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Recours au fond ou injonction de payer : qui dégainera le plus vite ? Par Samy Azzam, Avocat.
Parution : jeudi 22 avril 2021
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Toutes les actions des créanciers envers leurs débiteurs ne sont pas seulement le fruit de mauvais payeurs. Le fait de ne pas payer une somme d’argent dont on est redevable ne résulte pas toujours d’une incapacité financière, mais de plus en plus de la volonté de ne pas s’acquitter de sa dette comme mesure de rétorsion contre son créancier, à tort ou à raison.

L’article 1224 du Code civil issu de l’Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, permet désormais à un cocontractant de notifier, à ses risques et périls, à l’autre partie la résolution pure et simple du contrat.

Encore faut-il l’avoir préalablement mise en demeure de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable [1], et invoquer une inexécution suffisamment grave.

A ce titre, la jurisprudence considère de manière constante que

« la gravité du manquement de l’une des parties peut justifier que l’autre partie mette fin à l’engagement de manière unilatérale à ses risques et périls » [2].

En l’espèce, une société de maintenance informatique s’est vu notifier la résolution d’un contrat de fourniture de licence d’exploitation de sites internet, après une mise en demeure de son cocontractant, au motif de dysfonctionnements non résolus dans le mois suivant ladite mise en demeure.

Pour la Haute Cour, le respect de l’obligation de maintenance était essentiel au bon fonctionnement des sites, ce qui justifiait la résolution dudit contrat.

Dans la pratique, de nombreux créanciers ont compris l’intérêt de former une requête en injonction de payer (IP), avant de se voir, eux-mêmes, assigner en constatation de la résolution ou en responsabilité contractuelle.

Peu onéreuse et prompte, la requête IP a l’intérêt d’obtenir facilement une Ordonnance, car le juge se base uniquement sur les éléments fournis par le créancier, comme un devis signé et une facture.

De surcroît, l’article 1408 du Code de procédure civile (CPC) permet au créancier, dans sa requête, de demander qu’en cas d’opposition, l’affaire soit immédiatement renvoyée devant la juridiction qu’il estime compétente.

Critère de compétence rarement vérifié par le juge de l’IP.

Ainsi, il est loisible pour le créancier, de faire reconnaître dans l’Ordonnance, que toute opposition sera formée devant la juridiction compétente du ressort de son siège social ou de son domicile, nonobstant, bien souvent, toute clause attributive de compétence valable, au sens de l’article 48 du CPC et de la jurisprudence [3].

Même si les magistrats ont, à de nombreuses reprises, rappelé qu’« il ressort des dispositions des articles 42 et suivants du même code [CPC] que le demandeur peut assigner le débiteur devant le tribunal du lieu du domicile du défendeur (ou de son siège social s’il s’agit d’une personne morale), du lieu de la livraison effective de la chose ou de l’exécution de la prestation de service, du lieu du fait dommageable ou du lieu où le dommage a été subi, ou le tribunal expressément désigné comme compétent par une clause du contrat », cela n’empêche pas des personnes mal intentionnées de délocaliser injustement la suite du litige, de sorte que le débiteur doive assumer les frais inhérents à une telle procédure (frais de postulation et/ou de déplacement, etc.).

En outre, et ce point n’est pas des moindres, être le plus prompt à engager une telle procédure, permet de placer l’affaire dans une situation de litispendance en cas de recours au fond.

Pour rappel, l’exception de litispendance est posée à l’article 100 du CPC.

Le texte dispose que

« si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l’autre si l’une des parties le demande. A défaut, elle peut le faire d’office ».

En présence de deux assignations au fond, la détermination de la première juridiction saisie s’effectue en comparant les dates de placement des assignations aux greffes des juridictions en concours [4].

En présence de deux actes de nature différente, la solution est identique, à savoir la première date de placement au greffe [5].

Pour conclure, déposer une requête IP avant l’assignation au fond, obligera le juge de la dernière procédure à se dessaisir, sur simple demande du créancier, au profit du juge statuant sur l’opposition à l’Ordonnance.

Et inversement.

Samy Azzam Avocat au Barreau de Tarascon

[1Article 1226 du Code civil.

[2Cass. com. 6 déc. 2016, n°15-12981.

[3Cass. Civ. 1, 15 mai 2018, n⁰17-12.044.

[4Versailles, 14 oct. 2004 : Gaz. Pal. 5-7 juin 2005, p. 19.

[5Douai, 20 juin 2002 : BICC 2003, no 243.