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L’article 16 de la DDHC à l’épreuve de la réforme judiciaire. Par Rémi Bertrand, Avocat.
Parution : lundi 3 mai 2021
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Le second volet de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice affaiblit l’indice de confiance accordé à l’institution judiciaire. L’exécutif remet en cause la partialité de la justice pour affaiblir le pouvoir judiciaire et contourner ainsi le principe de la séparation des pouvoirs.

Les coûts croissants de l’aide juridictionnelle seront également limités par la dernière réforme, limitant l’accès à la justice et donc la garantie des droits. Ainsi, l’exécutif discrédite l’institution judiciaire pour détourner l’attention d’une politique d’inertie des dépenses qui bouscule l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

A travers le principe de la séparation des pouvoirs, Montesquieu assurait l’équilibre des pouvoirs tout en garantissant la liberté des citoyens. La séparation des pouvoirs vient contrôler la puissance de l’Etat en confiant le législatif et le judiciaire à des institutions indépendantes du chef de l’Etat. Ainsi, ce principe s’est doté d’une valeur constitutionnelle en s’inscrivant à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, aux termes duquel : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».

Cet article définit également le constitutionnalisme classique qui conçoit la Constitution comme un texte écrit, établissant une séparation des pouvoirs et garantissant des droits. La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prise dans son second volet « Pour la confiance en l’institution judiciaire » ne fragiliserait-elle pas cette notion de constitutionnalisme en France ?

Le Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) a publié au mois de février 2021 son douzième baromètre de la confiance politique avec la même problématique annuelle « En quoi les Français ont-ils confiance aujourd’hui ? » [1]. L’enquête d’Opinionway menée auprès de 2 105 Français a démontré que 48% avait confiance en la justice. Ce sondage a révélé une perte de confiance dans l’institution judiciaire par 17% du panel.

Pourtant, le 14 avril 2021, le Garde des Sceaux présentait le second volet de la loi de programmation 2018-2022 « Pour la confiance en l’institution judiciaire », laissant ainsi supposer que la justice avait perdu majoritairement la confiance des citoyens.

En partant d’un postulat erroné, ce projet de réforme défie l’autorité judiciaire pour en discréditer l’ouvrage et ses acteurs, aussi bien magistrats qu’avocats. Le projet de M. Dupond-Moretti présente plusieurs dispositions comme l’encadrement des enquêtes préliminaires, l’autorisation de filmer les audiences et la généralisation des cours criminelles.

Ce projet tend également vers le populisme en modifiant le régime des réductions de peine pour donner corps aux critiques populaires qui martèlent l’ineffectivité des peines d’emprisonnement. L’opinion publique est alors maintenue dans l’ignorance de l’exécution des peines au risque d’allonger les courtes peines et de compliquer la réinsertion des détenus.

Actuellement, cette manœuvre politique sème le doute dans l’opinion publique et lui insuffle l’idée qu’elle ne peut croire en l’œuvre de justice. La voix de la presse se fait l’écho de cette diatribe en mettant à la une, l’affaire de Sarah Halimi et les acquittements prononcés par la Cour d’assises des mineurs de Paris, dans le dossier des policiers brûlés à Viry-Châtillon.

Cette réforme pour restaurer la confiance dans la justice écorne l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en contournant, dans un premier temps, le principe de la séparation des pouvoirs.

L’arrêt du 14 avril 2021 rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation a déclenché une violente polémique autour de l’affaire Sarah Halimi [2].

Dans le cadre de cette information judiciaire, la justice a commis plusieurs juges d’instruction et - par une scrupuleuse application du premier alinéa de l’article 122-1 du Code pénal - le mis en examen a fait l’objet, successivement, d’une expertise psychiatrique et d’une expertise psychiatrique complémentaire, d’une expertise psychiatrique réalisée par un premier collège d’experts, puis d’une expertise psychiatrique réalisée par un second collège d’experts. Cette succession d’experts en collégialité est exceptionnelle tout comme la commission de plusieurs juges d’instruction sur un même dossier.

L’ensemble des expertises pratiquées a indiqué que l’auteur était, au moment des faits, sous l’emprise d’une bouffée délirante. Le deuxième collège d’experts a notamment estimé que la bouffée délirante s’est avérée inaugurale d’une psychose chronique, probablement schizophrénique et que ce trouble psychotique bref a aboli son discernement.

Il existait donc, compte tenu de l’unanimité des experts sur l’existence d’une bouffée délirante, des raisons plausibles d’appliquer le premier alinéa de l’article 122-1 du Code pénal.

