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Défendre une victime en procès d’assises. Par Marie Denimal, Avocat.
Parution : mardi 4 mai 2021
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Les victimes directes [1] et indirectes [2] d’actes criminels, ont leur place dans le procès d’assises.
Comment efficacement les aider et les représenter lors de cette procédure particulière ?

L’article 85 du Code de procédure pénale permet à toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit de se constituer partie civile devant le juge d’instruction compétent.

Sera considéré comme crime ou délit notamment, agressions physiques, viols, agressions sexuelles, homicide volontaire ou involontaire.

Dès lors que l’instruction est arrivée à son terme, une ordonnance de Mise en Accusation (OMA) est délivrée à l’ensemble des parties.

S’en suivra une date d’audience qui se déroulera sous plusieurs jours.

Le procès d’assises se découpe en deux parties.

- L’audience pénale constituée d’un collège de magistrats, d’un jury populaire, de l’avocat général, d’un greffier, d’un huissier, les conseils de l’accusé et ceux des parties civiles ; au cours de laquelle sera discuté, au travers des débats, de la culpabilité ou non de l’accusé pour les faits qui lui sont reprochés, voir de la requalification de ceux-ci et de la sanction y afférente ;

- L’audience civile qui débute dès lors que le délibéré de l’audience pénale est prononcé. Elle se déroule sans jury populaire. Il s’agira, au cours de cette audience, de faire parvenir les demandes d’indemnisation des victimes des infractions commises et condamnées.

Le rôle de l’avocat de partie civile/victime évolue en fonction de l’audience à laquelle il assiste la partie civile.

1. Le rôle de l’avocat de parties civiles lors de l’audience pénale.

La première journée est d’une grande importance pour les victimes reprochant les faits poursuivis contre l’accusé.

C’est lors de cette première journée, avant l’ouverture de l’audience pénale que la victime pourra renouveler son souhait de se constituer, par le biais de son conseil, partie civile. Elle permet également à des victimes ayant déposé plainte et n’ayant pas souhaité se constituer partie civile lors de l’instruction de décider de rejoindre la procédure, non plus en qualité de témoin mais qualité de partie civile.

La qualité de partie civile permet à celle-ci d’obtenir réparation de son préjudice moral, la qualité de témoin ne le permet pas.

Cette première journée est aussi la journée pendant laquelle le jury est constitué.

Le procès d’assises est une épreuve difficile tant pour l’accusé que pour les parties civiles et leurs conseils. C’est une procédure particulière qui est peu usitée dans l’expérience d’un avocat non pénaliste.

La gravité des faits reprochés, pour être punissables de 10 ans d’emprisonnement et qualifiable de crime, fait du procès d’assises une épreuve douloureuse à l’allure de chemin de croix.

Il s’agit d’une épreuve d’endurance pendant laquelle accusés et victimes devront affronter les affres de la distorsion mnémique des souvenirs érodés par le sable du passé.

Il s’agira, tant pour l’accusé que la partie civile, de revivre l’enfer du moment de l’infraction et le décrire avec précision sous les regards aiguisés des conseils de chaque partie à l’affût de contradictions. C’est à celui qui en relèvera le plus que le doute apparaîtra le plus nettement nonobstant la reine maxime qui dicte la règle du procès d’assises « le doute profite à l’accusé ».

Le rôle de l’avocat de partie civile est alors de préparer son client aux débats, lesquels s’effectueront notamment autour de sa déposition aux allures d’interrogatoire et que le jargon coutumier affublera d’un sobriquet charmant « le grill ».

Il faut y voir un clin d’œil à l’exigence et à la violence potentielle des débats lors de cet exercice de force et d’endurance à laquelle doivent se soumettre chacune des parties qui devront s’expliquer sans « se griller » dans leurs contradictions et ce, dans l’ignorance de la sauce à laquelle elles seront mangées. Si cet exercice n’ayant de culinaire que l’humour, il n’en demeure pas moins éprouvant pour chacun, dont, notamment, les jurés lesquels doivent assister, impassibles, à l’entièreté des débats qui peuvent durer des heures jusque tard la nuit.

