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Foulard Islamique : nullité d’un licenciement en l’absence de clause de neutralité. Par Frédéric Chhum, Avocat et Claire Chardès, Elève-Avocat.
Parution : jeudi 29 avril 2021
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Le 14 avril 2021 (n° 19-24079), soit quatre années après son dernier arrêt retentissant sur le sujet, la Cour de cassation s’est à nouveau positionnée sur le caractère discriminatoire du licenciement prononcé du fait du refus par une salariée de retirer son voile sur le lieu de travail (Cass., Soc., 14 avril 2021, n°19-24079).

1) Le contexte.

Une salariée avait été embauchée en qualité de vendeuse par Camaïeu le 11 juillet 2012.

A son retour de congé parental le 28 juillet 2015, celle-ci portait le voile.

Le fabricant de textile lui a alors demandé de le retirer.

L’intéressée s’y refusant, l’employeur l’a dispensé d’activité à compter du 06 août 2015, avant de la licencier le 09 septembre suivant pour cause réelle et sérieuse.

La salariée a donc saisi la juridiction prud’homale en février 2016. Elle a obtenu gain de cause devant la Cour d’appel de Toulouse le 6 septembre 2019. Pour cette dernière, le licenciement devait être annulé.

L’employeur s’est donc pourvu en cassation.

2) Les arguments de l’employeur.

Afin d’appuyer son pourvoi, l’employeur s’est appliqué à rapporter la preuve d’une politique interne de neutralité préexistante au licenciement de la salariée.

A cette fin, il s’est notamment prévalu d’un article de son règlement intérieur, qui mettrait en place des « restrictions collectives » sur le sujet.

Par ailleurs, pour l’entreprise, en exigeant l’existence d’une source formelle instaurant la neutralité, les juges du fond aurait recherché une condition exorbitante de ce que la loi prévoit initialement.

Toujours selon l’employeur, la Cour d’appel a statué « sans examiner l’argumentation qui lui était soumise au regard :
- (i) de la nature de l’activité exercée par la salariée,
- (ii) des conditions d’exercice de l’activité de Mme X... tenant au fait que “Les fonctions de vendeuse s’exercent principalement sur une surface de vente spécifiquement construite autour de l’œil de la cliente, et avec pour objectif de mettre en valeur les produits de l’entreprise”, et “au sein d’une collectivité de travail”,
- (iii) de “la volonté de la société de garantir le respect de la détermination de ses surfaces commerciales”,
- (iv) de la “volonté de la société de faire prévaloir le respect des engagements contractuels acceptés par Mme X...”,
- (v) “du caractère spontané, ostentatoire et permanent des modalités d’expression de ses convictions religieuses retenues par Mme X... “,
- (vi) “de la position cohérente adoptée par la société à chaque fois qu’elle s’est trouvée [confrontée] à la difficulté en débat”,
- (vii) “de la durée pendant laquelle Mme X... avait elle-même exercé ses fonctions sans porter de foulard”,
- (viii) “ du droit à l’emploi des autres salariés de l’entreprise“,
- (ix) “de la capacité de Mme X... à retrouver un emploi compatible avec la tenue illustrée par sa pièce n° 4“, et “de la nature de la pratique en débat”
 ».

En outre, l’argument du pouvoir de direction a été soulevé. En effet, selon l’enseigne de prêt-à-porter, l’employeur « est seul juge de la cohérence de la tenue vestimentaire du salarié avec l’image de l’entreprise » de sorte « qu’il n’appartient pas au juge de substituer son appréciation à celle de l’employeur, sauf à caractériser un abus de l’employeur ».

En conséquence, la Cour d’appel, qui a « reconnu qu’il est indéniable que le changement de présentation vestimentaire de la salariée a perturbé les identités préétablies que l’employeur jugeait comme essentielles au développement de son activité commerciale assise sur une conception de l’image de la femme contraire à celle communément perçue chez celles qui arborent le foulard islamique », aurait ainsi violé le principe de la liberté d’entreprendre.

