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L’égalité Homme-Femme passe aussi par le nom de famille. Par Karine Vartanian, Professeure de Droit.
Parution : lundi 17 mai 2021
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Les lois sur l’égalité entre les femmes et les hommes se succèdent depuis presque quarante ans. Certaines plus pertinentes que d’autres, mais toutes animées par une volonté de vaincre les préjugés et de contraindre les mentalités à évoluer.
Et pourtant, que ne gagnerait-on pas sur ce terrain, si l’on cessait de nommer les femmes par le nom de leur époux.

Indépendamment du nom de famille propre à chaque individu, il est possible de porter un nom dit d’usage.

Si le port d’un nom d’usage pour un enfant peut revêtir une utilité certaine, notamment pour acquérir un double nom composé du nom de famille et du nom du parent qui ne lui a pas transmis juridiquement son nom de famille, afin de faciliter l’identification familiale et sociale [1], cette utilité ne semble plus d’actualité concernant la femme mariée.

Pourtant, cette pratique perdure en dépit de sa justification désormais contestable, elle continue de se diffuser dans toutes les strates de la société et d’engendrer d’importantes répercussions judiciaires.

1 - Le nom d’usage marital : une pratique bien ancrée dans notre société…

En vertu des articles 311-21 à 311-24-1 du Code civil relatifs aux règles de dévolution du nom de famille, celui-ci correspond au nom que toute personne acquiert à sa naissance ou après une procédure judiciaire.

En vertu de l’article 225-1 du Code civil : « Chacun des époux peut porter, à titre d’usage, le nom de l’autre époux, par substitution ou adjonction à son propre nom dans l’ordre qu’il choisit ».

Ainsi, le nom d’usage est le nom utilisé dans la vie quotidienne et sous lequel la personne est connue : vie privée, familiale, sociale, professionnelle ou administrative.

Le nom d’usage est facultatif et ne peut se substituer juridiquement au nom de famille.

Le nom d’usage peut se porter en nom unique ou en double nom composé du nom de famille et du nom marital.

Aujourd’hui, à la question : une femme mariée peut-elle conserver son nom de famille, la Direction de l’information légale et administrative (sous la direction du Premier ministre) répond par l’affirmative en précisant que la femme mariée n’aura alors aucune démarche à effectuer.

Nous comprenons donc que c’est à la femme mariée qui souhaite adopter le nom de son époux comme nom d’usage, d’en faire la démarche.

D’ailleurs, le 1er janvier 2020, en guise de pierre supplémentaire à l’édifice de l’égalité homme-femme, le gouvernement annonçait que les documents d’imposition d’un couple marié n’étaient plus établis par défaut au seul nom de l’époux. D’autant plus, qu’il s’agissait de gommer une disparité flagrante entre les couples mariés homosexuels et hétérosexuels.

Alors, en cette année 2021, la femme mariée conserve-t-elle son nom de famille ?
Nous n’y sommes pas encore !

Qu’il s’agisse des grands organismes publics et privés : hôpitaux publics, caisse primaire d’assurance maladie, caisse d’allocations familiales, organismes bancaires et de crédit, prestataires de services…, la femme mariée se trouve automatiquement identifiée sous le nom de son conjoint, sauf démarche - longue et réitérée - de sa part.

Mais que dire de la Direction générale des Finances publiques, laquelle fait certes désormais exister l’épouse à travers la mention de ses nom et prénom, mais la laisse au rang de « déclarant n°2 », peu importe qu’elle déclare des revenus supérieurs à ceux de son époux comme dans plus de 25% des cas, à moins d’inverser volontairement le nom des déclarants et encore, une telle permutation tend à déstabiliser tous les services annexes qui s’appuient sur la déclaration fiscale.

En tout état de cause, tout le courrier de la Direction générale des Finances publiques est adressé aux époux sous le seul nom de famille du mari, lorsque l’identité de la femme mariée ne disparaît pas totalement du libellé comme dans les avis de taxe foncière et de taxe d’habitation.

Il en résulte une véritable manipulation des esprits qui consiste à laisser croire que ne pas porter le nom de son époux, lorsque l’on est une femme, serait un acte de défiance à l’égard de l’institution du mariage, au mépris des conséquences judiciaires qu’un tel imaginaire commun engendre.

2 - …Lourde de conséquences judiciaires.

En vertu de l’article 264 du Code civil :

« A la suite du divorce, chacun des époux perd l’usage du nom de son conjoint. L’un des époux peut néanmoins conserver l’usage du nom de l’autre, soit avec l’accord de celui-ci, soit avec l’autorisation du juge, s’il justifie d’un intérêt particulier pour lui ou pour les enfants ».

C’est au moment du divorce que la notion de « nom d’usage » revêt toute sa signification, puisque lorsque les époux divorcent, la femme mariée qui portait le nom de son mari perd ce droit d’usage et doit reprendre son nom de famille.

La femme qui désirerait continuer à porter le nom de son ex-conjoint doit donc obtenir son accord.

D’ailleurs, l’accord peut être temporaire, éventuellement jusqu’à la majorité des enfants ou il peut être circonscrit à l’utilisation du nom d’usage dans le cadre de l’activité professionnelle.

Il peut même arriver que l’époux retire son accord s’il est amené à constater que son ex-conjoint en fait un usage abusif.

Mais il n’est pas rare, lors d’une procédure de divorce, que le mari s’oppose au fait que son ex-femme continue d’utiliser son nom.

Il faut alors imaginer la situation, hélas fréquente, où l’ex-épouse confrontée à l’opposition de son ex-époux, se trouve contrainte de présenter les arguments susceptibles de convaincre le juge de lui octroyer cette autorisation fondée sur un intérêt particulier [2].

