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[Interview] Quelle nouvelle stratégie de diffusion des arrêts pour la Cour de cassation ?
Parution : jeudi 6 mai 2021
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La Cour de cassation a récemment annoncé qu’elle allait faire évoluer le système de hiérarchisation, de classification et de diffusion de ses décisions. Le "P+B+R+I", bien connu de ceux qui travaillent beaucoup sur la jurisprudence de la Cour, va évoluer pour les arrêts prononcés à compter du 15 juin 2021. Jean-Michel Sommer, président de chambre, directeur du service de documentation, des études et du rapport de la Cour de cassation (SDER) répond aux questions de la Rédaction du Village de la Justice.

Pouvez-vous nous expliquer les modifications à venir en ce qui concerne la hiérarchisation des arrêts de la Cour de cassation ?

Jean-Michel Sommer : L’article R. 433-4 du Code de l’organisation judiciaire dispose que « le service de documentation et d’études établit deux bulletins mensuels, l’un pour les chambres civiles, l’autre pour la chambre criminelle dans lesquels sont mentionnés les décisions et avis dont la publication a été décidée par le président de la formation qui les a rendus. Le service établit des tables périodiques ».

La décision de publication d’un arrêt aux Bulletins se traduit par la mention sur la première page de l’arrêt de la lettre « P ». L’arrêt est alors publié au Bulletin civil ou criminel, avec un sommaire rédigé par un conseiller de la chambre et un titrage élaboré par le service de documentation et d’études qui permet d’insérer la décision dans la nomenclature des arrêts de la Cour. Le SDER y ajoute, s’il y a lieu, des rapprochements avec des arrêts antérieurs.

L’ancien système. - Jusqu’à présent les arrêts de la Cour de cassation étaient siglés « P.B.R.I ». Pour mémoire :

Dans le contexte de la dématérialisation en cours des Bulletins civil et criminel, qui devrait être effective cet automne et de la suppression du Bulletin d’information de la Cour de cassation (BICC), intervenue en juin dernier, la Cour a décidé de faire évoluer la classification de ses arrêts.

Le nouveau système. - Dans un double but de simplification et de clarification, les arrêts siglés le seront désormais en « B » et « R » au regard de leur portée jurisprudentielle et « L » et « C », pour préciser qu’il s’agira d’arrêts pour lesquels la Cour de cassation souhaite communiquer plus largement :

Les arrêts classés « B », outre leur diffusion au Bulletin, seront accessibles sur le site internet de la Cour de cassation, le jour même de leur mise à disposition. Ils seront disponibles en page d’accueil du site internet de la Cour dans la rubrique « Les dernières décisions ».
Les classifications « B » ou « B/R » figureront sur la minute des arrêts et seront accessibles sur le moteur de jurisprudence du site internet.
Cette nouvelle classification des arrêts entrera en vigueur pour les arrêts prononcés à compter du 15 juin 2021.

À des fins de communication, certains arrêts sont dès à présent diffusés dans les Lettres de chambre « L » et/ou font l’objet d’un communiqué de presse « C », parfois d’une notice explicative, sur le site internet de la Cour.
Les lettres de chambre sont accessibles sur le même site et ont vocation à présenter de manière concise et pédagogique une sélection d’arrêts récents de chacune des chambres de la Cour. Elles comportent les références des arrêts et résument la solution adoptée. Elles proposent un court commentaire. Un lien hypertexte permet d’accéder aux arrêts et, dans certains cas, aux documents y afférents (rapport, avis, notice explicative, sommaire).

L’intérêt de ce support de communication est de permettre aux chambres de rendre compte de l’activité récente de la Cour en présentant aussi bien des arrêts déterminants au plan du droit que des décisions de moindre portée
Les arrêts qui sont susceptibles d’avoir une grande incidence sur la vie quotidienne des citoyens, un fort impact social ou économique, ou encore, qui font écho à l’actualité ou à un sujet émergent peuvent également donner lieu à une communication immédiate sur le site internet de la Cour, à destination du grand public, en livrant de façon synthétique et accessible le sens de la décision.

