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Filmer et diffuser les procès : que prévoit le projet de loi pour la Confiance dans l’institution judiciaire ? Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : dimanche 2 mai 2021
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L’article 1er du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire prévoit un nouveau régime d’autorisation d’enregistrement sonore ou audiovisuel des audiences judiciaires et administratives en vue de leur diffusion fondée sur un motif d’intérêt public.
Le projet de loi va être débattu à l’Assemblée Nationale.

La 1ère diffusion d’un procès pourrait intervenir à l’automne prochain si le projet de loi est adopté.

Le diffuseur du premier procès devrait être France Télévisions.

Dans un avis du 8 avril 2021, le Conseil d’Etat a donné un avis favorable aux dispositions sur l’enregistrement et la diffusion des audiences prévues dans le projet de loi.

1) Enregistrement et diffusion des audiences : que prévoit le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire ?

1.1) Nouveau régime d’autorisation d’enregistrement sonore ou audiovisuel des audiences judiciaires et administratives.

Par dérogation au premier alinéa de l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881, l’enregistrement sonore ou audiovisuel d’une audience peut être autorisé pour un motif d’intérêt public en vue de sa diffusion.

Lorsque l’audience n’est pas publique, l’enregistrement est subordonné à l’accord préalable des parties au litige.

1.2) Modalités de l’enregistrement.

Les modalités de l’enregistrement ne doivent porter atteinte ni au bon déroulement de la procédure ou des débats ni au libre exercice de leurs droits par les parties et les personnes enregistrées.

Le président de l’audience peut, à tout moment, suspendre ou arrêter l’enregistrement pour l’un de ces motifs.

1.3) Diffusion de l’enregistrement et droit de rétractation des parties et témoins.

La diffusion, intégrale ou partielle, n’est possible qu’après que l’affaire a été définitivement jugée.

La diffusion est réalisée dans des conditions ne portant atteinte ni à la sécurité, ni au respect de la vie privée des personnes enregistrées, ni au respect de la présomption d’innocence.

Sans préjudice de l’article 39 sexies, l’image et les autres éléments d’identification des personnes enregistrées ne peuvent être diffusées qu’avec leur consentement donné par écrit avant la tenue de l’audience.

Les personnes jugées et plaignantes ainsi que les témoins entendus lors de l’audience peuvent rétracter ce consentement après l’audience.

1.4) Eléments d’identification des mineurs et des majeurs protégés.

La diffusion ne peut, en aucun cas, permettre l’identification des mineurs et des majeurs bénéficiant d’une mesure de protection juridique.

1.5) Droit à l’oubli.

Aucun élément d’identification des personnes enregistrées ne peut être diffusé plus de cinq ans à compter de la première diffusion, ni plus de dix ans à compter de l’autorisation d’enregistrement.

2) Avis du Conseil d’Etat du 8 avril 2021 sur l’enregistrement et la diffusion des audiences.

2.1) Champ du dispositif.

Comme les articles L221 1 et suivants du code du patrimoine, le dispositif couvre toutes les juridictions administratives ou judiciaires, y compris les juridictions spécialisées telles la Cour des comptes, les juridictions du travail ou encore les juridictions professionnelles, telles celles des professions du droit (points 38 à 47).

Ces dispositions doivent s’entendre aussi comme s’appliquant au Tribunal des conflits, par analogie avec ce que prévoit l’article L221 2 du code du patrimoine.

2.2) Le Conseil d’Etat souscrit à la modification de la loi de 1881.

Le Conseil d’État souscrit à l’objectif de cette modification de la loi de 1881, visant à mieux faire connaitre des citoyens l’activité de la justice, dont les décisions sont rendues « au nom du peuple français ».

Il observe que l’enregistrement et la diffusion des audiences est permise dans de nombreux pays, et qu’en France, comme l’indique l’étude d’impact, s’est développée devant les juridictions judiciaires, en dehors du cadre légal, la pratique d’autorisations d’enregistrer des débats, notamment pour des reportages à la télévision.

2.3) Dérogation à l’interdiction de l’enregistrement et de la diffusion des audiences.

Si le dispositif en vigueur, qui repose sur l’interdiction de l’enregistrement et de la diffusion des audiences a été jugé non contraire à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2019 817 QPC du 6 décembre 2019, au motif notamment que l’atteinte portée par l’article 38 ter à l’exercice de la liberté d’expression et de communication est nécessaire, adaptée et proportionnée aux objectifs poursuivis, il est loisible au législateur de lever cette interdiction ou, comme c’est le cas du projet, de lui apporter des dérogations.

Il doit alors veiller, par des mesures appropriées, aux exigences rappelées dans cette décision par le Conseil constitutionnel : le respect de l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, la prévention des atteintes que la diffusion des images ou des enregistrements issus des audiences pourrait porter au droit au respect de la vie privée des parties au procès et des personnes participant aux débats, la sécurité des acteurs judiciaires et, en matière pénale, la présomption d’innocence de la personne poursuivie.

A cet égard, le Conseil d’Etat considère que le projet répond dans son ensemble à ces exigences ainsi qu’à celle de nature conventionnelle auxquelles la France est liée, telles celles de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif à la liberté d’expression.

Source :
- Projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire ;
- Avis du Conseil d’Etat sur le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum