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De l’avantage de voir sa dette cédée à petit prix grâce au droit de retrait litigieux. Par Gwendal Bihan, Avocat.
Parution : mercredi 21 avril 2021
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Le débiteur ou la caution ayant une dette importante en litige auprès d’un créancier, souvent une banque, doit savoir qu’il peut se libérer pour une somme bien inférieure à la valeur faciale de la créance auprès d’une société qui a racheté cette créance à la banque par l’effet des dispositions de l’article 1699 du Code Civil.

1- L’opportunité offerte par le droit de retrait litigieux.

L’horizon peu réjouissant d’un débiteur ou d’une caution en litige avec la banque pour une dette bancaire restée impayée peut largement s’éclaircir à l’occasion d’une cession de la créance bancaire à une société cessionnaire tierce (société de recouvrement, fonds commun de titrisation etc…).

L’article 1699 du Code Civil prévoit en effet que :

« celui contre lequel on a cédé un droit litigieux peut s’en faire tenir quitte par le cessionnaire, en lui remboursant le prix réel de la cession avec les frais et loyaux coûts, et avec les intérêts à compter du jour où le cessionnaire a payé le prix de la cession à lui faite ».

A la lumière de cette disposition, celui qui voit sa créance cédée en cours de litige avec la banque peut faire valoir un « droit de retrait litigieux » auprès du cessionnaire et ainsi potentiellement se libérer de son obligation à paiement pour un prix modique entre les mains du cessionnaire ; le prix réel de cession étant souvent bien inférieur à la valeur faciale de la créance.

Cela n’est pas un cas d’école, les établissements bancaires étant d’ailleurs largement incités par la Banque Centrale Européenne (BCE) à céder leurs créances douteuses ; le temps étant à l’accélération du mouvement à l’occasion de la crise de Covid-19.

Le Président du conseil de surveillance prudentielle de la BCE, Andrea Enria, estimait en octobre de l’année dernière que le risque de crédit était à ce point élevé qu’il était envisageable que le montant de créances douteuses dépasse celui qu’il était lors de la crise financière de 2008 ou celle des dettes souveraines en 2011.

L’idée de création de « bad banks » ou « banques poubelles » comme structure de défaisance ayant été soutenue le 16 décembre 2020 par la Commission européenne, avec l’objectif d’assainir les bilans des établissements prêteurs.

Dans un tel contexte, il n’est pas rare, et il le sera certainement de moins en moins dans les mois à venir, de voir sa propre dette bancaire, ou la dette que l’on a cautionnée, être cédée par la Banque à une société tierce cessionnaire parmi un lot de créances et pour un prix de cession bien inférieur à l’addition du montant nominal ou facial de chacune des créances cédées.

Ce mécanisme peut permettre au débiteur retrayant de se libérer entre les mains du cessionnaire, non pas gratuitement, mais jusqu’à une somme modique de 1 euro.

C’est ainsi que la Cour d’Appel de Paris en a décidé dans un arrêt du 11 décembre 2020, en confirmant un jugement validant le mécanisme de retrait de l’article 1699 du Code Civil permettant

« d’offrir ce prix forfaitaire d’un euro au titre de l’indemnisation du retrayé et non le prix de la créance qui est lui-même indéterminable compte tenu de son caractère litigieux » [1].

2- Quelles sont les conditions d’application de l’article 1699 du Code Civil ?

Les conditions du retrait litigieux sont les suivantes :

1) Il doit s’agir d’une cession à titre onéreux (exclusion en cas de cession à titre gratuit : Civ 1, 17 janvier 2018) [2],

2) Il doit s’agir d’une cession à une autre personne qu’à un cohéritier ou copropriétaire du droit cédé, à un créancier en paiement de ce qui lui est dû (dation), ou encore au possesseur de l’héritage sujet du droit litigieux [3],

3) Il doit exister un procès en cours portant sur le fond du droit avant la cession [4] et le retrayant doit contester ce droit litigieux en défense.

3- Qui peut arguer du retrait litigieux ?

1) Le débiteur, même solidaire,

2) La caution, quand la créance principale est cédée puisque la cession de la créance principale emporte, en application de l’article 1692 du Code Civil, cession de ses accessoires tels que la caution. Ainsi jugé que la caution « ayant contesté le droit invoqué contre elle, qui était ainsi devenu litigieux, elle pouvait exercer le droit de retrait » [5].

