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Zone de transit aéroportuaire : quelle qualification juridique ? Par Camille Dire, Avocat.
Parution : mardi 27 avril 2021
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A partir de quand est-on « entré en France » ? A cet égard quel est le statut des zones de transit international ? Tandis que le Conseil d’Etat maintient une position établie de longue date, celle-ci n’est pas sans poser des questions de nature plus pratiques, d’autant plus que cette position n’est pas confortée au niveau interne et au niveau international.

La semaine dernière, nous apprenions qu’un ressortissant congolais était resté « coincé » quatorze mois dans la zone de transit internationale de l’aéroport de Séoul, en Corée du Sud, les autorités locales ayant refusé d’examiner sa demande d’asile. De fait, cet homme avait décidé d’attendre dans la zone de transit de l’aéroport plutôt que de rentrer en République démocratique du Congo. Sur place, il a pu bénéficier du soutien apporté par des associations ses avocats, qui lui ont fourni de quoi subvenir à ses besoins. « Pendant un an et deux mois, l’homme a ainsi pu tenir. Il dormait sur des sièges d’aéroport, se lavait et faisait sa lessive dans les toilettes du terminal », indiquent les journaux [1].

Une telle situation n’est pas imaginable en France, notre droit comprenant des dispositions claires concernant les demandes d’asile formulées à la frontière : la procédure instituée a pour objet d’examiner le caractère manifestement infondé ou non de la demande d’asile présentée par un étranger à la frontière, sans préjudice de l’examen au fond, ultérieurement, de la demande d’asile par l’OFPRA. A l’issue de cet examen auquel il est procédé tandis que l’étranger est maintenu en zone d’attente, celui-ci pourra être admis sur le territoire, ou bien être renvoyé vers son pays de provenance ou d’origine. La possibilité de refuser l’entrée sur le territoire à un étranger sollicitant l’asile politique sur notre territoire relevant du seul ministre « chargé de l’immigration » [2].

Ce cas extrême est toutefois l’occasion de revenir sur le statut de ces zones dîtes « internationales ». L’actualité juridique récente montre en effet que la situation continue d’interroger.

1. Entrée ou séjour en France ?

Dans son avis rendu le 28 juin 2019 concernant une mesure de garde-à-vue prise après un refus d’entrée [3], le Conseil d’Etat a prouvé que facilité sémantique et rigueur juridique n’allait pas de pair.

En l’espèce, un Colombien en provenance de Bogota était arrivé à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, afin de prendre un vol de continuation vers l’Espagne, où il déclarait vouloir se rendre à des fins touristiques.

Après avoir fait l’objet d’un refus d’entrée prononcé par les autorités françaises (défaut d’attestation d’accueil et insuffisance des ressources), il avait été maintenu en zone d’attente.

Puis, après avoir refusé par deux fois d’embarquer dans un vol visant à le réacheminer au point de commencement de son voyage - conformément aux textes en vigueur - il avait été placé en garde-à-vue pour s’être soustrait à l’exécution de cette mesure. Par arrêté du 14 novembre 2018 pris par le préfet de la Seine-Saint-Denis, il s’était vu notifier une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Mesure qu’il avait ensuite contestée devant le tribunal administratif de Melun.

A l’occasion de cette demande d’annulation, le TA de Melun avait saisi le Conseil d’Etat afin de savoir si une personne ayant fait l’objet d’un refus d’entrée, d’un maintien en zone d’attente et qui, suite à son refus d’être réacheminée a été placée en garde-à-vue, pouvait faire l’objet d’une OQTF sans délai afin d’être éloignée du territoire à l’issue de cette mesure.

2. L’entrée sur le territoire national.

Il s’agissait notamment de savoir si la possibilité de prendre une obligation de quitter le territoire français est « subordonnée à la circonstance que ce ressortissant soit entré effectivement sur le territoire français » et surtout, si un

« ressortissant étranger qui a fait l’objet d’une décision de refus d’entrée et de placement en zone d’attente et qui a refusé d’obtempérer à un réacheminement pris pour l’application de cette décision, doit être regardé comme entré sur le territoire français, ou cette entrée n’est-elle effective qu’après qu’il a été placé en garde à vue ou bien seulement à l’issue de la dernière prolongation par le juge des libertés et de la détention du maintien de l’intéressé en zone d’attente ».

