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La loi du 21 avril 2021 ou le cheval de Troie des Cours criminelles. Par Rémi Bertrand, Avocat.
Parution : mardi 11 mai 2021
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Si le Droit, selon La Théorie pure du droit de Hans Kelsen, est une notion objective, indépendante du politique, la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs contre les violences sexuelles laisse transparaître une intention politicienne dans le contenu de la norme. La loi du 21 avril 2021 a élargi la définition du viol pour faire de la Cour criminelle expérimentale une juridiction indispensable dans le traitement des affaires de viol.

Le 19 novembre 2019, le Groupe d’experts du Conseil de l’Europe sur l’action contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) publiait son premier rapport d’évaluation de référence sur la France. Le Conseil de l’Europe épinglait ainsi la France et sa définition légale du viol.

Dans un courrier du 14 novembre 2019, la France répondait aux critiques du GREVIO qui exhortait les autorités françaises à réexaminer leur législation et leurs pratiques judiciaires, en particulier la pratique de la correctionnalisation, en matière de violences sexuelles, y compris celles commises sur les victimes mineures, afin notamment de fonder la définition des violences sexuelles sur l’absence de libre consentement de la victime, en conformité avec l’article 36, paragraphe 1, de la Convention d’Istanbul.

La France maintenait alors avec force que son droit pénal considérait que, dès lors qu’une relation sexuelle est obtenue par l’utilisation d’un des moyens coercitifs cités par l’article 222-23 du Code pénal (violence, contrainte, menace ou surprise), la victime n’avait pas accepté librement cet acte et l’infraction pénale se trouvait alors constituée.

Ainsi, pour la France le consentement se trouvait bien au centre de la définition juridique du viol. D’ailleurs, la jurisprudence - ancienne et constante - indiquait que le défaut de consentement résultait bien de la violence physique ou morale exercée à l’égard de la victime, ou de tout autre moyen de contrainte, menace ou surprise dans le but d’abuser d’une personne, en dehors de sa volonté [1].

La loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 [2] visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste a permis de se mettre en conformité avec la Convention d’Istanbul et les critiques d’alors formulées par le GREVIO, en plaçant l’absence de consentement chez les mineurs victimes de violences sexuelles au cœur de sa nouvelle législation. La loi a donc fixé un seuil de non-consentement pour toute relation sexuelle entre un majeur et un mineur de 15 ans ayant plus de 5 ans d’écart et de 18 ans dans les affaires d’inceste.

Afin de parfaire la protection des mineurs contre les infractions sexuelles, la loi du 21 avril 2021 a créé quatre nouvelles infractions qui ne seront plus caractérisées par la violence, la contrainte, la menace ou la surprise : le crime de viol sur mineur de moins de 15 ans, puni de 20 ans de réclusion criminelle ; le crime de viol incestueux sur mineur (de moins de 18 ans), puni de 20 ans de réclusion criminelle ; le délit d’agression sexuelle sur mineur de moins de 15 ans, puni de 10 ans de prison et de 150 000 euros d’amende ; et le délit d’agression sexuelle incestueuse sur mineur (de moins de 18 ans), puni de 10 ans de prison et de 150 000 euros d’amende.

A travers cette avancée notable dans la protection des mineurs contre les violences sexuelles, la loi du 21 avril 2021 est également venue - sans bruit - modifier la définition même du viol en réformant l’article 222-23 du Code pénal.

Désormais, l’article 222-23 du Code pénal dispose :

« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ».

Elle inclue donc les actes bucco-génitaux dans la définition du viol mettant ainsi un terme à la polémique soulevée par un arrêt de la Chambre criminelle du 14 octobre 2020 [3].

Dans cet arrêt, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait rejeté un pourvoi à l’encontre de l’arrêt de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris qui avait confirmé la requalification des faits de viol aggravé en agression sexuelle aggravée, par un juge d’instruction. L’arrêt relevait que la plaignante, toujours vierge, déclarait au sujet de l’unique pénétration dénoncée, que son agresseur l’avait pénétrée avec sa langue.

La chambre de l’instruction avait retenu que cette déclaration n’était assortie d’aucune précision en termes d’intensité, de profondeur, de durée ou encore de mouvement, et ne caractérisait pas suffisamment une introduction volontaire au-delà de l’orée du vagin, suffisamment profonde pour caractériser un acte de pénétration.

Ainsi, les éléments matériel et intentionnel du viol étaient insuffisamment caractérisés de sorte que la décision de requalification en agression sexuelle était parfaitement justifiée.

