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L’exigence du devoir de collaboration en matière de contrat numérique ou informatique. Par Landry Ebouah, Juriste.
Parution : vendredi 7 mai 2021
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Les contrats dans le domaine informatique donnent une bonne idée de la collaboration que l’on peut ainsi attendre du créancier de la prestation. C’est à propos des contrats relatifs au numérique que la jurisprudence a mis en pleine lumière le devoir de collaboration pesant sur le client.

D’abord, s’agissant du devoir précontractuel d’information durant les négociations, il faut rappeler que l’article 1112-1 du Code civil énonce que « les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir » [1]. Aussi, toute clause stipulée par exemple à un avant-contrat ayant spécialement pour objet ou pour effet de limiter ce devoir d’ordre public sera nécessairement réputée non écrite.

Les contrats dans le domaine informatique donnent une bonne idée de la collaboration que l’on peut ainsi attendre du créancier de la prestation. C’est à propos des contrats relatifs au numérique que la jurisprudence a mis en pleine lumière le devoir de collaboration pesant sur le client.

Le devoir de coopération opère « une mise en relation d’actifs complémentaires en vue d’un projet commun mettant ainsi en scène des intérêts économiques convergents mais différents » [2].

En outre, qu’une clause ait été ou non prévue, le client doit « s’impliquer », être actif, exposer correctement ses besoins spécifiques et révéler à son partenaire toutes les informations importantes qu’il ignore [3]. Ce devoir de collaboration est plus intense lorsque le client est un professionnel.

« Celui qui sait », le professionnel informatique est spécialement débiteur envers « celui qui ne sait pas », le client d’obligations d’information, de conseil et de mise en garde.

Réciproquement, « celui qui ne sait pas », le client est lui-même tenu d’une obligation générale de collaboration à l’endroit du professionnel informatique.

Au stade des pourparlers précontractuels, il doit participer à la définition de ses besoins et à leur formulation, ainsi que préciser au professionnel les spécificités d’organisation qui sont les siennes et les usages parfois très particuliers qu’il attend de son système informatique.

Au stade du déploiement et de l’exploitation du système, il appartient notamment au client de contribuer à la phase de collecte des données variables en adressant au professionnel les données d’entrée requises. De même, le client doit participer de façon effective aux instances de pilotage du projet informatique (comité stratégique, comité de suivi, comité de pilotage...) afin de valider et superviser les délais de déploiement, gérer les problèmes de migration et d’exploitation du système ou encore se prononcer sur les principaux changements techniques à opérer.

Enfin, en phase de réception du système, le client doit contribuer avec le professionnel à l’élaboration des documents techniques (protocole de recette, cahier de tests...) décrivant les scenarii et modes opératoires des différents tests ou « jeux d’essais » qui seront réalisés entre les parties. Ajoutons également qu’il incombe au client de prononcer la réception du système lorsque rien ne s’y oppose objectivement.

I) Matérialisation du devoir de collaboration du client.

A. Rédaction du cahier de charges.

La façon la plus commode et plus répandue d’expression des besoins dans ce domaine est la rédaction d’un cahier des charges. L’existence du cahier des charges est importante pour le prestataire qui se prémunit ainsi contre tout « excès » du client.

Le cahier des charges est rédigé, soit par l’entreprise elle-même qui désire s’informatiser ou modifier son installation ; soit l’œuvre, à sa demande, d’un conseil extérieur.

Par ailleurs, l’élaboration du cahier des charges peut, en particulier lorsque le client n’est pas spécialiste de l’informatique et ne dispose pas de service informatique en interne, faire l’objet d’une convention séparée afin que les besoins soient exprimés conformément aux règles de l’art.

Pour la Cour de cassation,

« manque à son obligation de collaboration le client qui s’abstient de fournir au professionnel informatique "les spécificités de fonctionnement de son entreprise" se bornant à exprimer ses besoins sur la seule base de tableaux "Excel" pendant l’avant-vente » [4].

L’absence de cahier des charges peut être la cause de la défaillance du système livré lorsque le fournisseur n’a pas pu réellement déterminer les besoins spécifiques du client. Mais, son manque n’exonère pas le prestataire lorsque le projet de s’engager en l’état, ou il lui incombait de suppléer son client.

A noter aussi, lorsque le client fait appel à un conseil extérieur pour la rédaction du cahier des charges, l’inadéquation du logiciel à ses besoins peut conduire à une responsabilité in solidum du fournisseur du logiciel spécifique et du professionnel ayant conçu et rédigé le cahier des charges [5].

Le client se doit d’exprimer ses besoins et il n’est pas possible de reprocher au prestataire une inadéquation à des besoins qui n’ont pas été portés à sa connaissance par la rédaction d’un cahier des charges qui fait défaut.

Il peut être utilement complété par tout type de documentation : fichiers-types, modèles de documents, voire spécifications plus précises, description de l’architecture matérielle destinée à faire fonctionner le logiciel… Le rédacteur du contrat songera ainsi à préciser quelles sont les informations due par le client et attendue par le prestataire, qui lui permettent de prendre la mesure de sa propre obligation de conseil.

B. Demande de compléments d’information.

Le devoir de coopération se concrétise, lors des négociations, sous la forme d’une obligation d’information : Le client est tenu de spécifier son dessein, les objectifs précis à atteindre [6]. Souvent, dans les projets importants, dont ceux d’ingénierie, il rédige à cet effet un cahier des charges. Mais le fournisseur doit savoir demander des compléments d’information, voire suppléer le client incompétent et défaillant [7].

