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Non, une photographie n’est pas une œuvre originale ! Par Alexandre Lazarègue, Avocat.
Parution : jeudi 22 avril 2021
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La société Picrights utilisent l’intelligence artificielle pour mettre en demeure les internautes qui utilisent des photographies prises par des journalistes de leur payer des indemnités au nom du droit d’auteur.

Le droit de la propriété intellectuelle protège les photographies qui présentent un caractère original.

Toutefois, le plus souvent, les photographies prises par des journalistes ne relèvent pas de cette catégorie et le droit d’auteur est revendiqué abusivement.

Si l’intitulé de notre article est volontairement provocateur, il correspond pourtant parfaitement à une réalité juridique bien affirmée par les juridictions : le plus souvent une photographie n’est pas une œuvre originale et ne peut faire l’objet d’une revendication en propriété !

Certes le Code de la propriété intellectuelle affirme que la protection du droit d’auteur s’applique à toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination, y compris les œuvres photographiques [1] mais seulement à la condition qu’elle soit originale [2].

Hélas, le législateur ne s’est pas donné la peine de définir cette notion, laissant aux juges le soin d’en dessiner les contours d’appréhension [3], refusant de transmettre à la Cour de cassation une question préjudicielle de constitutionnalité portant sur l’exigence d’originalité imposée par les juges. Force fût alors pour eux de constater que le travail photographique s’apparentait davantage à un savoir-faire technique qu’artistique et ne revêtait que très rarement la qualification d’œuvre de l’esprit originale susceptible d’être protégée par un droit de propriété. Ils en ont alors tiré la conséquence naturelle : chacun d’entre nous sommes disposés à faire le plus libre usage des photographies que nous picorons ici ou là selon les sublimes mots de l’article 5 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 « tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas ».

L’originalité, une notion laissée à la libre appréciation du juge.

Rares sont les concepts juridiques aussi flous et incertains que celui de l’originalité d’une œuvre.

La première raison tient à l’absence de définition dans le Code de la propriété intellectuelle. Il en est résulté des interprétations diverses données par les juridictions au fil du temps. Une première conception classique, considère le caractère original comme l’empreinte de la personnalité de l’auteur [4]. Une seconde conception plus contemporaine qui semble actuellement avoir les faveurs des juges fonde l’originalité d’une œuvre sur son apport intellectuel [5]. Ces divergences jurisprudentielles [6] sont étrangères aux pays anglo-saxons dans lesquels la création est protégée dès lors qu’elle ne constitue pas la copie d’une création antérieure et qu’elle révèle un effort intellectuel même des plus humbles. C’est la fameux « copyright » inscrit sur les recoins de diverses œuvres ou documents dont le simple tampon suffit à protéger la propriété d’une « création » si elle est nouvelle ou se prétend comme telle. Rappelons qu’en France une « œuvre originale » ne veut pas dire nouvelle, bien qu’il arrive que les juges s’y trompent [7].

La seconde raison de ce manque de clarté tient à la libre appréciation du caractère original des créations en cause. La notion est appréciée par les juridictions de façon subjective et repose sur l’appréciation de « choix esthétiques arbitraires » de l’auteur [8]. Une telle appréciation est ainsi soumise, s’il y a procès, aux talents de conviction de l’avocat et aux impressions du juge.

Cette incertitude donne lieu à l’instrumentalisation du concept d’originalité par des intérêts privés tentés de revendiquer abusivement la propriété d’une œuvre pour entraver la liberté du commerce et de l’industrie et ainsi freiner les initiatives concurrentielles.

C’est ainsi que les photographes de presse et leurs agences telles que l’Agence France Presse (AFP), Associated Press (AP) Reuters ou encore BestImages se croient autorisés à revendiquer abusivement la propriété des clichés pris par leurs journalistes en invoquant des choix esthétiques de manière arbitraire. L’internaute qui aura repris sur son site internet une photographie collectée sur le web se voient ainsi mis en demeure de payer des indemnités pour contrefaçon de droit d’auteur au motif qu’il aurait réutilisé des photographies, pourtant d’une rare banalité.

L’impossible démonstration de l’originalité d’une photographie.

Il appartient cependant à celui qui revendique la protection accordée à l’auteur d’une œuvre de démontrer qu’elle répond aux critères d’originalité révélant l’empreinte de la personnalité de son créateur. S’ils s’appliquaient ce principe, les ayants droits de photographies peineraient à faire valoir leurs droits.

Ils trouvent toutefois un nouvel allié dans des sociétés utilisant l’intelligence artificielle et qu’ils mandatent pour balayer le web et repérer les contrefacteurs supposés sur internet en les sommant de leur payer des indemnités pour atteinte à leurs prétendus droits d’auteur.

Les sociétés PicRights [9], RightsControl [10] ou encore PermissionMachine [11] se mettent ainsi au service d’une entreprise systématique et irraisonnée de réclamations indemnitaires, en jouant ad nauseam de la notion d’originalité, et en tentant de tirer profit du manque de clarté de cette notion.

En contrepoint de ces revendications, l’on sait que les juges adoptent un regard critique, selon lequel « la seule saisie du réel même avec talent mais sans parti pris esthétique ou travail créatif est insuffisante » à démontrer l’originalité de la photographie [12]. Or, les photographes de presse ont pour but premier de saisir un fait, un événement ou un personnage public. Le plus souvent, la prise de vue et le résultat visuel s’imposent au photographe : cadrage, ombres, lignes de fuite, éclairage, attitude du/des personnage(s), mais aussi la focale, la distance ou le positionnement du photographe, ne découlent pas de ses choix créatifs et esthétiques [13].

Quant aux photographies prises en rafale, elles limitent d’autant plus la marge d’intervention humaine.

En outre, la preuve des choix opérés par un photographe contemporain est d’autant plus délicate que ce dernier

« appartient (…) à une époque où le maniement des appareils photographiques numériques est devenu courant et banal, où les réglages se font généralement automatiquement sans plus aucune intervention humaine si ce n’est dans le choix du sujet et du déclenchement de l’appareil » [14].

Lorsque l’utilisateur d’une image conteste le caractère illicite de sa reproduction [15], il lui est généralement répondu que l’originalité du cliché repose dans la présence de tel ou tel élément visuel, dont la disposition révélerait un effort esthétique et créatif. Pourtant, le simple fait d’indiquer que « la photographie résulte de la composition et de l’organisation de l’image, de son cadrage et de l’angle de prise de vue n’est pas en soi suffisant » [16], de même que des « commentaires généraux » sur les choix opérés et le « savoir-faire » du photographe [17].

Il est même revenu à une juridiction de considérer que la photographie de mannequins qui posent pour un magazine de mode ne pouvaient se voir conférer le titre d’œuvre originale [18].

Ces agences sont aussi tentées de justifier l’originalité de leurs photographies en employant des termes qui relèvent de la pure interprétation, faisant reposer l’originalité sur la lecture que le spectateur est porté à faire. Mais les juridictions sont venues affirmées en réponse qu’il ne suffit pas à celui qui revendique des droits d’auteur de décrire et d’interpréter une image pour démontrer son originalité [19].

Le Code de la propriété intellectuelle recèle ainsi des concepts flous dont le manque de clarté est volontairement entretenu par des forces économiques et sociales dominantes dans le champ culturel et qui ont l’oreille des pouvoirs publics.

Elles permettent d’instrumentaliser la notion originalité et ainsi revendiquer abusivement la propriété d’œuvre photographique en entravant la liberté du commerce et de l’industrie.

Puisse le législateur se saisir de cette question et dessiner une régime juridique clair quant à la protection des œuvres artistiques. Si la lutte contre la contrefaçon est un combat légitime, il ne peut se faire sur la base d’un concept aussi incertain et en définitive dangereux pour la sécurité juridique du justiciable.

Maître Alexandre Lazarègue, Avocat spécialisé en droit du numérique et de la propriété intellectuelle https://www.lazaregue-avocats.fr

[1Code de la propriété intellectuelle, art. L112-1 et L112-2, 9°.

[2Code de la propriété intellectuelle, art. L112-4 : « Le titre d’une œuvre de l’esprit, dès lors qu’il présente un caractère original, est protégé comme une œuvre de l’esprit ».

[3CA Paris, Pôle 5, 2e ch., 11 avril 2014, n° 13/23575.

[4Cass. Com., 1 juill. 2008, n° 07-13.952. Publié au bulletin, « un parti pris esthétique qui traduit une marche créative portant l’empreinte de la personnalité de l’auteur », CJCE, 16 juillet 2009, arrêt dit Infopaq, « expression de la création intellectuelle propre à l’auteur ».

[5Cass. ass. plén., 7 mars 1986, arrêt dit Pachot, sur « l’effort personnalisé » de l’auteur d’un logiciel.

[6H. Desbois, Le droit d’auteur en France, Dalloz, 1978, p.23 : « est originale toute création qui n’est pas la simple reproduction d’une œuvre existante et qui exprime le goût, l’intelligence et le savoir-faire de son auteur, en d’autres termes, sa personnalité dans la composition et l’expression ».

[7CA Paris, Pôle 5, 2e ch., 14 sept. 2012, n° 11/10263 ; CA Lyon, 1re ch., 28 mai 2014, n° 13/01422.

[8Cass. com, 5 avril 2018, n°13-21.001.

[12CA Versailles, 1re chambre 1re section, 8 décembre 2017, n°15/08737.

[13CA Paris, Pôle 5 - chambre 1, 22 septembre 2020, n° 18/19018.

[14CA Paris, Pôle 5 - chambre 2, 25 mai 2012, n° 11/1298.

[16Ibid.

[17TGI Paris, 3e chambre 1re section, 20 avril 2017, n° 15/12631.

[18Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 4e section, 16 septembre 2010, n° 09/04984.

[19Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 3e section, 14 février 2014, n°12/11964.

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