Le Conseil d’Etat, après avoir analysé la réglementation relative aux conditions d’entrée et au refus d’entrée [4] ainsi qu’au placement en zone d’attente [5], et celle relative à l’obligation de quitter le territoire français [6], en a conclu que la mesure de refus d’entrée - en tant que décision administrative - peut être exécutée d’office, dès lors que l’étranger se trouve en zone aéroportuaire, en transit ou en zone d’attente. En revanche dans cette configuration, le conseil d’Etat estime qu’une OQTF ne peut s’appliquer, l’étranger ne pouvant être regardé comme « entré sur le territoire français ».

Ensuite, le conseil d’Etat a rappelé que l’étranger peut être considéré comme entré en France si, ayant fait l’objet d’une décision de refus d’entrée, il a été libéré par le JLD à l’issue de la dernière prolongation de la mesure de maintien en zone d’attente [7].

Le code prévoit effectivement qu’à l’issue d’une telle décision, l’étranger va bénéficier de la délivrance d’un « visa de régularisation » valable 8 jours, et que par conséquent, il se verra apposer un compostage d’entrée matérialisant précisément la date de début du séjour autorisé sur le territoire national.

Parallèlement, le Conseil d’Etat a estimé que l’étranger peut être considéré comme entré en France s’il a été placé en garde à vue « dans des locaux situés en dehors de la zone d’attente », à la suite d’un refus d’embarquer. Ceci, bien qu’ayant préalablement rappelé que « la zone d’attente s’étend, sans qu’il soit besoin de prendre une décision particulière, aux lieux dans lesquels l’étranger doit se rendre soit dans le cadre de la procédure en cours, soit en cas de nécessité médicale » [8].

Ce faisant, le Conseil d’Etat a nécessairement considéré que la garde-à-vue constituait une nouvelle procédure, distincte de la procédure en cours, puisque le code prévoit une extension naturelle de la zone d’attente dans laquelle peut se mouvoir l’intéressé au cours du traitement de la procédure initiale de refus d’entrée et de maintien en zone d’attente.

Or, cette décision va à l’encontre des positions établies jusque-là, notamment celle de la Cour de cassation. Celle-ci avait estimé, dès 1987 [9], que « l’ensemble de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle sur la totalité duquel la souveraineté de la France s’exerce, fait partie du territoire français, le statut juridique des zones dites ‘internationales’ ou ‘sous douane’ n’ayant aucune incidence sur le caractère français de cette partie du territoire national ».

Et cela, déjà, à l’encontre de la position du conseil d’Etat qui dans son arrêt du 27 janvier 1984 « Eksir et autres » [10] , avait considéré que si le fait de se trouver dans la zone internationale était assimilable au fait de se trouver sur le territoire français, en pratique, les intéressés se trouvaient en quelque sorte dans une situation d’exterritorialité qui interdisait de prendre en considération leur présence physique sur une parcelle du territoire national, et qu’en droit ils ne se trouvaient pas en France [11].

Face à cette situation « sans consistance juridique » [12], la loi du 6 septembre 1991 portant modification de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France avait tenté de réglementer la situation des zones de transit.

Lors de la présentation à l’Assemblée nationale du projet de l’article 8 de la loi du 6 septembre 1991, a l’appui de sa volonté de légiférer, le ministre de l’intérieur avait soutenu que « les étrangers dans cette situation ne sont pas retenus, puisqu’ils ne sont pas sur le territoire français, car ils sont libres de partir à tout moment » [13].

C’est pourquoi l’article 8 par. 1 de cette loi insérait dans l’ordonnance précitée un article 35 quater, aux termes duquel :

« (...) l’étranger qui n’a pas été autorisé à entrer sur le territoire français à la frontière aérienne ou maritime ou qui a demandé son admission à cette frontière au titre de l’asile peut être maintenu dans la zone de transit du port ou de l’aéroport pendant le temps strictement nécessaire à son départ ou à l’examen de sa demande d’admission sur le territoire et pour une durée qui ne peut excéder vingt jours. Cette zone, qui est délimitée par arrêté du préfet, s’étend des points d’embarquement ou de débarquement sur le territoire français aux postes où sont effectués les contrôles des personnes à l’entrée et à la sortie du territoire. Elle peut être étendue pour inclure dans son périmètre un ou plusieurs lieux d’hébergement (...), le maintien en zone de transit est prononcé par une décision écrite et motivée du chef du service de contrôle aux frontières ou d’un fonctionnaire désigné par lui, titulaire du grade d’inspecteur. Cette décision est inscrite sur un registre mentionnant l’état civil de l’étranger concerné et les conditions de son maintien ;(...) l’étranger est libre de quitter à tout moment la zone de transit pour toute destination étrangère de son choix (…) ».

Dans sa décision du 25 février 1992, le Conseil constitutionnel, saisi par le premier ministre en vertu de l’article 61 de la Constitution, jugea l’article 8 de la loi du 6 septembre 1991 contraire à la Constitution. Il fut donc retiré.

En conséquence de quoi, la décision de la Cour de Cassation restait la seule formule encadrant la situation des zones de transit.

Par jugement du 25 mars 1995 [14], le tribunal de grande instance de Paris estima à son tour que la zone internationale des aéroports « constitue une fiction juridique, qui ne saurait être soustraite aux principes fondamentaux de la liberté individuelle ». Ce faisant, il reconnaissait l’absence d’incidence quant à la situation de séjour, mais surtout reconnaissait à ces zones leur appartenance au territoire national. Le ministère public interjeta appel de ce jugement devant la cour d’appel de Paris ; toutefois, le 23 septembre 1992, l’affaire fut radiée du rôle faute pour l’appelant d’avoir conclu dans les délais. Ce jugement du TGI de Paris fût évoqué par la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt « Amuur c/ France » [15] rendu le 25 juin 1996, laquelle ne contesta pas l’appréciation formulée par ce tribunal quant à la situation des zones internationales.

3. Le séjour en France.

De fait, les arguments invoqués par le Conseil d’Etat semblent eux-mêmes contradictoires : le seul fait d’autoriser le prononcé d’une mesure de garde-à-vue démontre à lui-seul que l’intéressé se situait effectivement « en France », conformément à ce que prévoit le Code pénal, qui impute l’applicabilité de la loi pénale française aux « infractions commises sur le territoire de la République » [16].

Par ailleurs, la notion d’entrée sur le territoire fait l’objet d’une réglementation conventionnelle, issue de textes internationaux : de son côté, la convention relative à l’aviation civile internationale prévoit que « chaque Etat a la souveraineté complète et exclusive sur l’espace aérien au-dessus de son territoire ».

La convention de Tokyo du 14 décembre 1963 [17] étant venue préciser que la souveraineté des Etats s’applique également à bord des aéronefs soit en vol, soit à la surface de la haute mer ou d’une région ne faisant partie du territoire d’aucun Etat.

En ce qui concerne l’espace maritime, c’est la convention de Montego Bay qui prévoit que « La souveraineté de l’Etat côtier s’étend, au-delà de son territoire et de ses eaux intérieures et, dans le cas d’un Etat archipel, de ses eaux archipélagiques, à une zone de mer adjacente désignée sous le nom de mer territoriale ». « Cette souveraineté s’étend à l’espace aérien au-dessus de la mer territoriale, ainsi qu’au fond de cette mer et à son sous-sol ».

Or, les personnes à bord d’un navire ancré dans les eaux territoriales ne sont pas en situation de séjour. Mais le droit national s’applique pleinement (notamment les dispositions fiscales ou pénales, ainsi que celles relatives aux obligations environnementales issues du Code des transports,…) à l’inverse de celles relatives au séjour : nul besoin d’un visa pour séjourner dans les eaux territoriales ou pénétrer dans l’espace aérien d’un autre Etat.

La thèse de l’extra-territorialité des zones de transit ou des zones d’attente, pourtant soutenue par le Conseil d’Etat, ne saurait ainsi prospérer [18].

