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Port du voile : l’atteinte à l’image commerciale n’en justifie pas l’interdiction en l’absence d’une clause de neutralité. Par Marie-Paule Richard-Descamps, Avocat.
Parution : lundi 26 avril 2021
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Un employeur peut-il se placer explicitement sur le terrain de l’image de l’entreprise, au regard de l’atteinte à sa politique commerciale, pour interdire le port du foulard islamique à l’une de ses vendeuses ?

Non répond la Cour de cassation dans un arrêt du 14 avril 2021 qui confirme la nullité du licenciement [1].

En l’absence d’une clause de neutralité valablement inscrite dans le règlement intérieur, le licenciement d’une salariée prononcé au motif de son refus de retirer son foulard islamique lorsqu’elle est en contact avec la clientèle, est discriminatoire et donc nul.

Cette affaire est antérieure à la loi dite « travail » et le règlement intérieur ne comprenait aucune clause de neutralité restreignant la manifestation des convictions des salariés.

Il importe de rappeler que l’article L1321-2-1 du code du travail crée par la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 - art. 2 dispose que :
« Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. »

Le port du voile islamique en entreprise a donné lieu ces dernières années à une jurisprudence largement médiatisée sur le point de savoir si un employeur privé peut interdire à une salariée de confession musulmane de porter un foulard au travail et s’il peut la licencier si elle refuse d’ôter son foulard au travail (Cf notre article « Le port du voile en entreprise »).

Récemment, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur la possibilité pour un employeur de licencier un cadre consultant en sûreté à cause du port d’une barbe « taillée d’une manière volontairement signifiante aux doubles plans religieux et politique » ? (Voir notre article « Port de la barbe et discrimination:licenciement nul ».)

Les faits.

Une salariée engagée par la société Camaïeu international le 11 juillet 2012 en qualité de vendeuse a bénéficié d’un congé parental du 29 janvier au 28 juillet 2015.

A son retour de congé, elle s’est présentée à son poste de travail avec un foulard dissimulant ses cheveux, ses oreilles et son cou. L’employeur lui a demandé de retirer son foulard et à la suite du refus opposé par la salariée, a placé celle-ci en dispense d’activité le 6 août 2015, puis l’a licenciée pour cause réelle et sérieuse le 9 septembre suivant.

Soutenant être victime de discrimination en raison de ses convictions religieuses, la salariée a saisi la juridiction prud’homale, le 4 février 2016, de demandes tendant à la nullité de son licenciement et au paiement de diverses sommes.

La cour d’appel de Toulouse a annulé le licenciement par un arrêt du 6 septembre 2019.

La décision de la Cour de cassation.

Le pourvoi de l’employeur est rejeté car la chambre sociale estime que la cour d’appel a déduit à bon droit que le licenciement de la salariée, prononcé au motif du refus de celle-ci de retirer son foulard islamique lorsqu’elle était en contact avec la clientèle, qui était discriminatoire, devait être annulé.

En effet, pour la haute cour, il résulte des articles L. 1121-1, L. 1132-1, dans sa rédaction applicable, et L. 1133-1 du code du travail, mettant en œuvre en droit interne les dispositions des articles 2, § 2, et 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché.

Aux termes de l’article L. 1321-3, 2°, du code du travail dans sa rédaction applicable, le règlement intérieur ne peut contenir des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

L’employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l’ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, en application de l’article L. 1321-5 du code du travail dans sa rédaction applicable, une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients.

Il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 14 mars 2017, Micropole Univers, C-188/15), que la notion d’« exigence professionnelle essentielle et déterminante », au sens de l’article 4 § 1 de la directive 2000/78 du 27 novembre 2000, renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause. Elle ne saurait, en revanche, couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client.

Ayant d’abord relevé qu’aucune clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail n’était prévue dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, la cour d’appel en a déduit à bon droit que l’interdiction faite à la salariée de porter un foulard islamique caractérisait l’existence d’une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses de l’intéressée.

Après avoir relevé ensuite, appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, que la justification de l’employeur était explicitement placée sur le terrain de l’image de l’entreprise au regard de l’atteinte à sa politique commerciale, laquelle serait selon lui susceptible d’être contrariée au préjudice de l’entreprise par le port du foulard islamique par l’une de ses vendeuses, la cour d’appel a exactement retenu que l’attente alléguée des clients sur l’apparence physique des vendeuses d’un commerce de détail d’habillement ne saurait constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante, au sens de l’article 4 § 1 de la directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne.

Conclusion.

L’on retiendra que, dans le principe, l’employeur peut prévoir dans le règlement intérieur de l’entreprise une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients.

Cependant, « l’exigence professionnelle essentielle et déterminante » renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause.

Elle ne saurait couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers des clients.

Marie-Paule Richard-Descamps Avocat spécialiste en droit du travail Présidente de la Commission sociale du Barreau des Hauts de Seine https://www.cabinetrichard-descampsavocat.fr