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Les forfaits-jours du secteur du bricolage épinglés. Par Aude Lhomme-Guinard, Avocat.
Parution : vendredi 30 avril 2021
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La création du forfait-jours par la loi du 19 janvier 2000 dite Aubry II a révolutionné le décompte du temps de travail en dérogeant au décompte horaire au profit d’un décompte en jours sur l’année, et incidemment en s’affranchissant des durées maximales journalières et quotidiennes de travail ainsi que du paiement des heures supplémentaires majorées (article L3121-62).

Depuis, les nombreuses contestations ayant suivi l’application de ce nouveau mécanisme ont permis à la jurisprudence sociale d’élaborer puis de construire un système de protections quant à une répartition équilibrée entre vie professionnelle et vie personnelle.

Le développement de la construction jurisprudentielle a amené le législateur à intervenir pour davantage encadrer le recours au forfait-jours et assurer des protections aux salariés.

1. La conclusion d’une convention de forfait-jours.

Les articles L3121-58 et suivants du code du travail sont venus régir la conclusion d’une convention de forfait-jours [1].

Une telle convention peut être mise en place avec des salariés disposant d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps, cadres ou non [2].

L’article L3121-63 exige au préalable que la possibilité de recourir au forfait soit prévue par accord collectif d’entreprise ou d’établissement, et à défaut par accord de branche.

Une convention individuelle peut alors être conclue entre l’employeur et le salarié ayant donné son accord [3].

2. Les garanties nécessaires au forfait-jours.

La loi attache certaines garanties à l’instauration d’une convention de forfait-jours puisque l’employeur doit notamment s’assurer régulièrement que la charge de travail pour le salarié reste raisonnable et permette une bonne répartition dans le temps de son travail [4].

La nécessité d’un accord collectif, d’entreprise ou de branche, permet d’aménager certaines garanties telles que :
- Le nombre limite de jours compris dans le forfait ;
- Les modalités d’évaluation et de suivi régulier de la charge de travail du salarié (entretien) ;
- Les modalités de communication sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre la vie personnelle et l’activité professionnelle, la rémunération et l’organisation du travail dans l’entreprise ;
- Les modalités du droit à la déconnexion.

La jurisprudence sociale a eu l’occasion à de multiples reprises d’encadrer plus strictement l’application de telles conventions de forfait-jours au regard des dispositions constitutionnelles, européennes et légales.

Ainsi, à défaut pour l’employeur d’organiser le contrôle des jours de travail et de mettre en place un entretien individuel annuel, la convention se voit privée d’effet [5].

En effet, la Cour de cassation avait pu affirmer que le forfait-jours devait garantir le respect des durées maximales quotidienne et hebdomadaire de travail [6].

La convention de forfait-jours privée d’effet entraîne l’application des règles classiques du code du travail notamment en termes de durée légale avec pour conséquence, l’application du régime des heures supplémentaires pour toute heure accomplie au-delà de 35 heures.

3. Analyse de l’arrêt.

La Cour de cassation poursuit à l’occasion de son arrêt du 24 mars 2021 (n°19-12.208) l’encadrement de la conclusion des conventions de forfait-jours, concernant l’accord du 23 juin 2000 applicable au secteur du bricolage.

En l’espèce, la plus haute juridiction judiciaire relève que la convention collective du bricolage se bornait à prévoit « que le chef d’établissement veille à ce que la charge de travail des cadres concernés par la réduction du temps de travail soit compatible avec celle-ci ».

Encore, la Cour relève qu’il était seulement stipulé que « les cadres bénéficient d’un repos quotidien d’une durée minimale de 11 heures consécutives et ne peuvent être occupés plus de six jours par semaine et qu’ils bénéficient d’un repos hebdomadaire d’une durée de 35 heures consécutives ».

Aussi, la Cour en déduit que de telles stipulations n’instituent aucun « suivi effectif et régulier » permettant à l’employeur de contrôler l’amplitude de travail des salariés et le cas échéant « de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable ».

Dès lors, à défaut de pouvoir prémunir le salarié d’une amplitude et d’une charge de travail déraisonnables ainsi qu’une bonne répartition dans le temps de son travail, la convention du secteur du bricolage est incompatible avec le droit à la santé et au repos.

La Cour de cassation en tire la conséquence que la convention de forfait en jours en application de ces stipulations était nulle.

Elle infirme donc la solution des juges d’appel qui avaient débouté la salariée de sa demande en rappel d’heures supplémentaires et congés payés afférents, d’indemnité pour repos compensateur et d’indemnité pour travail dissimulé en ce qu’ils avaient jugé que les dispositions conventionnelles étaient de nature à garantir une amplitude et charge de travail raisonnables.

A l’aune de cet arrêt, il ressort que les accords collectifs, qu’ils soient de branche ou d’entreprise, doivent préciser les modalités permettant d’assurer un contrôle du temps de travail, une bonne répartition dans le temps de ce travail ainsi qu’une articulation entre la vie personnelle et l’activité professionnelle.

Pour ce faire, l’employeur devra attacher une grande importance à la rédaction des forfaits-jours par application des accords conclus au niveau de l’entreprise, en veillant aux modalités qui permettent d’assurer un équilibre de travail pour le salarié et les moyens de contrôle et de mesure, notamment au regard de l’obligation de tenue d’un entretien individuel annuel.

A défaut de telles stipulations par les conventions de forfait-jours, le recours à ce mécanisme n’est pas permis et dans le cadre d’un contentieux, la nullité ou la privation d’effet entraînent de lourdes conséquences indemnitaires pour l’entreprise, à l’instar de certaines décisions - Voir l’article ci-après : Condamnation de plus de 1,2 Million d’euros pour un forfait-jours imparfait. Par Aude Lhomme-Guinard, Avocat.

Avocat au Barreau de Paris

[1Loi n°2016-1088 du 8 août 2016.

[2Article L3121-58 CT.

[3Article L3121-65.

[4L3121-60.

[5Cass. Soc., 31 janvier 2012, n°10-19.807.

[6Cass. Soc., 29 juin 2011, n°09-71.107.