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L’inaccessibilité des lois en Haïti, un obstacle à la démocratie. Par Jameson Pierre-Louis, Etudiant.
Parution : vendredi 7 mai 2021
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La crise socio-politique que traverse le pays depuis 2018 a occasionné la montée d’une nouvelle génération de jeunes aspirant à une gestion de la chose publique basée sur la transparence et la reddition des comptes.

« Il y a un vrai besoin de changement de système, de reddition de comptes » plaida en 2019 Emmanuela Douyon devant la commission Affaires étrangères du Congrès américain sur la crise en Haïti.

Selon les vœux de la Constitution haïtienne de 1987, Haïti est un Etat de droit. Ce principe suppose la prééminence du droit sur le pouvoir politique et l’obéissance à la loi tant des gouvernants que les gouvernés. Il implique aussi que les institutions publiques ne peuvent poser des actions contraires à la loi.

La capacité de la population à demander la reddition des comptes dépend de leur connaissance des obligations des institutions de l’Etat, obligations qui sont en général fixées dans les règlements juridiques. De fait, la participation effective des citoyens dans la gestion de la chose publique et dans une certaine mesure, leur évaluation des actions du gouvernement dépendent de leur connaissance des lois régissant le fonctionnement de l’Etat.

Toutefois l’accessibilité des lois en Haïti reste un authentique défi. Cette inaccessibilité est le résultat de plusieurs facteurs qui peuvent être rangé en deux catégories principales : matérielles et linguistiques. L’accessibilité matérielle des lois suppose que le contenu des lois soit à la portée des citoyens sur l’ensemble du territoire national. Cependant les impressions du Journal officiel « Le Moniteur » dépasse rarement 1 000 exemplaires. Aussi contrairement à d’autres pays, l’Etat haïtien ne tire pas avantage des nouvelles technologies de l’information pour mettre disponible « régulièrement » les nouvelles lois, encore moins les anciennes sur format digital. D’autre part, la plupart de nos lois sont rédigés uniquement dans la langue française, étrangère à la majorité des citoyens. La technicité du langage utilisé dans les textes de lois représente également un des éléments du défaut d’accessibilité de la loi.

Proposition pour une plus large diffusion des exemplaires de « le Moniteur ».

La mise en indisponibilité du site du Secrétariat général du Conseil des ministres pour cause de non-renouvellement du plan d’abonnement de l’hébergement et l’absence de diligence à remettre en état de fonctionnement ce site témoignent de l’insouciance des politiques à mettre l’information juridique disponible aux citoyens.

En effet, ce site constituait un des rares fonds documentaires ou l’on pouvait retrouver un ensemble de lois et de projets de lois.

Cette carence d’accès aux nouvelles lois adoptées influence inclusivement tous les acteurs qui appliquent les lois. Il est courant que des juges rendent des décisions sur la base de lois qui ne sont plus en vigueur.

Pourtant favoriser l’accès à la loi devrait un processus simple lorsqu’on considère les opportunités offertes par les technologies de l’information et de la communication. Pour remédier à l’inaccès des nouvelles lois promulguées, je propose que :
1) L’Etat haïtien met opérationnel le site de la presse nationale sur lequel toutes les nouvelles lois peuvent être consultables et téléchargeables ;
2) La presse nationale passe un accord avec les facultés de droit et les barreaux afin de favoriser l’appropriation des « Le Moniteur ». Et de permettre le poly copiage par les Juristes et étudiants. Tout en mettant des imprimées disponibles à la consultation dans les espaces bibliothèques de ces entités ;
3) La Bibliothèque nationale d’Haïti diligente des actions pour mettre disponible dans les bibliothèques municipales toutes les nouvelles lois aussi bien les versions reliées :
4) La presse nationale d’Haïti crée une lettre d’abonnement électronique ou physique (gratuit ou payant) à la disposition des citoyens.

Réduire les obstacles linguistiques d’accès aux lois.

L’article 5 de la Constitution de 1987 amendée en 2011 se lit comme suit (en français) : « Tous les Haïtiens sont unis par une langue commune : le créole ». De ce fait, en principe les versions originales des lois devraient toujours s’écrire en créole.

Faute est de constater que les gouvernements et parlements successifs en Haïti ont toujours privilégiés la rédaction des lois en langue française. En faisant fi du fait que cette pratique exclut des millions de citoyens des débats publics sur le droit voire même de la connaissance de leurs droits.

Les prochaines législatures auront à poser un acte de patriotique en privilégiant la rédaction en créole haïtien des propositions et des nouvelles lois.

Promouvoir le « Plain legal language ».

« Nemo censetur ignorare lege » dit l’adage latin. Cet adage signifie que personne ne devrait en principe ignorer la loi. Et ne peut évoquer l’ignorance de la loi devant un tribunal.

En dehors de l’inaccessibilité matérielle des lois, la plupart d’entre nous ont déjà fait l’expérience de se buter à la compréhension des textes de lois. Ce phénomène n’est pas exclusif à Haïti.

Vers les années 1960 a débuté un mouvement social en faveur du « droit de comprendre » autour du plain language.

« Les défenseurs du plain language prônent un style de communication efficace où l’auteur vise à se faire comprendre de son lecteur cible. S’appuyant sur des tests et des indices de lisibilité, ils invoquent des études et expériences de linguistes, comme Rudolph Flesch et Robert Gunning. Pour la langue française, citons la contribution de François Richaudeau ».

A la suite de ce mouvement, dans les 1970, le plain legal language est devenu une norme législative aux Etats-Unis et professionnelles notamment en Belgique.

Le législateur et les professionnels du droit haïtiens ont tout intérêt à rendre accessible le contenu des textes et documents juridiques en adoptant des pratiques du « plain language ». Cela permettra de réduire l’asymétrie de l’information et d’élever le niveau de la qualité des débats publics autour du droit. Et surtout d’éradiquer sur le long terme les pratiques d’exploitation de l’ignorance des justiciables par des « professionnels du droit ».

La problématique de l’accès des lois est d’importance capitale. Elle a des incidences multiples sur le processus démocratique, le niveau des débats autour du droit aussi bien sur l’efficacité du système judiciaire. Le gouvernement, les législateurs et les professionnels du droit ont tout à gagner en favorisant l’accessibilité matérielles et linguistiques des règlements juridiques en Haïti.

Jameson Pierre-Louis, Juriste spécialisé en droit du numérique & en droit international des droits fondamentaux