Demander à continuer de porter le nom de son ex-conjoint ne suffit donc pas, encore faut-il motiver sa demande auprès du juge [3].

Il arrive également que cette demande soit rejetée mais que l’ex-conjointe persiste à porter son nom d’usage. Si la démarche amiable demeure sans effet, le conjoint dont le nom est utilisé sans accord devra alors saisir le juge pour demander l’interdiction sous astreinte d’utiliser son nom et l’octroi de dommages-intérêts en cas de préjudice avéré.

Ajoutons que le fait que l’ex-mari ne manifeste pas expressément son désaccord durant plusieurs mois voire plusieurs années, ne vaut pas autorisation tacite.

Voici donc l’ex-épouse réduite à demander l’autorisation de porter un autre nom que le sien, craindre qu’on le lui refuse et se voir menacée de poursuites judiciaires si elle persiste à porter ce nom d’usage sans accord.

3 - En guise de conclusion.

Force est de constater :
- que les conflits relatifs au droit de continuer à porter le nom de l’ex-conjoint sont genrés : madame demande à conserver le nom de monsieur en guise de nom d’usage ;
- que ces litiges dont on pourrait penser qu’ils relèvent d’un autre siècle sont fréquents et la jurisprudence récente nous en donne de nombreux exemples et nous montre combien le port du nom d’usage reste une question éminemment sensible et centrale dans le cadre du divorce ;
- que si cette question encombre encore et toujours les tribunaux, c’est que notre société a échoué à redonner une fonction égalitaire au nom de famille de l’homme et de la femme.

Rappelons que cette pratique a pris sa source au 19ème siècle à travers la rédaction du code civil en 1804 qui consacrait l’incapacité juridique totale de la femme mariée.
En conséquence, la transmission du nom du mari n’est autre que la traduction de cette incapacité juridique et du pouvoir absolu du mari sur sa femme qui ne peut avoir d’autre identité que celle de son époux.

La puissance maritale a disparu mais la coutume perdure avec d’autres justifications qui peinent désormais à convaincre : elle se veut la preuve d’un lien d’amour alors qu’un mariage sur deux se termine par un divorce ; elle se veut la preuve d’une histoire commune alors que l’âge moyen des mariés dépasse allègrement la trentaine ; elle se veut la preuve d’une cohésion familiale alors qu’un enfant sur deux naît hors des liens du mariage et ne porte pas le même nom de famille que l’un de ses deux parents ; elle se veut la preuve de l’unité familiale alors qu’environ 10% des enfants vivent dans une famille recomposée et ne portent ni le nom du compagnon de leur parent, ni même le nom de leur propre parent (le plus souvent encore la mère) avec lequel ils cohabitent.

Cessons donc d’invoquer des prétextes surannés et posons-nous ces questions : pourquoi les hommes, dans leur immense majorité, ne conçoivent-ils pas de prendre un autre nom que le leur ou d’en accoler un autre ? Pourquoi les femmes non mariées ne se désolent-elles pas d’utiliser leur nom de famille ?

Lorsqu’une pratique coutumière perdure sans autre justification que celle de se rattacher à un lointain passé en totale opposition avec nos valeurs actuelles, le temps est venu de l’abandonner.

Mais que toutes les personnes mariées se rassurent, l’abrogation de l’article 225-1 du Code civil ne marquerait pas pour autant la fin de la reconnaissance officielle du statut matrimonial. Il est en effet primordial de conserver sur tous les documents d’identité la mention du lien matrimonial afin de faciliter les démarches administratives ainsi que celles liées à la vie quotidienne.

Mais plutôt que de mentionner sur les seules pièces d’identité des femmes : « Marie Durand épouse Dubois », tout document d’identité d’une personne mariée serait ainsi renseigné : « Marie Durand épouse de Jean Dubois » et « Jean Dubois époux de Marie Durand », en déclinant bien évidemment cette reconnaissance du mariage à tous les couples.

Un petit pas pour le législateur, un grand pas pour l’égalité Homme-Femme.

Karine Vartanian Professeure de Droit Rédactrice juridique

[1Article 311-21 al. 1 du Code civil : « Lorsque la filiation d’un enfant est établie à l’égard de ses deux parents au plus tard le jour de la déclaration de sa naissance ou par la suite mais simultanément, ces derniers choisissent le nom de famille qui lui est dévolu : soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux. En l’absence de déclaration conjointe à l’officier de l’état civil mentionnant le choix du nom de l’enfant, celui-ci prend le nom de celui de ses parents à l’égard duquel sa filiation est établie en premier lieu et le nom de son père si sa filiation est établie simultanément à l’égard de l’un et de l’autre. En cas de désaccord entre les parents, signalé par l’un d’eux à l’officier de l’état civil, au plus tard au jour de la déclaration de naissance ou après la naissance, lors de l’établissement simultané de la filiation, l’enfant prend leurs deux noms, dans la limite du premier nom de famille pour chacun d’eux, accolés selon l’ordre alphabétique ». Il convient de noter que le nom précédemment dévolu ou choisi pour un enfant commun vaut pour les autres enfants communs.

[2Il peut y avoir intérêt particulier à conserver l’usage du nom marital :
- afin de porter le même nom que les enfants issus du mariage, notamment lorsqu’ils sont mineurs ;
- eu égard à la reconnaissance professionnelle sous le seul nom de l’époux dans le cadre de l’exercice d’une profession artistique, commerciale ou libérale ;
- dans le but de faciliter l’intégration du conjoint dont le nom de famille est à consonance étrangère ;
- compte tenu de la durée du mariage.

[3Demande qui n’est d’ailleurs pas limitée dans le temps et si généralement elle est faite lors de la procédure de divorce, aucun texte n’interdit qu’elle puisse être introduite postérieurement.