L’avocat de partie civile intervient au cours de l’interrogatoire de son client afin de mettre en valeur des éléments, notamment, sur son évolution personnelle, professionnelle et familiale, le cas échéant. Il peut également poser des questions afin de permettre à la victime de préciser sa déposition. Il peut également poser des questions à l’accusé tant sur sa personnalité que sur l’établissement des faits en vue d’appuyer la caractérisation des faits. Il pourra également en poser aux experts psychologues et psychiatres le cas échéants tant au sujet de son client que de l’accusé.

Enfin, après avoir accompagné son client lors de son « passage sur le grill », l’avocat plaidera au soutien des intérêts de son client. Viendra ensuite le tour des réquisitions de l’avocat général puis de la plaidoirie du conseil de l’accusé.

Enfin, les jeux étant faits, viendra la dernière étape, l’étape du retrait en délibération du jury afin de statuer sur l’issue du procès. Le délibéré sur l’audience pénale sera alors prononcé par le président de l’audience, clôturant ainsi cette première étape, l’audience pénale.

2. Le rôle de l’avocat de partie civile lors de l’audience civile.

L’audience civile intervient dès la clôture de l’audience pénale. Elle suppose une condamnation préalable de l’accusé.

Il appartiendra alors à l’avocat de la partie civile d’énoncer les demandes de réparation de son client.

Ces demandes ne peuvent être déposées qu’au moment de l’audience civile.

Toute demande déposée en amont du délibéré sera frappée d’irrecevabilité, ce qui semble logique puisque l’indemnisation des parties civiles est conditionnée par la déclaration de culpabilité de l’accusé par la juridiction.

Déposer les demandes d’indemnisation lors de l’audience pénale ou même avant l’ouverture de l’audience pénale reviendrait à contredire le principe de présomption d’innocence.

Le procès d’assises est régi par les règles du code pénal et code de procédure pénale, les demandes des parties civiles sont orientées autour d’une somme forfaitaire au titre de leur préjudice moral.

Ces sommes sont en deçà de ce que pourrait obtenir une partie civile lors d’une audience de renvoi sur intérêts civils comme il en est le cas dans le cadre d’audiences correctionnelles. Le renvoi sur intérêts civils est généralement assorti d’une ordonnance de désignation d’un expert judiciaire.

A l’appui du rapport d’expertise judiciaire, le conseil de la victime pourra évaluer le préjudice corporel en son intégralité.

Cependant, les cours d’assises n’accordent pas systématiquement de renvoi sur intérêts civils voir y seraient réticentes. Mieux vaux alors, préparer les demandes de réparation en amont.

Il est possible de s’appuyer sur une expertise médicale et/ou psychiatrique amiable afin de fonder ses demandes en conformité avec la nomenclature Dinthilac et la jurisprudence y afférente.

A ce titre, il conviendra de fournir le rapport d’expertise lors des débats en audience pénale afin d’éviter une irrecevabilité ou inopposabilité du rapport lors de l’audience civile.

Bien que le rapport d’expertise soit reçu et sert de socle à la demande de dommages et intérêts de la partie civile, la Cour d’assises statuant sur le siège, ne prend pas le temps d’analyser pleinement les demandes et octroie une somme forfaitaire au titre de préjudice moral qui ne permet pas une réparation intégrale du préjudice de la victime.

Cet état de fait souligne une fois de plus que bien que la victime ait sa place dans le procès pénal, elle ne bénéficie pas de la considération que lui offre le procès civil en termes de réparation de son préjudice.

Cet encart au principe de réparation intégrale du préjudice corporel pourra éventuellement être pallié par la saisine de la commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI) laquelle statue en tout autonomie.

Marie DENIMAL Avocat au barreau de LILLE Docteur en droit privé SELARL25ruegounod https://25ruegounod.fr/

[1Viols, viols incestueux, viols avec actes de barbarie, agressions physiques graves, tentatives d’homicides involontaires, volontaires (assassinats).

[2Ayant droits de victimes d’homicides involontaires, volontaires (assassinats).