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Les règles de droit face à la pédopornographie 2.0. Par Simon Takoudju, Avocat et Justine Freslon, Etudiante.
Parution : lundi 17 mai 2021
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La pédopornographie connait un essor important grâce à l’avènement du Dark Web, obligeant le législateur à prévoir de nouvelles infractions pour incriminer ces comportements et forçant les enquêteurs à adapter leurs méthodes d’investigation pour collecter des preuves numériques.

La pédopornographie renvoie à la représentation à caractère sexuel d’un mineur. Malgré cette définition assez simple, le contenu pédopornographique est extrêmement varié. La décision-cadre 2004/68/JAI de l’Union européenne du 22 décembre 2003 relative à la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie pose une définition harmonisée de la pédopornographie dans son article premier.

Il s’agit de « tout matériel pornographique représentant de manière visuelle :
- un enfant réel participant à un comportement sexuellement explicite ou s’y livrant, y compris l’exhibition lascive des parties génitales ou de la région pubienne d’un enfant, ou
- une personne réelle qui paraît être un enfant participant ou se livrant au comportement visé au point i), ou
- des images réalistes d’un enfant qui n’existe pas participant ou se livrant au comportement visé au point i).
 »

Internet et les réseaux sociaux constituent des supports qui facilitent la consultation de contenus légaux (exemple : pornographie, etc…) et illégaux (pédopornographie, produits stupéfiants, etc…) qui, jusqu’à présent, étaient plus difficiles d’accès.

L’un des vecteurs privilégiés de consultation anonyme est le Dark Web qui est accessible via un logiciel spécifique. Une fois installé, il permet de circuler sur tous les sites légaux et illégaux.

Les procédures judiciaires concernant des infractions sexuelles sur mineur commises sur internet se sont multipliées ces dernières années, obligeant les enquêteurs à innover au niveau de leurs techniques d’investigations.

I- Les infractions pédopornographiques.

A) La fixation, l’enregistrement, la diffusion, l’offre ou la transmission de l’image à caractère pédopornographique (Article 227-23 Code pénal).

L’article 227-3 du Code pénal regroupe les faits de production et de réalisation d’images de mineur à caractère pornographique mais également le fait de les communiquer et de les rendre visibles à un public. La peine prévue est de 5 ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende. Cette infraction a été intégrée dans le Code pénal par la loi du 17 juin 1998 relative aux infractions sexuelles et à la protection des mineurs (n°98-468).

Le fait de fixer, d’enregistrer ou de transmettre de telles images est incriminé lorsqu’elles sont réalisées pour être diffusées. Toutefois, la loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l’enfance (n°2007-293) a ajouté que l’objectif de diffusion n’est pas nécessaire lorsque la victime est un mineur de quinze ans (mineur de moins de quinze ans).

Le fait d’offrir ou de diffuser ces images peut se faire par tout moyen soit par une importation ou une exportation qu’elle soit réalisée par l’auteur lui-même ou qu’il l’ait fait faire par un tiers.

Le législateur a prévu une disposition au sein du dernier alinéa de l’article prévoyant qu’il suffit que les images représentent une personne dont l’aspect physique est celui d’un mineur pour retenir, dans un premier temps, la minorité de la victime. Toutefois, si la majorité de la personne est établie au jour de la réalisation des images, l’infraction ne saurait être caractérisée.

La peine est aggravée lorsqu’un réseau de communications électroniques est utilisé pour la diffusion du contenu illicite à destination d’un public non déterminé, ce qui permet de prendre en compte l’essor des réseaux sociaux et le développement des sites pédopornographiques sur le Dark Web.

Elle sera également aggravée lorsque l’infraction est commise en bande organisée.

La tentative de ces infractions est également sanctionnée.

B) La consultation, la détention ou l’acquisition d’images à caractère pédopornographiques (Article 227-23 alinéa 4 Code pénal).

La deuxième infraction de l’article 227-23 du Code pénal vient sanctionner un second type d’auteur, à savoir les consommateurs de pédopornographie. Ce délit est puni de 5 ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende. Cette infraction correspond à la transposition de la directive européenne directive no 2011/93/UE du 13 décembre 2011 relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants par la loi du 5 aout 2013. Ainsi, désormais, la détention de contenu pédopornographique doit être sanctionnée dans tous les États membres.

