet de transformation).

La loi de transformation de la Fonction publique entend faciliter les mobilités des agents au sein de leur bassin d’emploi, d’une préfecture à une collectivité territoriale, d’un établissement hospitalier à un collège ou lycée. Il offre également de nouveaux droits aux fonctionnaires comme aux contractuels avec la possibilité d’une rupture conventionnelle, et renforce les garanties en matière de santé et sécurité au travail.

La loi de transformation de la Fonction publique prévoit également, pour border la libéralisation du recours aux agents contractuels, la mise en place de mécanismes visant à encadrer les recrutements par contrat. Dans les faits, le recrutement d’agents contractuels pour pourvoir des emplois permanents sera prononcé à l’issue d’une procédure permettant de « garantir l’égal accès aux emplois publics ». Cette procédure reste à définir. En effet, nous le verrons, les décrets objet de l’étude laissent une marge de manœuvre importante aux recruteurs et devrons, à n’en pas douter, être éclairés par la jurisprudence. La question de savoir si une sélection anonyme sera réalisée, après une publicité de l’avis de recrutement, reste entière. Cette sélection anonyme, basée sur les seuls mérites des candidats, qui est à la base des concours de recrutement de fonctionnaires est un système éprouvé qui semble présenter les meilleures garanties d’impartialité et d’indépendance.

Le recours aux contrats a également pour objectif de « diversifier les viviers de recrutement dans l’encadrement supérieur » et de fluidifier les parcours professionnels entre le secteur privé et le secteur public [5].

C’est dans ces conditions que la loi prévoit notamment de recourir aux agents contractuels sur les emplois fonctionnels de direction dans les trois fonctions publiques. C’est l’objet des décrets n° 2019-1594 du 31 décembre 2019 relatif aux emplois de direction de l’Etat et n° 2020-257 du 13 mars 2020 relatif au recrutement direct dans les emplois de direction de la Fonction publique territoriale.

Ce recours aux contractuels questionne au regard de la perméabilité entre le secteur privé et public mais aussi au regard du droit positif [6] puisque :

« Sauf dérogation prévue par une disposition législative, les emplois civils permanents de l’Etat, des régions, des départements, des communes et de leurs établissements publics à caractère administratif sont, à l’exception de ceux réservés aux magistrats de l’ordre judiciaire et aux fonctionnaires des assemblées parlementaires, occupés soit par des fonctionnaires régis par le présent titre, soit par des fonctionnaires des assemblées parlementaires, des magistrats de l’ordre judiciaire ou des militaires dans les conditions prévues par leur statut ».

A cet effet, le Conseil d’Etat [7] et le Conseil Constitutionnel [8], interrogés sur le projet de loi, ont indiqué dans des avis respectifs :

« Le Conseil d’Etat constate que le projet de loi ne modifie pas les dispositions de l’article 3 de la loi du 13 juillet 1983 et qu’ainsi, le Gouvernement n’entend pas remettre en cause le principe selon lequel, conformément à la conception française de la fonction publique, les emplois permanents de l’Etat, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics administratifs sont occupés par des fonctionnaires régis par un statut. Aucune décision du Conseil constitutionnel n’ayant conféré à ce principe une valeur constitutionnelle, il est loisible au législateur d’y déroger dès lors que, comme le prévoit le projet, ces recrutements devront se faire selon des procédures permettant de garantir le respect du principe d’égal accès aux emplois publics énoncé à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Conformément aux dispositions de l’article 32 de la loi du 13 juillet 1983, ces agents seront soumis aux principales obligations, notamment déontologiques, applicables aux fonctionnaires. »

Le Conseil Constitutionnel a quant à lui estimé que :

« le législateur a précisément défini les catégories d’emplois publics pouvant, par exception au principe fixé par les lois précitées selon lequel les emplois publics sont occupés par des fonctionnaires, être pourvus par des agents contractuels soumis à un régime de droit public, ainsi que les conditions dans lesquelles le recrutement de tels agents est autorisé pour les autres emplois publics. À cet égard, il pouvait, sans méconnaître l’étendue de sa compétence, renvoyer au pouvoir réglementaire la détermination des emplois de l’État, parmi ceux de direction, ouverts à un recrutement par la voie contractuelle ainsi que la liste des établissements publics dont les caractéristiques et l’importance justifient que leur directeur général puisse être un agent contractuel. De la même manière, le législateur pouvait prévoir qu’il est recouru à des contractuels pour les emplois publics « lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient » et « pour les emplois publics pour lesquels une formation statutaire n’est pas nécessaire ». Ces notions, comme celles d’« accroissement temporaire » et d’« accroissement saisonnier » d’activité, sont suffisamment précises au regard des exigences imposées au législateur par l’article 34 de la Constitution. »

Les décrets n° 2019-1594 du 31 décembre 2019 et n° 2020-257 du 13 mars 2020 précisent les modalités d’accès aux emplois de direction au sein de la Fonction publique de l’Etat et de la fonction publique territoriale.

