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"Idiss" en bande dessinée (d’après le livre de Robert Badinter).
Parution : jeudi 3 juin 2021
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La couverture de l’ouvrage laisse à penser qu’il s’agit d’un livre d’enfants. C’est le cas : c’est le livre d’un enfant qui a rassemblé ses souvenirs pour faire le portrait de sa grand-mère. L’enfant c’est Robert Badinter qui en 2018 avait raconté au travers de son roman Idiss la vie de sa grand-mère juive, originaire de Bessarabie, qui a fui l’antisémitisme de son pays au début du 20ème siècle pour s’exiler à Paris avec sa famille. Un antisémitisme qu’elle verra malheureusement revenir petit à petit dans son pays d’adoption...
L’avocat et scénariste de bande-dessinée Richard Malka et l’illustrateur Fred Bernard signent ensemble l’adaptation en roman graphique de ce récit, en illustrant à merveille cette jolie phrase de Robert Badinter : "les couleurs du passé revêtent l’éclat des beaux jours". Le Village de la Justice les a interrogés sur ce travail d’adaptation.

Le thème du roman graphique Idiss n’est pas de ceux habituellement évoqués dans cette rubrique. Mais une œuvre adaptée par l’avocat Richard Malka à partir d’un roman écrit par l’avocat et ancien Garde des sceaux Robert Badinter nous donnait deux bonnes raisons de déborder légèrement de nos thèmes habituels.

L’adaptation est réussie, lumineuse. On y retrouve l’ambiance du livre (à lire ou à relire, avant ou après, les deux ouvrages ne se font pas d’ombre), la grande admiration de l’enfant Badinter pour cette grand-mère affectueuse et courageuse, ciment de la famille.

La vie de cette femme ressemble malheureusement à celle de milliers d’autres (on pense au roman "Anna et son orchestre" de Joseph Joffo, même époque, même parcours de femme entre la Bessarabie et la France).
Des destins en partie tragiques, qui témoignent de notre histoire. Pourtant à chaque page l’amour et le bonheur sont présents, et rappellent l’universalité de ce récit.


Rencontre avec les auteurs, Richard Malka et Fred Bernard.

Village de la Justice : Pourquoi cette adaptation ? Quel est l’origine du projet ?

Fred Bernard : "Le livre « Idiss » était sorti chez Fayard en 2018, et Richard et moi l’avions lu à ce moment-là. C’était le souhait de Robert Badinter de voir le livre-hommage à sa grand-mère tant chérie offert aux plus jeunes lecteurs. Ceci afin de prolonger la vie du livre et le précieux devoir de mémoire.
La bande dessinée est clairement apparue comme le médium idoine.
Après accord entre Fayard et la maison d’édition Rue de Sèvres, Robert Badinter a confié l’adaptation de l’histoire à son ami Richard Malka. Notre éditrice m’a ensuite proposé de la dessiner. Sans doute parce que depuis de nombreuses années, je réalise des albums pour la jeunesse, mais aussi des romans graphiques pour les plus grands. Ni Richard, ni moi, ne pouvions refuser pareille aventure même si elle s’apparentait carrément à un défi…"

Richard Malka :" Effectivement, Robert Badinter avait émis le souhait que son roman ait une seconde vie sous forme de bande-dessinée, afin de rendre son récit accessible aux plus jeunes, et il a insisté pour que ce soit moi qui en soit le scénariste. Mon emploi du temps ne s’y prêtait pas forcément mais c’était un grand honneur qui ne se refuse pas. L’arrivée de la pandémie et le confinement m’ont offert le temps nécessaire, et Fred Bernard et moi-même nous y sommes consacrés pleinement... C’est la première fois que j’adaptais un livre et j’ai adoré !"

V.J : Avez-vous travaillé en collaboration avec Robert Badinter ?

F.B : "Oui, de bout en bout, étape par étape… Avant tout, j’ai croqué les personnages d’Idiss, de Schulim, de leurs enfants et de Robert petit garçon, mais aussi les ambiances de Bessarabie, du Marais des années 20 à Paris. Robert Badinter a validé et on peut d’ailleurs retrouver mes esquisses à la toute fin du livre. Robert avait précisé de ne pas rechercher la ressemblance avec ses photos de famille, "car cette histoire est universelle"… Il m’avait aussi conseillé de voir deux films pour les décors de la Bessarabie de la fin du 19e siècle et les costumes : « Un Violon sur le toit » de Norman Jewison et « Le Bal des Vampires » de Roman Polanski.
Ensuite, toutes les 10 pages environ, Richard passait son découpage et ses dialogues à Robert pour relecture. Je commençais alors les croquis des planches, validées à nouveau par Robert avant que je ne les reprenne à l’encre de Chine, et ainsi de suite jusqu’aux couleurs… Robert Badinter a d’ailleurs fait peu de remarques dans l’ensemble, et on ne le remerciera jamais assez car cela nous rassurait tous les deux. Nous étions très fébriles à chaque aller et retour, comme vous pouvez l’imaginer…"

R.M : "Oui en ce qui me concerne j’étais écrasé par la responsabilité de faire parler Robert Badinter et sa famille, et d’inventer des scènes ce qui était nécessaire au scénario. Bien sûr, j’étais terrifié à la première relecture... mais Robert Badinter n’a fait que quelques légères retouches.
Comme le dit Fred Bernard, il nous a fait un beau compliment en nous disant que ce n’était pas tout à fait la même histoire, mais qu’elle était universelle et qu’il avait été très ému de la lire."

V.J : L’ouvrage est esthétiquement très beau, et très coloré : pourquoi ce choix ?

F.B : "Merci beaucoup ! La question des couleurs s’est tout de suite posée : devait-on accompagner cette histoire avec des teintes qui rappellent « le temps jadis » ? Des sépias et des gris colorés qui font songer immanquablement au temps passé ? Mais cette histoire est toujours d’actualité ! Richard m’avait soumis l’idée d’une maison bleue « à la Chagall » pour la famille d’Idiss dans leur "shtetel" et j’ai adoré l’idée ! Partant de là, j’ai pris le parti de camaïeux de terre de Sienne, brûlée, ou ocre avec des ombres mauves, à l’aquarelle et aux crayons de couleurs, à la manière dont je travaille mes carnets de voyages, avec parfois des touches beaucoup plus vives. Naturellement, Paris est plus colorée que la Bessarabie du début… Les photos noir et blanc et les films d’époque nous font souvent oublier qu’on pouvait très bien porter un foulard jaune et un gilet un pourpre ! Et puis le destin d’Idiss et de la famille Badinter n’est pas que peine et tristesse, il y a aussi beaucoup de moments de joie, de tendresse et de sourires lumineux. Ces émotions émanaient du magnifique livre de départ, il fallait absolument qu’on les retrouve dans cette bande dessinée…"

R.M : "En tant que scénariste, je n’ai pas d’idée préconçue du dessin quand je travaille, il y a une sorte de floutage des images... mais effectivement j’ai adhéré aux choix de Fred Bernard. Tout s’est extrêmement bien passé durant ce temps de création."

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Un portrait de famille, Idiss entourée des siens.
Extrait de la bande-dessinée de Richard Malka et Fred Bernard "Idiss" d’après l’œuvre de Robert Badinter.

Informations techniques :
Titre : Idiss
Auteur : Richard Malka et Fred Bernard, d’après le livre de Robert Badinter
Éditeur : Rue de Sèvres
ISBN : 978-2-81020-810-4
Sortie : Avril 2021
Pages : 115
Prix : 20 euros.

Extraits de la bande-dessinée reproduits avec l’autorisation des éditions Rue de Sèvres.