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Le sport français doit-il adopter le système de ligues fermées ? Par François-Xavier Verdes, Avocat.
Parution : samedi 24 avril 2021
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La volonté de douze des plus grands clubs de football européen de créer une Super League quasi fermée rouvre le débat sur la pertinence de revoir le modèle économique des ligues sportives professionnelles sur le plan national.

La récente défaillance de Mediapro (le groupe audiovisuel espagnol diffuseur du championnat de France de ligue 1) dans le football français et la crise sanitaire ont fragilisé les finances des clubs professionnels et accru leurs besoins de sécurité financière, tous sports confondus.

Le modèle actuel des ligues ouvertes doit-il être remis en question sur le plan national ?

Dimanche 18 avril dernier, douze des plus grands clubs européens de football déclaraient leur intention de former une Super League, directement concurrente de la Ligue des Champions, provoquant une déflagration dans les instances européennes. 48 heures plus tard, le projet été abandonné.

Si ce projet de Super League européenne fut autant discutable du point de vue des valeurs sportives que fragile d’un point de vue juridique, il eut le mérite d’interroger les ligues professionnelles et les clubs sur l’évolution de leur format de leurs championnats nationaux.

L’article L132-1 du Code du sport consacre historiquement en France l’existence de ligues professionnelles chargées d’organiser les compétitions. Il leur appartient ensuite de définir la réglementation interne applicable aux compétitions professionnelles.

Le système des championnats nationaux en France repose ainsi sur un principe de montées et de descentes en fin de saison dans chaque championnat (ligues ouvertes). Les clubs sont alors tenus de maximiser leurs résultats sportifs tout en étant contraints de gérer l’aléa financier généré par le risque de descente.

Or, dans le contexte actuel, les conséquences financières d’une descente pour un club peuvent être désastreuses. Les entreprises et les sponsors ayant investi peuvent perdre beaucoup d’argent. Les conséquences sur l’emploi sont aussi à prendre en compte, tant du côté des clubs que du côté des entreprises qui bénéficient indirectement des retombées d’un club évoluant dans l’élite. La gestion de ce risque peut aussi entraîner une certaine frilosité des « petits » clubs à investir et à moderniser leurs structures, pendant que d’autres clubs plus renommés caracolent en tête des championnats, creusant au passage l’écart de niveau entre les équipes et réduisant du même coup la glorieuse incertitude du sport.

Vers une fermeture des ligues nationales ?

Pour sécuriser les clubs, certains sports font évoluer leurs règlements et avancent de plus en plus vers une fermeture des championnats.
- dans le football, l’instauration des barrages en fin de saison dans les championnats professionnels est un pas à peine voilé vers une ligue fermée ;
- dans le rugby, l’éventualité d’une ligue fermée est à l’étude selon Thierry Braillard, ancien Secrétaire d’Etat aux Sports.
- dans les autres sports, l’émergence de l’International Swimming League en natation, de la Kontinental Hockey League ou encore de l’Euroleague de basketball sont autant de signes évidents d’un changement de paradigmes.

Si les avancées tardent à se concrétiser, c’est que les réticences sont fortes. En effet, il n’est pas dans la culture française de créer des « entre-soi ». Selon les opposants aux ligues fermées, le maintien du système actuel tend à valoriser la méritocratie et veiller à ce que les lois du sport l’emportent sur les lois du marché. Or, à y regarder de plus près, le système actuel ne permet plus, ou plus assez, aux petits clubs de se mêler à la course avec les grands clubs. Pire, il pèse sur ces derniers le risque annuel de tout perdre en cas de saison ratée. Enfin, l’emballement du marché des transferts ces derniers années vient attester l’idée que les ligues ouvertes ne sont pas des freins à la marchandisation du sport.

Les ligues fermées sont-elles une opportunité ?

L’instauration de ligues fermées constituerait à n’en pas douter une rupture historique avec le modèle pyramidal européen. A l’instar du modèle qui prévaut dans le sport américain, la mutation du modèle des ligues en France permettrait aux clubs de retrouver une stabilité sportive et financière, à travers un système de championnat totalement autonome dans lequel chaque équipe dispose d’un droit d’entrée permanent. Les clubs devraient en outre respecter une charte garantissant l’équité entre les participants.

Sur le plan économique, exit la crainte de la relégation. Financièrement, cela signifie que les clubs gagnent en stabilité. Des résultats sportifs décevants ne font plus craindre une catastrophe économique. Qui plus est, les ligues fermées pourraient garantir à leurs participants une répartition égalitaire des droits TV, ce qui n’est pas le cas en ligue ouverte, dont la clé de répartition est souvent la position au classement. Autre avantage procuré par la ligue fermée : l’encadrement de la masse salariale, à l’instar du « salary cap » mis en place par le Top 14 pour préserver l’équité de la compétition. Plus de produits générés, c’est aussi plus d’investissement dans la formation et l’éducation au sein des clubs.

Sur le plan sportif, une plus juste répartition des revenus et des produits générés par l’économie mise en place pour les clubs entraînerait mécaniquement la possibilité pour des clubs aujourd’hui plus discrets de concurrencer les « grosses écuries ». Pour assister à des championnats ou les derbys seraient accrochés et le jeu débridé…

François-Xavier Verdes, Avocat Fondateur de Maeker Avocat