Enfin, la société a tenté d’arguer que « si le port du voile islamique participe de la dignité de la femme c’est seulement aux yeux de la religion musulmane », et non pas au regard de la conception de la dignité de la femme au regard du « droit de l’Union et aux lois de la République française qui ne considèrent le port du voile islamique qu’au titre de la liberté de conviction ».

Néanmoins, selon la Cour d’appel, « la prise en compte par une entreprise de l’attente des clients sur l’apparence physique de ceux qui les servent » aurait pour effet de faire « prévaloir les règles économiques de la concurrence sur l’égale dignité des personnes humaines ».

3) La solution dévoilée par la Cour de cassation.

3.1) La nécessité d’une règle interne de portée générale.

La Cour de cassation commence par rappeler les principes applicables en matière de restrictions à la liberté religieuse.

En effet, pour que ces dernières puissent être appliquées, il faut qu’elles soient « justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché ».

L’article L1321-5 du Code du travail prévoit qu’une clause de neutralité « politique, philosophique et religieuse » peut être insérée dans le règlement intérieur, dès lors qu’elle est « générale » et qu’elle n’est appliquée « qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients ».

Une fois ces principes rappelés, les juges de la Haute Cour statue précisément sur le cas de l’absence d’une clause de neutralité.

Et pour cause, en l’absence de clause de portée générale, l’interdiction, formulée oralement à la salariée et spécifiquement dirigée contre le port du voile, constitue nécessairement une discrimination directe « fondée sur les convictions religieuses de l’intéressée ».

Or, viser expressément une religion par rapport aux autres constituent une discrimination directe bien évidemment prohibée.

Néanmoins, une règle expresse de portée générale, visant toutes les convictions, qu’elles soient religieuses, politiques ou philosophiques, peut contribuer à fonder la demande de retrait du voile.

3.2) L’insuffisance de l’image commerciale comme exigence professionnelle et déterminante.

Par ailleurs, la Cour de cassation retient que l’employeur s’est « explicitement placée sur le terrain de l’image de l’entreprise au regard de l’atteinte à sa politique commerciale », susceptible « d’être contrariée au préjudice de l’entreprise par le port du foulard islamique par l’une de ses vendeuses ».

Or, « l’attente alléguée des clients sur l’apparence physique des vendeuses d’un commerce de détail d’habillement » n’est pas une « exigence professionnelle essentielle et déterminante », au sens de la « Directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 ».

En conséquence, il ressort de l’ensemble de ces éléments que le « licenciement de la salariée, prononcé au motif du refus de celle-ci de retirer son foulard islamique lorsqu’elle était en contact avec la clientèle » est discriminatoire !

4) Bilan : pas de clause de neutralité, pas d’interdiction du voile islamique.

Cet arrêt vient confirmer le précédent arrêt retentissant de la Cour de cassation en la matière, à savoir celui du 22 novembre 2017 (n°13-19.855) (Cass., Soc., 22 novembre 2017, n° 13-19855).

En effet, après que la CJUE se soit elle-même prononcée après avoir été saisie par une question préjudicielle, la Cour de cassation avait déjà énoncé une telle solution en 2017.

Elle avait ainsi estimé que de « l’interdiction faite à la salariée de porter le foulard islamique dans ses contacts avec les clients résultait seulement d’un ordre oral donné à une salariée et visant un signe religieux déterminé » il résultait « l’existence d’une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses ».

Et puisque par deux points il ne passe qu’une seule droite, il ressort de ces deux arrêts une certaine constance jurisprudentielle instaurant la règle suivante : si aucune clause de neutralité de portée générale, et réservée aux salariés en contact avec les clients, n’est préalablement prévue, alors le licenciement de la salariée fondé sur son refus de retirer son voile suite à la demande de sa hiérarchie a de fortes chances d’être discriminatoire, et partant, nul.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum