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La présomption de préjudice en droit public français. Par Pierre-Antoine Yao, Etudiant.
Parution : jeudi 6 mai 2021
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La responsabilité administrative a toujours constitué un enjeu majeur pour l’administré.
Classiquement caractérisée par une dualité de régime, assortie en principe de conditions rigoureuses, la responsabilité administrative tend à s’assouplir au fur et à mesure en faveur de l’administré. En effet, ces dernières décennies, sous l’influence du droit de l’Union Européenne, le juge administratif a entamé un mouvement de glissement présomptif dont la présomption de préjudice en est l’aboutissement.
Dans cet article, nous démontrons que ce glissement présomptif ne s’est pas fait sans heurts, en ce qu’il a considérablement impacté le droit classique de la responsabilité administrative, de sorte à lui donner un nouveau visage.

Depuis la célébrissime décision du Tribunal de Conflit de 1873, il est admis que la responsabilité de l’Administration a connu une évolution historique en droit français.
Passée d’une responsabilité niée à une responsabilité expressément affirmée, le recours en responsabilité extracontractuelle a permis de demander au juge administratif, d’une part de reconnaitre que l’Administration engage sa responsabilité et, d’autre part, de la condamner à payer à la victime une somme d’argent en réparation des dommages ainsi causés.
Dans ce cas, en vertu des règles actori incumbit probatio et l’interdiction de condamner l’administration à payer des sommes qu’elle ne doit pas, le recours en indemnité ne peut s’exercer sans conditions. En plus de celles liées à la recevabilité de l’action, encore faudra-t-il que le requérant parvienne à établir le bien-fondé de son action en rapportant la preuve d’un fait dommageable, un préjudice réparable et un lien causal.

Face aux difficultés des victimes à apporter les éléments de preuve, et la volonté parfois de prendre en compte les souffrances de toute nature qu’elles pourraient éprouver, est apparu progressivement dans la jurisprudence administrative un certain glissement présomptif en faveur des victimes. De la présomption de faute en passant par la présomption du lien de causalité, aujourd’hui, l’on assiste à un recours spectaculaire aux hypothèses de présomption de préjudice.
Notion technique et traditionnellement civiliste, malgré une approche enrichissante issue de travaux modernes, la présomption de préjudice reste définie à la citation classique du doyen Gérard Cornu comme « une conséquence que la loi ou le juge tire d’un fait connu à un fait inconnu dont l’existence est rendue vraisemblable par le premier, procédé technique qui entraine, pour celui qui en bénéficie, la dispense de prouver un fait connu. »
Quant au préjudice, longtemps présenté comme un synonyme du dommage, il est désormais d’usage en doctrine, en législation ou en jurisprudence, de le départager du dommage. Pour le Professeur Benoit Plexis, « le premier est de l’ordre du fait, alors que le second se situe sur le registre du droit. »

Initié par les juges communautaires et judicaires, le juge administratif a reconnu l’existence de ces hypothèses de présomptions de préjudice à partir de 2007 dans l’affaire Blin. En l’espèce le juge a considéré que « le dépassement du délai raisonnable est présumé entrainer, par lui-même, un préjudice dépassant les préoccupations habituellement causées par un procès ».

Cela dit, pour certains auteurs, l’étude des présomptions de préjudices semble être une urgence, en ce sens qu’une systématisation de ce mécanisme présomptif constituerait des dérives, potentiellement menaçant pour toute l’orthodoxie classique de la responsabilité administrative.

Mais pour d’autres, la sonnette d’alarme est tirée un peu trop tardivement, alea jacta est, puis il faut dorénavant poser le problème de façon un peu plus réaliste : Que reste-t-il véritablement du schéma classique du droit de la responsabilité administrative ? Cette tendance à un glissement présomptif n’a-t-elle pas déjà rebattu les cartes du droit de la responsabilité administrative ? Mieux, peut-on aujourd’hui nier l’existence d’un régime de la responsabilité administrative autre que ceux tirés de la distinction responsabilité pour faute et sans faute ?

L’intérêt d’une pareille étude est double. L’un théorique, et l’autre pratique. D’abord en théorie, cette étude invite à envisager autrement la typologie des régimes de responsabilité administrative en droit public français. Ensuite d’un point de vue pratique, elle met en évidence une nouvelle réalité des chances pour une victime de l’administration, d’obtenir réparation devant le juge administratif.
Quoi qu’il en soit, notre point de vue sur ces questions soulevées par la présomption de préjudice, se veut être univoque. Le mécanisme présomptif donne au droit de la responsabilité administrative, un visage nouveau. Et si nous adoptons une telle position audacieuse, c’est nul doute, non seulement en raison des effets visibles du mécanisme présomptif sur le droit de la responsabilité administrative (II), mais également, parce que la présomption de préjudice semble déjà bien systématisée (I).

I- La présomption de préjudice, une construction prétorienne suffisamment systématisée.
A. Un mécanisme probatoire au recours bien conditionné.
B. Une facilité à la victime aux champs d’application pour l’instant restreint.

II-Les potentiels effets du mécanisme présomptif sur le droit de la responsabilité administrative, un probable bouleversement.
A. Les effets liés aux caractéristiques de la présomption de préjudice.
B. Les effets sur le schéma classique du droit de la responsabilité administrative.

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Pierre-Antoine Yao, Étudiant en Master de droit public à l'Université Fédérale Toulouse Midi-Pyrénées