4- Comment mettre en application le droit de retrait litigieux ?

Quand les conditions légales sont réunies, il reste une dernière condition réclamée par la jurisprudence, à savoir que le prix de cession de la créance cédée soit déterminable.

Or, les cessions se font souvent en bloc et pour un prix global, ce qui sert souvent de moyen avancé comme échappatoire par le cessionnaire.

Pour autant, la jurisprudence a affirmé à plusieurs reprises que cela n’était en rien rédhibitoire et que « la cession en bloc d’un grand nombre de droits et créances ne fait pas obstacle à l’exercice du droit de retrait litigieux à l’égard d’une créance qui y est incluse dès lors que la détermination de son prix est possible » [6].

Cette détermination du prix est à rechercher dans l’acte de cession et ses annexes mais également, à défaut, dans les éléments de comptabilité (Bilan, compte de résultat ou tout autre document requis par les règles comptables et les dispositions bancaires notamment au titre du Règlement n° 2014-07 du 26 novembre 2014 relatif aux comptes des entreprises du secteur bancaire) justifiant de la créance ainsi qu’à travers son classement par rapport aux chances de recouvrement, par exemple, en tant que créance douteuse, litigieuse, voire irrécouvrable et de l’éventuelle provision ou garantie pour dépréciation inscrite dans les états de synthèse.

Ces éléments, peuvent faire l’objet, après sommation de communication infructueuse, d’une demande de communication forcée dans le cadre d’un incident devant le magistrat chargé de la mise en état en première instance ou en appel, selon le stade de la procédure, sur le fondement de l’article 11 du Code de Procédure Civile et avec demande d’astreinte pour rendre efficace la décision obligeant à la communication.

Comme l’a indiqué récemment la Cour d’appel de Paris en son arrêt précité du 11 décembre 2020 :

« le retrait litigieux, qui a pour but de mettre fin à un procès, ne doit pas pouvoir être paralysé par les parties à la cession par la fixation d’un prix forfaitaire, la loi n’exigeant pas que le prix soit déterminé ; qu’il suffit dès lors que le juge puisse fixer le prix de la créance objet du retrait en fonction d’éléments d’appréciation produits par les parties ».

Même donc à défaut d’isoler le prix de cession précis affecté à la créance litigieuse, la communication de tout élément d’appréciation pourra permettre au juge de considérer le prix comme déterminable, comme l’a par exemple admis la Cour d’appel de Basse-Terre en son arrêt du 23 décembre 2019 selon lequel :

« le prix de la cession de la créance litigieuse est déterminable à partir du ratio pouvant être établi entre la valeur faciale des créances cédées et leur prix de cession » [7].

A défaut de toute communication et au-delà de l’astreinte, il pourra également être plaidé par le débiteur ou la caution que, conformément à l’article 11 du Code de Procédure Civile, le juge se doit de « tirer toute conséquence d’une abstention ou d’un refus » et ainsi débouter le cessionnaire de toute demande de condamnation pécuniaire par rapport à la créance litigieuse à défaut d’indiquer à quel prix ce dernier l’a acquise ; rien ne justifiant que l’indétermination du prix lui profite au détriment du débiteur cédé ou de sa caution.

De telles perspectives promettent des discussions animées dans les prétoires mais les débiteurs auraient tort de ne pas envisager le droit de retrait qui, comme tout droit, ne doit pas être ignoré.

Gwendal Bihan Avocat au Barreau de Rennes www.arvor-avocats.fr

[1Cour d’Appel de Paris- Pôle 4, chambre 1, n° RG 19/04667, arrêt du 11 décembre 2020.

[2Cour de cassation, Chambre civile 1, 17 janvier 2018 16-21.097, Bull. 2018, I, n° 7.

[3Article 1701 du Code Civil.

[4Article 1700 du Code Civil.

[5Cour de cassation, Chambre commerciale, 12 juillet 2016 - n° 14-26.174 et Cour de cassation, Chambre économique et financière, 12 novembre 2020 - n°19-13.008.

[6Com., 15 janvier 2013 ; Com 28 juin 2016.

[7Cour d’appel, Basse-Terre, 23 décembre 2019 1re chambre civile, n° 16/01884.