Aussi, il paraît plus juste de parler de « séjour en France », plutôt que d’« entrée en France ». Car il est tout à fait possible d’entrer en France, sans pour autant bénéficier d’une autorisation d’y séjourner. Ce que l’actualité nous prouve tous les jours.

A l’inverse, le séjour, pour ne pas être irrégulier, supposera d’être muni d’une autorisation. Pour les ressortissants étrangers, cette autorisation de séjour se manifeste par l’apposition - obligatoire - d’un cachet sur le document de voyage présenté [19]. L’absence d’un tel compostage faisant naître, à l’encontre du ressortissant de pays tiers, une présomption d’irrégularité du séjour [20]. Ce compostage est apposé à l’issue des opérations du contrôle transfrontalier, ou en conséquence d’une décision de fin de maintien en zone d’attente prise par un JLD [21].

De même, l’accès à la zone de transit international nécessite une autorisation expresse ou tacite : certains voyageurs vont être soumis à l’obtention préalable d’un « visa de transit aéroportuaire » (dit VTA, pour visa de type ‘A’). Pour ceux qui sont dispensés de cette obligation, ils devront néanmoins être en mesure de présenter un document de voyage reconnu par l’Etat dans lequel se situe ladite zone, et permettant, le cas échéant, l’entrée ou le transit.

Car seul un document valide et reconnu est de nature à autoriser tant l’entrée que le transit via la zone internationale des aéroports situés sur un territoire donné, la présentation d’un document de voyage périmé ne permettant pas, à coup sûr, de déterminer la nationalité du voyageur, qui pourrait être dans l’obligation de détenir un VTA.

Camille Dire, Avocat Barreau de Nice DIRE-Avocat-NICE Droit européen - Droit international Circulation transfrontalière - Schengen Droit administratif - Fonction publique

[1rfi.fr

[2Articles L213-2 et R 213-3 du CESEDA.

[3CE, 2ème - 7ème chambres réunies, avis du 28 juin 2019 N°426666.

[4Articles 6 et 14 du règlement (UE) 2016/399 du parlement européen et du conseil du 9 mars 2016 concernant un Code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (Code frontières Schengen) (texte codifié) (JO L 077 du 23.3.2016, p. 1).

[5Articles L213-2 à L224-1 du CESEDA.

[6Articles L 511-1 et L 511-2 du CESEDA.

[7Article L224-1 du CESEDA.

[8Article L221-2 du CESEDA.

[9C. Cass Crim 28 octobre 1987, N° de pourvoi 84-93665.

[10CE, 27 janvier 1984, Eksir, Recueil, 1984, p. 30 ; R.D.P., 1984, p. 801, note Robert.

[11Danièle Lochak. Commentaire de la décision du Conseil constitutionnel du 25 février 1992 (Entrée et séjour des étrangers). Journal du droit international (Clunet), LexisNexis, 1992. hal-01713893.

[12Jurisprudence française relative au droit international (année 1984), Jean-François Lachaume, année 1985, Vol. 31, p. 933, point 34.

[13Journal officiel, 19 décembre 1991, p. 8256.

[14Tribunal de Grande Instance de Paris, 25 mars 1992, 59429, Jean-Baptiste Duverne.

[15Requête n° 19776/92.

[16Article 113-2.

[17Convention relative aux infractions et à certains autres actes survenant à bord des aéronefs signée à Tokyo le 14 septembre 1963.

[18Voir en ce sens : ElliMacErid « l’espace Schengen, histoire et fonctionnement », 2017 ou Danièle Lochak. op. Cit., p.6.

[19Bientôt remplacé par un compostage électronique, suite à l’entrée en vigueur du système « entrée-sortie ».

[20Règlement (UE) 2016/399 du parlement européen et du conseil du 9 mars 2016 concernant un Code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (Code frontières Schengen) (texte codifié) (JO L 077 du 23.3.2016, p. 1) : article 11 (compostage) et 12 (défaut de compostage).

[21Cf. supra, la sortie de zone d’attente décidée par le JLD.