C’est ainsi qu’un arrêt qui a une portée normative importante et qui est susceptible d’avoir une grande incidence sur la vie quotidienne des citoyens pourra être siglé « B » et « R », sur la minute de l’arrêt, et faire l’objet d’une communication plus large dans une lettre de chambre « L » et dans un communiqué « C ».

Pourquoi mettre en place ces changements ? S’inscrivent-ils dans une perspective d’amélioration de l’accès au droit ?

Jean-Michel Sommer : Avec la diffusion numérique des arrêts de la Cour de cassation, la gradation des arrêts en fonction de leur statut de publication a perdu de son sens. En effet, même non publiés, les arrêts sont diffusés sur le site Légifrance, huit jours après leur prononcé. La diffusion n’étant pas sélective, une hiérarchisation des arrêts apparaît d’autant plus importante, à l’heure de l’Open Data, afin que la Cour de cassation attribue à chaque arrêt l’importance qu’elle estime devoir lui donner, à l’instar de ce que font la plupart des autres Cours suprêmes étrangères.

« Avec la diffusion numérique, la gradation des arrêts en fonction de leur statut de publication a perdu de son sens. »

En effet, la diffusion de toutes les décisions sur Légifrance et, demain, sur le site de la Cour de cassation, tend à « écraser » le système antérieur de hiérarchisation. La publication doit signifier pour le lecteur que l’arrêt est signalé et que la Cour entend promouvoir sa jurisprudence.

Le libre accès à l’ensemble des décisions de la Cour rend nécessaire pour le lecteur de disposer de repères cohérents, simples et lisibles, sur l’importance et la portée effective accordée à ses décisions.

Par qui et selon quels critères la hiérarchisation des arrêts de la Cour de cassation est-elle/va-t-elle être décidée ?

Jean-Michel Sommer : Conformément à l’article R. 433-4 du Code de l’organisation judiciaire, la décision de publication d’un arrêt aux Bulletins relève du président de la formation qui a rendu l’arrêt.
De la même façon, la décision de publier un arrêt au rapport annuel est décidée par le président à l’issue du délibéré.

Il en va autrement pour les diffusions dans les lettres de chambre ou pour la parution d’un communiqué et/ou d’une note explicative le jour du prononcé sur le site internet de la Cour. Pour les premières, la décision de faire figurer l’arrêt dans la Lettre est prise, le plus souvent, par un comité de rédaction mis en place au sein des chambres, en lien avec le SDER. La mise en ligne d’un communiqué est quant à elle décidée par la chambre et par son président, en liaison avec la première présidence et le service de communication de la Cour.

Bon nombre de juristes et d’outils de recherche de jurisprudence s’appuyaient aussi sur le « P+B+R+I » pour évaluer rapidement la portée d’une décision. Que leur diriez-vous pour l’avenir ?

Jean-Michel Sommer : L’objectif pour la Cour demeure inchangé : faciliter en le simplifiant l’accès aux décisions et informer sur l’importance des arrêts. La communauté juridique doit en effet pouvoir disposer des clés d’appréciation du degré d’intérêt juridique des arrêts de la Cour.

« La communauté juridique doit en effet pouvoir disposer des clés d’appréciation du degré d’intérêt juridique des arrêts. »

De surcroît, la nouvelle classification sera le plus souvent corrélée à la nature de la formation qui a rendu la décision concernée. Ce point recoupe largement les problématiques relatives à la mise en place au sein des chambres de circuits différenciés et à l’orientation des affaires entre les différentes formations (formation restreinte de trois juges, formations de section composée d’au moins cinq juges, formations plénières de chambre).

L’adéquation entre la nature de la formation qui a rendu la décision et l’importance accordée à la décision rendue constitue l’un des objectifs des circuits différenciés d’instruction des affaires.

Dans cette optique, l’indication de la formation qui a rendu la décision sera accessible dans le moteur de recherche de jurisprudence du site de la Cour.

Propos recueillis par A. Dorange Rédaction du Village de la Justice