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La preuve en matière de harcèlement moral : Principes et bonnes pratiques. Par Myriam Adjerad et Clara Galdeano, Avocats.
Parution : mercredi 28 avril 2021
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Position prise par la Cour de cassation dans un arrêt du 17 mars 2021, le salarié mis en cause par une dénonciation de faits de harcèlement, n’a pas nécessairement à être averti ni entendu, si une enquête est diligentée par l’employeur.
La Cour de cassation assouplit les règles d’administration de la preuve pour l’employeur en matière de licenciement.
Cass. soc, 17 mars 2021, n° 18-25.597.

I - L’administration de la preuve à la suite d’une dénonciation de faits de harcèlement moral.

En matière de harcèlement, moral ou sexuel, la charge de la preuve incombe aux deux parties (le salarié victime et l’employeur). Aucun texte spécial ne s’applique au salarié mis en cause : s’il est licencié pour faute grave, il appartient au seul employeur d’apporter la preuve des faits reprochés au salarié [1].

Rapporter la preuve certes, mais selon quels principes ? D’aucuns savent que le principe de loyauté dans l’administration de la preuve n’est pas des plus souples pour l’employeur.

D’ordinaire, « aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance » [2]. A défaut, les preuves recueillies à l’encontre du salarié ne peuvent être utilisées par l’employeur ni même justifier une sanction [3].

Sont notamment concernés les dispositifs de géolocalisation, vidéosurveillance, contrôle des horaires de travail et accès aux locaux de l’entreprise, permettant, tous, de surveiller, directement ou indirectement le salarié.

Dans un arrêt du 17 mars 2021, la Cour de cassation ouvre la possibilité pour l’employeur de licencier un salarié pour faute grave à la suite d’une dénonciation de faits de harcèlement, sur la base d’une enquête menée par un organisme tiers à l’entreprise, même si ledit salarié n’a pas été informé de la mise en œuvre de cette enquête ni entendu dans ce cadre.

En l’espèce, le salarié avait été licencié pour avoir proféré des insultes le plus souvent à caractère racial et discriminatoire, et gravement perturbé l’organisation et l’efficacité collective en instaurant la terreur auprès d’autres collaborateurs.

Pour justifier le licenciement, l’employeur s’est fondé sur un rapport d’enquête, confiée en accord avec les représentants du personnel à une entreprise extérieure : plusieurs collaborateurs ont été interrogés, à l’exception du salarié mis en cause, qui n’a pas non plus été informé de l’ouverture d’une enquête.

La Cour de cassation considère que l’enquête diligentée à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral n’est pas soumise au principe d’information préalable du salarié relative aux dispositifs de contrôle.

Mais selon quel argumentaire ?

Pour statuer sur la recevabilité de la preuve, les juges semblent devoir étudier l’objet du dispositif utilisé par l’employeur :
- Si l’objet est de contrôler l’activité du salarié (ses horaires, la qualité de son travail, etc.) : il doit être informé au préalable, à défaut de quoi la preuve est irrecevable. Il en va ainsi d’un audit social et financier, pour lequel le salarié doit, à défaut d’être informé, a minima être associé à l’enquête dont il fait l’objet [4].
- A contrario, si le dispositif ne permet pas de surveiller le salarié (enquête harcèlement), il peut rester secret et permettre à l’employeur de justifier une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement.

L’enquête consécutive à une dénonciation de faits de harcèlement, qui, a priori a pour seul but de protéger la santé-sécurité des salariés, n’est ainsi pas soumise au principe du contradictoire.

La Cour de cassation considère, dans ces conditions, qu’il ne s’agit pas d’un mode de preuve déloyal, ni d’un dispositif de contrôle et de surveillance clandestin de l’activité du salarié.

II Les mesures à mettre en œuvre à la suite d’une dénonciation de faits de harcèlement moral.

Quels enseignements tirer de cet arrêt de la Cour de cassation ?

Les mesures préventives de l’employeur peuvent s’avérer insuffisantes : intégration du risque dans le DUERP, outils de communication et de formation (managers, représentants du personnel), charte, etc.

Ainsi, dans le cadre de son obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels, l’employeur doit impérativement et rapidement diligenter une enquête suite à la dénonciation de faits de harcèlement par un salarié [5]. Une commission d’enquête peut être créée, dont la composition peut évoluer d’une enquête à l’autre.

L’enquête permet à l’employeur de consigner les faits avec un récit aussi précis et détaillé que possible et de rassembler des preuves.

Faut-il être partisan d’une entière transparence ou conserver une stricte confidentialité de l’enquête ? Faut-il interroger le salarié mis en cause dans le cadre de l’enquête ou bien s’abstenir de l’informer et de l’entendre ?

Si la discrétion est indispensable à la protection de la dignité et la vie privée de toutes les personnes impliquées, chaque situation d’espèce est différente. Il nous semble opportun de statuer au cas par cas sur l’opportunité d’entendre le salarié mis en cause. Sans doute, selon le degré de certitude de la véracité des faits : si un doute subsiste, le salarié mis en cause doit être entendu, afin d’apporter sa propre version des faits.

Faut-il associer le Comité Social et Economique à l’enquête ? Toujours, au titre de ses attributions relatives à la protection de la santé-sécurité des salariés et afin de garantir le respect des principes d’exhaustivité et d’impartialité. D’autres interlocuteurs tels que les services de santé au travail et un médiateur peuvent être saisis.

A l’issue de l’enquête, les mesures et sanctions adéquates doivent être prises par l’employeur avec deux mots d’ordre : réactivité et confidentialité, en gardant à l’esprit les délais applicables en matière disciplinaire.

Pour mémoire, à l’égard des victimes, aucune sanction, licenciement, mesure discriminatoire, directe ou indirecte ne peut être prise. Au contraire, il est impératif de leur apporter un soutien et une aide à leur maintien dans l’emploi.

Parmi les mesures efficaces pour faire cesser la situation de harcèlement, on pense notamment à la mise en place d’une cellule d’écoute, au prononcé d’une sanction disciplinaire à l’égard de l’auteur des faits selon les règles prévues dans le règlement intérieur, à la mobilisation des représentants du personnel afin d’éviter la reproduction des faits.

En synthèse, qu’elle soit contradictoire ou non, une enquête doit impérativement être diligentée à la suite d’une dénonciation de faits de harcèlement. Il revient à l’employeur, de déterminer selon l’objet de l’enquête et les circonstances de fait, si la personne mise en cause doit être informée et entendue.

Myriam ADJERAD Clara GALDEANO ADJERAD AVOCATS, Avocats au Barreau de Lyon [->contact@adjeradavocats.fr] https://www.linkedin.com/company/adjerad-avocats/

[1Cass. soc., 8 janv. 1998, n° 95-41.462.

[2Art. L. 1222-4 c. trav.

[3Cass. soc., 20 sept. 2018, n° 16-26.482.

[4Cass. soc., 28 fév. 2018, n° 16-19.934.

[5Art. L4121-1 s. c. trav. et Cass. soc., 27 nov. 2019, n° 18-10.551.