Cette infraction renvoie à quatre types d’actes :
- le fait de consulter, de façon habituelle, un service de communication au public en ligne mettant à disposition une telle image ou représentation
- le fait de consulter, en contrepartie d’un paiement, un service de communication au public en ligne mettant à disposition une telle image ou représentation,
- le fait d’acquérir une telle image ou représentation par quelque moyen que ce soit,
- le fait de détenir une telle image ou représentation par quelque moyen que ce soit.

Le dernier alinéa de l’article 227-23 du Code pénal concernant la présomption de minorité de la victime fonctionne aussi pour cette infraction.

La circonstance aggravante de bande organisée est également applicable à cette infraction.

La tentative de ce délit est punissable.

C) La fabrication, le transfert ou la diffusion de message à caractère violent ou pornographique à l’encontre d’un mineur (Article 227-24 Code pénal).

Le message incriminé doit présenter un caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter le mineur à se livrer à des jeux le mettant physiquement en danger. Il est précisé que la caractérisation de l’infraction est indifférente au moyen ou au support utilisé. La commercialisation d’un tel contenu est également sanctionnée. Il s’agit d’une infraction formelle puisque l’infraction sera consommée à la seule condition que ce message soit susceptible d’être vu ou perçu par le mineur. Cette infraction est sanctionnée par une peine de 3 ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende.

L’acte réprimé n’est pas en relation directe avec la pédopornographie mais a pour but de préserver l’intégrité morale des mineurs face à la pornographie mais également la pédopornographie et d’empêcher le plus possible leur exposition à de tels contenus.

Le dernier alinéa de l’article a été ajouté par la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales (n° 2020-936) et est spécifique à la pornographie puisque l’infraction sera constituée y compris si l’accès d’un mineur aux messages mentionnés au premier alinéa résulte d’une simple déclaration de celui-ci indiquant qu’il est âgé d’au moins dix-huit ans.

Une telle disposition incite les sites pornographiques à renforcer leurs conditions d’accessibilité et d’intégrer des vérifications poussées sur l’âge du public.

D) La corruption de mineur (Article 227-22 Code pénal).

La corruption de mineur est « le fait de favoriser ou de tenter de favoriser la corruption d’un mineur » et est sanctionnée par 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. La peine est aggravée notamment quand l’auteur a été mis en relation avec le mineur par l’utilisation d’un réseau de communications électroniques.

Le fait de se livrer à des actes immoraux sous les yeux d’un public mineur, de les faire sur ce mineur ou encore de les faire faire par le mineur lui-même rentre dans le champ de l’article 227-22 du Code pénal. De tels actes peuvent conduire à la production de contenu pédopornographique. A titre d’exemple, la chambre criminelle de la Cour de cassation a sanctionné le 25 mai 2011 (n°10-80.951) comme une corruption de mineur le fait d’inciter un mineur à poser de façon érotique en vue de le photographier.

Afin que ce délit soit qualifié, il est nécessaire de prouver que l’auteur avait l’intention de commettre des actes immoraux mais également qu’il avait la volonté de les réaliser en présence d’un mineur avec l’objectif de le corrompre.

E) Les propositions sexuelles faites à un mineur (Article 227-22-1 Code pénal).

Cette infraction sanctionne « Le fait pour un majeur de faire des propositions sexuelles à un mineur de quinze ans ou à une personne se présentant comme telle en utilisant un moyen de communication électronique » et le punit de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

Le législateur est venu pénaliser la pratique dite du « grooming » avec cette infraction. Il s’agit d’une technique d’approche envers les victimes. L’adulte va s’approcher de manière psychologique et sociale d’un mineur afin d’obtenir des faveurs sexuelles ou des clichés pédopornographiques.

Il s’agit d’une infraction de prévention qui sanctionne la simple proposition sans qu’il soit nécessaire que le mineur ait répondu à la demande. Le but est d’éviter des comportements plus graves en intervenant en amont pour dissuader l’adulte d’entreprendre une telle démarche.

L’auteur doit avoir réalisé ces propositions de façon volontaire sans qu’il soit nécessaire de prouver en plus un objectif de corruption. Ainsi, les faits qui sembleraient pouvoir être qualifiés de corruption de mineur mais qui ne présentent pas ce dol spécial seront susceptibles d’entrer dans le champ de cette infraction.