Cependant, la Cour de cassation a confirmé que les dispositions de l’article 122-1 du Code pénal ne permettait pas de distinguer l’origine du trouble psychique de la cause, soit l’abolition du discernement qui conduit à considérer quelqu’un comme pénalement irresponsable, car il appartient au législateur de poser un principe d’exclusion systématique de l’irresponsabilité pénale lorsque l’abolition du discernement a pour cause une consommation volontaire de toxiques.

La Cour de cassation a donc respecté une séparation stricte des pouvoirs, en ne se substituant pas au législateur, sans présager que cette décision affaiblirait son office. La confiance dans l’institution judiciaire est alors ébranlée et le pouvoir exécutif soupçonne désormais l’efficacité de la haute Cour de justice. Les soupçons de l’exécutif qui pèsent sur la justice affaiblissent le pouvoir judiciaire.

Le 17 avril 2021, après six longues semaines d’audience à huis clos, la cour d’assises des mineurs de Paris a condamné, en appel, cinq des treize accusés à des peines allant de six à dix-huit ans de réclusion criminelle pour leur rôle dans l’attaque de policiers brûlés au cocktail Molotov à Viry-Châtillon (Essonne) en 2016. Par ailleurs, la Cour d’assises a prononcé huit acquittements.

Cette décision de justice a révolté les syndicats de police qui auraient souhaité une condamnation plus sévère. Alliance police a déclaré dans un communiqué : « La clémence, le laxisme ça suffit ! ». Est-ce bien le rôle des garants du respect des lois que de s’insurger ainsi contre une décision de justice ?

Le huis clos imposé par l’article 14 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante a certainement contribué à suspecter la partialité de la justice.

Toutefois, les intérêts des mineurs ; la protection de la vie privée des parties, ou lorsque la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, doivent maintenir les débats à huis clos.

Dans leur traité de procédure pénale, les professeurs Laurence Lazerges-Cousquer et Frédéric Desportes ont averti « qu’il ne fallait pas confondre procès public et procès populaire. Donner un droit de regard au public ce n’est pas lui donner le droit de juger » [3].

Le nouveau projet de loi propose de filmer les audiences pour réinstaurer la confiance du citoyen en l’institution judiciaire. Cette proposition ne doit pas ouvrir la porte aux procès populaires qui, ces derniers jours, se tiennent dans la rue et les colonnes de la presse.

Dans un deuxième temps, ce nouveau projet de loi « pour la confiance en l’institution judiciaire » fragilise également les acteurs de la justice puisque l’un des objectifs du législateur est également d’harmoniser le régime juridique disciplinaire de ces professions réglementées. Le non-respect, même se rapportant à des faits non professionnels, serait désormais susceptible de constituer un manquement disciplinaire.

Dans une lettre du 17 février 2021 adressée à Madame Chantal Arens, première Présidente de la Cour de cassation, le Président de la République posait la question « fondamentale » de la responsabilité des magistrats de l’ordre judiciaire. Le président Macron estimait alors qu’il s’agissait d’une question de confiance et de légitimité dans la justice. Il pointait ainsi la faible activité disciplinaire du Conseil Supérieur de la Magistrature. Selon les termes de l’article 65 de la Constitution [4], le Président de la République saisissait le Conseil Supérieur de la Magistrature d’une demande d’avis portant sur les conditions de mise en œuvre de la responsabilité des magistrats, en soulignant l’importance accordée à la saisine de cet organe disciplinaire par le justiciable lui-même.

Pour initier le second volet de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice consistant à réinstaurer la confiance dans l’institution judiciaire, il fallait sous-entendre que l’entre-soi et l’esprit de corps ornaient l’impunité des acteurs de justice comme l’hermine ourle les robes noires dorénavant suspectées de partialité. Pour se laver de cet opprobre, les acteurs de justice doivent s’unir pour dénoncer une tentative de déstabilisation du pouvoir judiciaire dans son ensemble.

Cette loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice laisse également présumer de l’impunité des avocats. Il est proposé qu’en l’absence de conciliation ou de poursuite disciplinaire, l’auteur de la réclamation sera avisé sans délai de son droit de saisir le parquet général ou, ce qui constitue une saisine directe, la juridiction disciplinaire. Le filtre du Bâtonnier dans une procédure disciplinaire est donc sujet à caution, puisqu’il ne sera plus nécessaire qu’il se prononce sur un manquement aux devoirs de l’avocat.

Désormais, le conseil de discipline serait présidé par un magistrat du siège de la Cour d’appel lorsque la poursuite disciplinaire est faite à la suite d’une réclamation par un tiers (non-avocat) ou que l’avocat mis en cause en fait la demande. En appel, la formation de jugement est composée de trois magistrats de la cour, dont un président, et d’un échevinage de deux membres du conseil de l’ordre du ressort. Il reviendra donc au juge d’accomplir une nouvelle mission, celle de trancher le contentieux disciplinaire des avocats.