Par cet arrêt à l’argumentation maladroite, la Cour de cassation laissait entendre que l’élément matériel du viol, à savoir la pénétration, devait dépasser un seuil d’intensité, de profondeur, de durée ou de mouvement. C’est d’ailleurs cette confusion qui a conduit certains médias à s’insurger contre cette décision. D’aucuns affirmaient alors que cette jurisprudence venait rendre encore plus limitative la définition juridique du viol en droit français [4].

Désormais, constituent un viol tout acte bucco-génital ou tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur, par violence, menace, contrainte ou surprise.

La loi 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste a donc, par la même occasion, élargi la définition du viol sans se heurter pour autant à la seconde critique émise par le Conseil de l’Europe quant à la pratique de la correctionnalisation en matière de violences sexuelles.

Dans ses commentaires sur le rapport final du GREVIO sur la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, la France - afin de répondre à la problématique de l’engorgement chronique de nombreuses cours d’assises - mettait en avant sa loi de réforme pour la justice du 23 mars 2019 et l’expérimentation, pour une durée de trois ans, d’une cour criminelle en première instance pour accélérer le jugement d’affaires criminelles habituellement correctionnalisées, telles les affaires de viol.

En effet, par arrêté du 26 avril 2019, sept départements avaient été initialement désignés pour expérimenter le dispositif des cours criminelles, qui a débuté en septembre 2019. Composée de cinq magistrats professionnels, cette Cour criminelle est désormais compétente pour juger, en première instance, les crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion par des majeurs, sans récidive.

La future loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire », discutée à compter du 5 mai 2021 en commission des lois à l’Assemblée nationale, est venue bouleverser le calendrier en prévoyant de généraliser ces cours criminelles départementales à partir du 1er janvier 2022, avant même la fin de leur expérimentation prévue au printemps 2022. L’exécutif légitime ainsi les cours criminelles départementales en légiférant à bas bruit sur le viol. Cet excès de légalisme ne permet-il pas d’éviter toute contestation ?

Dès lors, l’une des mesures les plus contestées de la loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire » relative à la généralisation des Cours criminelles s’impose désormais légitimement par l’adoption d’une loi essentielle à la protection des mineurs qui est venue élargir la définition du viol.

Le légalisme, directement issu du positivisme juridique, permet au pouvoir politique en place de prétendre à la pureté originelle et non pas aux mains sales du Prince d’antan [5].

Toutefois, la modification de l’article 222-23 du Code pénal révèle une intention claire du politique, celle d’imposer les Cours criminelles en les rendant indispensables. Ainsi, l’irréductible réalité du politique refait surface dans un excès de légalisme avec l’adoption de la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, véritable cheval de Troie de la réforme judiciaire.

Cette manœuvre politicienne relance le célèbre débat doctrinal opposant Carl Schmitt à Hans Kelsen. Dans la Théorie pure du droit, Hans Kelsen pense le Droit comme ordre normatif de validation d’une norme par une norme supérieure, et de degré en degré, jusqu’à la norme fondamentale, indépendamment de tout contenu politique ou moral.

Carl Shmitt dans l’ouvrage Théologie politique définit la notion de décisionnisme : « Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle ». Ainsi, la notion de droit ne résiderait plus dans le contenu d’une norme mais dans l’intention de son décisionnaire.

En s’inscrivant à la marge d’un projet de loi visant à protéger les mineurs contre les violences sexuelles, la réécriture de la définition du crime de viol n’a soulevé aucune contestation, aucun débat. Nul ne peut contester le bien-fondé de cette loi du 21 avril 2021 indispensable à la protection des mineurs mais son contenu sert incontestablement les intérêts de ce second volet de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice, invitant de nouveau le décisionnisme de Carl Schmitt dans une Théorie « dénaturée » du droit.

Rémi BERTRAND Avocat au barreau de MONTPELLIER [->bp.avocats@outlook.fr]

[1Cour de cassation, chambre criminelle, 25 juin 1857.

[2L. n° 2021-478, 21 avr. 2021, visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste : JO, 22 avr. 2021.

[3Arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle, du 14 octobre 2020, n°2378.

[4« OsezleFéminisme.Fr », Lettre ouverte au président de la République, au Premier Ministre et au garde des Sceaux, collectif féministe contre le viol, 6 nov. 2020.

[5Bellamy R. (1999), Liberalism and Pluralism : Towards a Politics of Compromise, Londres, Routledge.