Le Code pénal sanctionne également à l’article 227-28-3 du Code pénal le fait qu’un auteur ait poussé un tiers à réaliser à l’encontre d’un mineur l’un des délits des articles 227-22 et 227-23 du même code. Cette infraction fonctionne avec le même mécanisme que le mandat criminel. L’acte sanctionné est le fait de faire à une personne des offres ou des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques dans le but de commettre l’une des infractions sans que celle-ci ne soit forcément commise ou tentée.

II) L’enquête sur des faits de pédopornographie.

La procédure pénale a dû s’adapter à l’arrivée des nouvelles technologies et prendre en compte le développement des infractions réalisées en ligne. Il a fallu prévoir des techniques d’investigation permettant la recherche de preuves numériques sur Internet mais également sur le Dark Web.

La preuve numérique est difficile à recueillir car, du fait de ses caractéristiques, elle est volatile, fragile et difficile à localiser. Le législateur a ainsi doté les enquêteurs d’une nouvelle technique d’enquête : «  l’enquête sous pseudonyme » (loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance (n°2007-297)). Avec la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019 (n°2019-222), cette technique a été étendue au droit commun.

A) Quel est le cadre de l’enquête sous pseudonyme ?

Elle peut désormais être utilisée pour enquêter sur tous les crimes et délits punis d’emprisonnement commis par la voie des communications électroniques selon l’article 230-46 du Code de procédure pénale. Elle intervient en phase d’enquête comme en phase d’instruction lorsque les nécessités de celles-ci le justifient. La mesure est placée sous le contrôle du procureur de la République ou du juge d’instruction selon la phase concernée.

L’enquête sous pseudonyme est semblable à une infiltration mais est réalisée électroniquement. Elle va permettre aux enquêteurs d’accomplir des actes en masquant leur identité. Les officiers ou agents de police judiciaire qui réalisent des enquêtes sous pseudonyme sont spécialement habilités pour mener à bien de telles investigations. L’officier ou l’agent de police judiciaire ne sera alors pas pénalement responsable pour les actions menées dans le cadre de cette investigation.

L’article 230-46 du Code de procédure pénale prévoit différents types d’actions possibles dans le cadre d’une enquête sous pseudonyme :
- « Participer à des échanges électroniques, y compris avec les personnes susceptibles d’être les auteurs de ces infractions ;
- Extraire ou conserver par ce moyen les données sur les personnes susceptibles d’être les auteurs de ces infractions et tout élément de preuve ;
- Après autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction saisi des faits, acquérir tout contenu, produit, substance, prélèvement ou service, y compris illicite, ou transmettre en réponse à une demande expresse des contenus illicites
. »

B) Comment se réalise une enquête sous pseudonyme ?

L’enquête sous pseudonyme se réalise de deux façons :
- Soit par une enquête dite d’initiative : les agents ou officiers vont s’infiltrer au sein d’un réseau informatique où ils savent que des infractions de pédopornographie sont commises afin d’en identifier les auteurs.
- Soit par une reprise de profil qui consiste à reprendre le profil de la victime et utiliser son pseudo pour discuter avec l’auteur d’une infraction à nouveau dans le but de l’identifier. Cette reprise ne peut s’effectuer qu’avec le consentement de la personne et dans le cas d’un mineur celui des parents est également nécessaire. L’agent ou l’officier prendra la place de la victime sur tous les réseaux de communications où intervient l’auteur. L’enquêteur devra donc être crédible en tant que mineur.

C) Quelles sont les difficultés que présente une enquête sous pseudonyme ?

L’enquête sous pseudonyme présente quelques difficultés pour les autorités publique qui l’utilisent. La principale est le respect de la loyauté des preuves. Les actes qui portent atteinte à la recherche et à l’établissement de la vérité rendent irrecevables les preuves collectées.

Une distinction a été posée par la jurisprudence européenne au sein de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 9 juin 1998, Teixeira de Castro c/ Portugal :
- Lorsqu’une infraction est déjà commise et que les enquêteurs mettent en place un stratagème pour en récolter la preuve, il s’agit d’une provocation à la preuve, ce qui est autorisé.
- Lorsque l’autorité publique va inciter à commettre une infraction qui n’aurait pas été réalisée sans cette intervention, il s’agit d’une provocation à l’infraction, ce qui est interdit. Une preuve obtenue de cette façon sera irrecevable et les actes de procédure concernés seront annulés.