De même, « il appartient à l’entrepreneur de se renseigner sur la destination du local dans lequel il exécute des travaux pour aviser le maître d’ouvrage des problèmes susceptibles de surgir et des précautions à prendre ») ; il en va particulièrement de la sorte lorsque le contrat est conclu avec un partenaire d’un pays en voie de développement [8].

Mieux, il appartient à tout entrepreneur de se renseigner, même en présence d’un maître d’œuvre, sur la finalité des travaux qu’il accepte de réaliser (Philippe le Tourneau : Ingénierie et transferts de maîtrise industrielle - conception [9].

II) La collaboration perdure lors de l’exécution du contrat.

A. Collaboration durant la phase d’élaboration des logiciels.

Le client doit collaborer durant la phase de l’exécution du contrat. Son devoir de collaboration ne s’arrête pas à la phase précontractuelle ou dans le cahier des charges mais continue. Et cette continuité perdure durant la phase d’élaboration des logiciels.

La description du logiciel est à réaliser conjointement par les parties, qui doivent se mettre d’accord précisément sur ses caractéristiques, en termes notamment de fonctionnalités et de résultats, d’objectifs attendus par le client, de moyens (techniques et humains) nécessaires à la réalisation du système, de délais de réalisation prévus, d’évolutions futures envisagées.

L’analyse fonctionnelle due par le prestataire/concepteur deviendra le cahier des charges renfermant des spécifications techniques formulées en termes d’objectif à atteindre après une procédure de réception par le client (le client ne répondant pas aux demandes du prestataire quant à la validation des spécifications manque à son obligation de coopération [10].

La même procédure clôturera la phase suivante d’élaboration et de conception, celle de l’analyse organique détaillant notamment les logiciels, matériels, fonctionnalités, algorithmes, organigrammes (pour chaque sous-programme du logiciel, le cas échéant), etc. nécessaires aux traitements projetés.

Ceci exposé, la nécessaire collaboration due par le client ne doit pas prendre des proportions excessives et dégénérer en immixtion fautive dans les attributions du professionnel.

La Cour de cassation rappelle au sujet du devoir de collaboration du client qu’« il peut être attendu, pour l’exécution d’un contrat, que le créancier d’une prestation collabore, dans une certaine mesure, avec son contractant, spécialement en lui fournissant les informations sans lesquelles la prestation peut se révéler inadéquate.

Plus exactement, la collaboration du client fait partie des prévisions des contractants qui l’ont prise en compte pour la réalisation de l’opération contractuelle. Il en résulte que, pour apprécier la conformité de l’exécution à ce qui a été convenu, la qualité de la prestation fournie doit être regardée différemment selon que le client a contribué ou non à son résultat. Si l’exécution est imparfaite par le fait du client qui n’a pas apporté la collaboration attendue, ce défaut ne peut être imputé au prestataire [11].

B. Collaboration lors de l’installation et de la mise en route des logiciels ou du système.

Le devoir de collaboration du client perdure durant la phase de construction, d’installation et de mise en route. La Cour de Cassation, chambre commerciale du 11 janvier 1994 a jugé fautive l’attitude du client, ayant refusé « de collaborer à la recherche d’une solution qui aurait permis l’adaptation du logiciel à ses besoins » [12].

La Cour d’appel de Paris, 6 juin 2001, a condamné le refus fautif par client de l’installation de nouvelles versions du logiciel qui eussent permis l’adaptation de son système à ses besoins. Il doit notamment prévenir immédiatement le prestataire de toute information qui lui parvient, faciliter la coordination des personnels appelés à travailler ensemble (ses salariés avec ceux du prestataire), effectuer à temps, et selon les spécifications, les tâches qui lui incombent d’après le contrat, telle la construction des bâtiments [13], ce qui précisément est fréquent dans les contrats de construction d’ensembles industriels.

Le devoir de coopération s’achève finalement dans la participation du maître de l’ouvrage aux essais et aux réceptions [14].

Par ailleurs, s’immisce abusivement dans les attributions du professionnel, le client qui, en violation des dispositions contractuelles, fait procéder à l’intervention d’un tiers sur le système pour procéder à sa dépose et à son remplacement et qui organise ainsi la disparition de l’objet même du contrat alors qu’il était encore dans les liens de celui-ci [15].

La défaillance du client dans sa tâche de coopération pourra être invoquée par le prestataire pour se décharger, au moins partiellement, de la responsabilité de défauts, d’erreurs ou de retards qui lui seraient reprochés. Elle peut même transformer une obligation de résultat en obligation de moyens, dans la mesure où elle est une source d’aléas pour le prestataire.

Landry Ebouah Juriste IP/IT

[1Article 1112-1 du Code civil.

[2S. Lequette, Le contrat-coopération : Contribution à la théorie générale du contrat, préf. C. Brenner, « Recherches juridiques », Economica, 2012, n°180.

[3Art.1112-1 C.civ.

[5CA Bordeaux, 2 mai 2006 : JurisData n°2006-312039.

[13Cass. 3e civ., 7 mars 1990.

[15CA Versailles, ch. 12, 13 nov. 2012, n° 11/03488, SA Alain Affelou Franchiseur c/ SAS SPIE Communications : JurisData n°2012-02771.