Il convient ici de définir les emplois de direction. La direction générale de l’Administration et de la Fonction publique a tenté d’apporter la définition suivante :

« Pour simplifier, on peut considérer, même si cette délimitation n’est ni complète, ni totalement satisfaisante, qu’entrent dans cette catégorie tous les corps et emplois dont l’indice terminal va au-delà de « hors échelle A », à savoir : - tous les corps issus de l’École nationale d’administration : administrateurs civils, sous- préfets, conseillers d’État, conseillers de tribunaux administratifs, corps d’inspection, etc. ;
- tous les corps issus de l’École Polytechnique (« X ») : ingénieurs des mines, ingénieurs des ponts, administrateurs de l’Insee, etc. ;
- mais aussi, les médecins inspecteurs de santé publique, les commissaires de police, pour ne citer que ces deux exemples et, en-dehors de la fonction publique de l’État, les directeurs d’hôpitaux, les administrateurs territoriaux et les administrateurs de la Ville de Paris
 » [9].

Ainsi, il n’est pas fait référence à un niveau d’études, à une expertise, à des responsabilités ou à des métiers en particulier. Les emplois de direction de l’Etat sont définis en premier lieu sur un critère indiciaire.

Les emplois de direction de la fonction publique territoriale sont quant à eux limitativement énumérés par l’article 53 de la loi du 26 janvier 1984 modifiée. Ils ne se définissent pas par un indice, mais font référence aux missions et à la population des territoires auprès desquels est affecté l’agent.

Le décret du 31 décembre, au-delà de préciser les modalités de recrutement, a rassemblé en un texte unique les différents statuts des emplois de direction de la Fonction publique de l’Etat.

Ces deux décrets, qui complètent celui du 19 décembre 2019 (n° 2019-1414) relatif à la procédure de recrutement pour pourvoir les emplois permanents de la Fonction publique ouverts aux agents contractuels et la loi de transformation de la Fonction publique, doivent être analysés au regard l’un de l’autre afin d’en comprendre les apports(I). Même si ces textes élargissent le recours aux contractuels, en ouvrant les emplois permanents et, qui plus est, les emplois de direction à cette catégorie de personnels, ils n’en demeurent pas moins encadrés. Ces récentes modifications structurelles sont de nature à changer durablement la physionomie de la fonction publique (II).

Titre I. L’accès aux emplois de direction et fonctionnels ouverts aux candidats non fonctionnaires : un dispositif précisé par les décrets du 31 décembre 2019 et du 13 mars 2020.

Titre II. L’accès aux emplois de direction et fonctionnels ouverts aux candidats non fonctionnaires : un dispositif rigoureux encadrant le recrutement et susceptible de changer le visage et la physionomie de la Fonction publique.

Retrouver l’intégralité l’article dans le document pdf ci-après.

Nouveaux modes d’accès aux emplois de direction : changement de visage pour la Fonction publique ?
Benjamin Samico, Attaché principal d'administration de l'Etat.

[1Le Décret n° 2019-1594 du 31 décembre 2019 relatif aux emplois de direction de l’Etat et le Décret n° 2020-257 du 13 mars 2020 relatif au recrutement direct dans les emplois de direction de la fonction publique territoriale.

[2CNFPT : la loi fonction publique inquiète les syndicats – La gazette des communes 08/10/2019 La CFDT dénonce une loi régressive – L’Est éclair – 21/10/2019.

[3Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique publiée au JO du 7 août 2019.

[4Fransisco Liberal FERNANDES, “autonomia colectiva dos trabalhadores da Administratçao publica. Crise do modelo classico de emprego publico”, Coimbra, Portugal 1995.

[5Etude d’impact du projet de loi transformation de la fonction publique, page 89.

[6Article 3 de la loi 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Loi dite loi Le Pors : « Sauf dérogation prévue par une disposition législative, les emplois civils permanents de l’Etat, des régions, des départements, des communes et de leurs établissements publics à caractère administratif sont, à l’exception de ceux réservés aux magistrats de l’ordre judiciaire et aux fonctionnaires des assemblées parlementaires, occupés soit par des fonctionnaires régis par le présent titre, soit par des fonctionnaires des assemblées parlementaires, des magistrats de l’ordre judiciaire ou des militaires dans les conditions prévues par leur statut ».

[7CE Avis consultatif du 27 mars 2019 : Avis sur un projet de loi de transformation de la fonction publique.

[8Décision 2019-790 DC - 1er août 2019 - Loi de transformation de la fonction publique

[9Portail de la fonction publique : https://www.fonction-publique.gouv.fr/definition-et-missions (consultation du 4 avril 2020).