La jurisprudence française a récemment précisé le principe de la loyauté des preuves en ajoutant que la provocation à la preuve n’est admise que si elle est exercée dans le respect des droits de la défense. Dans le cas contraire la preuve sera également irrecevable.

C’est pourquoi le deuxième alinéa de l’article 230-46 du Code de procédure pénale prévoit que la communication de contenu illicite ne peut constituer une incitation à commettre des infractions à peine de nullité.

D) Que devient le contenu pédopornographique ?

Toutes les images et vidéos pédopornographiques saisies par la police ou la gendarmerie sont transmises au Centre national d’analyse des images de pédopornographie (CNAIP). Ce Centre national sert de base de données pédopornographique à la justice française et a pour mission de retrouver les victimes non identifiées. C’est également de ce centre que proviennent les images pédopornographiques qui peuvent être utilisées dans le cadre d’une enquête sous pseudonyme.

III) L’enquête privée : les chasseurs de pédophiles.

Les preuves apportées par les chasseurs de pédophiles sont-elles recevables ?

Le lundi 26 avril 2021, un homme de 54 ans est condamné par reconnaissance préalable de culpabilité pour des faits de corruption de mineur à Vesoul. La peine prononcée est de dix mois d’emprisonnement ferme avec un suivi socio judiciaire et une obligation de soins pendant 5 ans. Il a également été inscrit au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes.

Il avait été interpellé en septembre 2020 suite à la dénonciation du collectif citoyen « Team Moore ». Ce collectif avait créé le profil de Léna 12 ans avec laquelle l’homme pensait discuter.

Ce type de collectifs est en pleine expansion ces dernières années et correspond au phénomène des « chasseurs de pédophiles ». Il s’agit de personnes privées qui se donnent pour mission de traquer ceux qu’elles identifient comme des auteurs d’infractions sexuelles sur internet. Elles vont réaliser un travail similaire à celui des officiers ou agents de police judiciaire dans le cadre d’une enquête sous pseudonyme. Ainsi, elles vont pouvoir reprendre un profil existant ou en créer un fictif pour récolter les preuves d’infractions et en dénoncer l’auteur aux services compétents.

Toutefois, ces personnes ne sont pas des agents habilités mais des citoyens qui ne sont donc pas soumis au cadre prévu par le code de procédure pénale. Les dénonciations par ces chasseurs pédophiles posent donc la question de la recevabilité des preuves.

La jurisprudence est constante et relativement souple à ce sujet. En effet, la Chambre criminelle de la Cour de cassation précisait dans un arrêt du 30 mars 1999 (n°97-83.464) que « la circonstance que des documents ou des enregistrements remis par une partie ou un témoin aient été obtenus par des procédés déloyaux ne permet pas au juge d’instruction de refuser de les joindre à la procédure, dès lors qu’ils ne constituent que des moyens de preuve qui peuvent être discutés contradictoirement ».

Elle ajoutait dans un second arrêt du 27 janvier 2010 (n°09-83.395) « qu’aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d’écarter des moyens de preuve remis par un particulier aux services d’enquête, au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale et qu’il leur appartient seulement, en application de l’article 427 du code de procédure pénale, d’en apprécier la valeur probante, après les avoir soumis а la discussion contradictoire ».

Ainsi, le principe de loyauté des preuves auquel sont soumises les autorités publiques ne s’applique pas aux personnes privées pour lesquelles le principe de liberté de la preuve prime. Elles pourront donc obtenir des preuves de façon déloyale et même illicite. Toutefois, si la personne commet une infraction afin d’obtenir ces preuves (ex : diffusion d’images à caractère pédopornographique…), elle pourra elle-même être poursuivie pour cette infraction.

Cette pratique pourrait représenter un moyen pour les autorités publiques de contourner l’exigence de loyauté en faisant appel à des personnes privées pour récolter les preuves nécessaires. La jurisprudence ne tolère pas de tels abus, s’il est établi que les autorités publiques sont de connivence avec la personne ayant dénoncé les faits, la preuve sera irrecevable.

Ainsi, vu l’essor de cette justice privée, il est intéressant de s’interroger réellement sur cette question des « justiciers 2.0 ».

Simon Takoudju, Avocat Barreau de Bordeaux CANOPIA AVOCATS mail: [->st@canopia-avocats.com] site web : https://www.stakoudju-avocat.fr
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