Il apparaît alors que ce grand projet de restauration de la confiance dans l’institution passe par la judiciarisation des rapports entre le justiciable et les acteurs de la justice, magistrats et avocats. Pour ce faire, il est d’ailleurs prévu de rédiger pour chaque profession un code de déontologie. L’exécutif fait du justiciable un pion fragile sur l’échiquier de la réforme judiciaire pour attaquer la réputation de cette institution. Or, dans cette partie d’échecs « La prise en passant », qui est certainement la règle la plus étrange du jeu d’échecs, capturera ce pion à la volée, surprenant ainsi les justiciables peu expérimentés.

D’autre part, si le citoyen a perdu sa confiance en la justice il ne la regagnera pas dans une salle d’audience. En effet, l’accès au droit se trouve aussi remis en question par la récente réforme de l’aide juridictionnelle. La garantie des droits prévue à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est à son tour fragilisée par cette loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

En effet, le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et relatif à l’aide juridictionnelle et à l’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles et la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 [5] ont entrepris de réformer l’aide juridictionnelle.

Désormais, l’examen des demandes d’aide juridictionnelle se fait sur la base d’un critère nouveau : le revenu fiscal de référence (RFR). A défaut de revenu fiscal de référence, l’éligibilité à l’aide juridictionnelle s’apprécie au regard des ressources imposables sur une durée de prise en compte fixée à six mois, augmentant ainsi le nombre de pièces requises.

Par ailleurs, « la prise en compte du patrimoine est une innovation majeure de cette réforme puisque devient inéligible à l’aide juridictionnelle et à l’aide à l’intervention de l’avocat lorsque le demandeur dispose, au jour de la demande, d’un patrimoine immobilier, mobilier ou financier dont la valeur est supérieure au plafond d’admission à l’aide juridictionnelle totale » [6]. Ainsi, les propriétaires fonciers aux faibles revenus ne pourront plus bénéficier de cette aide juridictionnelle, tout comme les personnes détenues qui ne pourront fournir leur revenu fiscal de référence et encore moins leurs 6 derniers bulletins de salaire. Ce durcissement des conditions d’octroi de l’aide juridictionnelle réduit considérablement l’accès au droit en impactant le droit au recours qui découle de l’article 16.

Le second volet de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice semble porter peu de foi à l’institution judiciaire, mais cette tentative de déstabilisation du pouvoir judiciaire ne trouverait-elle pas une réponse dans le prologue de ce projet législatif. Le 6 mars 2018, le Président Macron mentionnait que la gratuité n’était qu’un principe législatif et non constitutionnel ou conventionnel. L’argent resterait donc le nerf de la guerre et il serait question de revoir le principe de gratuité de la justice.

La France compte, par habitant, deux fois moins de juges professionnels et quatre fois moins de procureurs que l’Allemagne, qui est dans la moyenne européenne. Cette situation de fait est certainement due aux difficultés financières qui affaiblissent notre système judiciaire. Par ailleurs, cette situation a été durement impactée par la crise sanitaire qui, au-delà des conséquences économiques, a également engendré une crise démocratique. Les services de santé tout comme ceux de la justice sont asphyxiés par le manque de moyens et perdent, à leur tour, confiance en l’Etat qui fuit les difficultés financières de ses services publics.

En définitive, pour ne pas financer la réforme d’une justice accessible et de qualité, ce nouveau projet de loi défait les lettres de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui est au fondement même de notre démocratie.

Rémi BERTRAND Avocat au barreau de MONTPELLIER [->bp.avocats@outlook.fr]

[1SciencesPo Cevipof vague 12, fév. 2021, éd. Esomar Member.

[2Arrêt n°404 du 14 avril 2021 (20-80.135)- Cour de cassation- Chambre criminelle.

[3Laurence Lazerges-Cousquer, Frédéric Desportes, "Traité de procédure pénale", 2d. Economica, 2015, p.303.

[4Art. 65 Constitution de 1958 : "Le Conseil supérieur de la magistrature se réunit en formation plénière pour répondre aux demandes d’avis formulées par le Président de la République au titre de l’article 64".

[5Publiés au Journal officiel des 29 et 30 décembre 2020.

[6Patrick Lingibé : Le nouveau dispositif d’aide juridictionnelle cuvée 2021 : avancée réelle ou réforme en trompe-l’œil ? Dalloz actualité, édition du 26 avril 2021.

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