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Précisions sur le principe de continuité avec l’urbanisation existante en zone de montagne. Par Manon Chevalier, Avocat.
Parution : mardi 18 mai 2021
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Règle de constructibilité dans le cadre de la « Loi Montagne » : l’urbanisation doit se réaliser en continuité avec les bourgs, villages, hameaux et les groupes de constructions traditionnelles ou d’habitations existants.

La loi n°85-30 du 9 janvier 1985 - dite « loi Montagne » - s’applique aux communes qui se distinguent par leur domaine montagneux (plus de 5 000 en tout, soit environ 1 commune sur 6), et vise à promouvoir un développement équitable et durable, devant être concilié avec la protection de territoires à enjeux contrastés.

Dans le cadre de cette politique, l’Etat s’est principalement engagé à prendre en compte les disparités démographiques, la diversité des territoires ou encore le changement climatique afin de soutenir l’économie locale et mettre en avant la richesse du patrimoine.

Cette loi, dont l’un des objectifs est de « veiller à la préservation du patrimoine naturel ainsi que de la qualité des espaces naturels et des paysages », a justifié l’introduction au sein du Code de l’urbanisme de règles spécifiquement applicables aux zones de montagne [1].

Parmi celles-ci, l’article L122-5 du Code de l’urbanisme dispose que :

« L’urbanisation est réalisée en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d’habitations existants, sous réserve de l’adaptation, du changement de destination, de la réfection ou de l’extension limitée des constructions existantes, ainsi que de la construction d’annexes, de taille limitée, à ces constructions, et de la réalisation d’installations ou d’équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées ».

L’interdiction des constructions isolées constitue ici un moyen de préserver le patrimoine naturel et culturel en luttant contre le « mitage » des constructions en montagne, lequel constitue une conséquence de l’étalement urbain incompatible avec la préservation de l’environnement, des terres agricoles ou la limitation des risques naturels.

En pratique, l’application de cet article impose d’identifier les supports de l’extension de l’urbanisation (1), puis de déterminer si l’emplacement de la construction projetée permet d’assurer la continuité entre cette construction et le bâti existant (2).

1. Les supports de l’urbanisation existante.

Le principe de continuité implique une urbanisation préalable constituée par des bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d’habitations existants.

Ces notions peuvent être définies par les auteurs du plan local d’urbanisme [2], dans le but d’assurer la sécurité juridique des autorisations de construire ainsi que l’effectivité du document de planification urbaine.

En l’absence de précisions sur ce point, l’urbanisation existante s’appréciera au regard des caractéristiques locales de l’habitat traditionnel, des constructions implantées et de l’existence de voies et réseaux. L’hétérogénéité des formes d’habitat présentes sur les différentes communes (notamment en termes de rapport de proximité entre les bâtiments) justifie l’absence de toute définition législative des supports considérés, au bénéfice d’une prise en compte, au cas par cas, des caractéristiques locales.

Comme à son habitude, le juge administratif a fortement contribué à la définition des notions supports en établissant certains critères devant servir de faisceau d’indices à la qualification de chacune de ces notions. Les principales décisions rendues sur ce point permettent ainsi d’affirmer que l’urbanisation existante peut être celle :
- du bourg - défini généralement comme un gros village - ou du village - conçu comme une agglomération en milieu rural, un chef-lieu ou un bourg principal - mais non comme un lieu-dit réunissant quelques constructions [3] ;
- d’un hameau, dont la qualification implique d’être en présence de plusieurs bâtiments suffisamment proches pour être regardés comme groupés [4] ;
- d’un groupe de constructions traditionnelles ou d’habitations, caractérisant « un groupe de plusieurs bâtiments qui, bien que ne constituant pas un hameau, se perçoivent, compte tenu de leur implantation les uns par rapport aux autres, notamment de la distance qui les sépare, de leurs caractéristiques et de la configuration particulière des lieux, comme appartenant à un même ensemble » [5].

Il s’agit donc d’apprécier si les bâtiments en cause se perçoivent comme appartenant à un même ensemble compte tenu de leur implantation les uns par rapport aux autres, notamment de la distance qui les sépare, de leurs caractéristiques et de la configuration particulière des lieux [6].

Quant à la notion de constructions « traditionnelles », au sens large et au-delà d’un sens strictement architectural, elle peut viser des constructions dont la destination n’est pas l’habitation, ce qui, en montagne, eu égard à la tradition économique locale, pourrait concerner des bergeries ou des étables, des granges, des fermes voire des bâtiments de « l’industrie » agricole (coopératives fromagères, laiteries…).

Il est certain qu’au fur et à mesure de l’évolution des textes, le juge administratif a pu assouplir son contrôle avec des interprétations parfois très souples de la notion d’urbanisation. L’urbanisation a ainsi pu être admise sur un espace situé à l’écart du bourg dès lors que « quelques bâtiments restent implantés sur le site après démolition d’anciennes installations d’une mine » [7].

Les décisions rendues nous apprennent que le juge fonde principalement son appréciation en évaluant les distances entre les bâtiments, la densité et la logique de l’urbanisation locale, les caractéristiques architecturales, l’emplacement des routes, mais aussi la qualité du sol et son usage, le tout étant arbitré par des considérations topographiques ou géographiques ou par la présence des équipements publics [8].

2. La notion de continuité.

La notion de continuité a été précisée par la loi n° 2016-1888 du 28 décembre 2016, qui a introduit au sein du Code de l’urbanisme un article L122-5-1 au titre duquel :

« Le principe de continuité s’apprécie au regard des caractéristiques locales de l’habitat traditionnel, des constructions implantées et de l’existence de voies et réseaux ».

En apparence, cette disposition n’est pas une totale nouveauté car la prise en compte des critères que sont les caractéristiques locales de l’habitat traditionnel, les constructions implantées et l’existence de voies et réseaux, existait déjà dans le Code de l’urbanisme depuis la loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003, mais seulement pour délimiter des hameaux et groupes de constructions traditionnelles ou d’habitations existants en continuité desquels le PLU ou la carte communale prévoit une extension de l’urbanisation, et pour interpréter les notions de hameaux et de groupes de constructions traditionnelles ou d’habitations existants lorsque la commune n’est pas dotée d’un PLU ou d’une carte communale.

Or, ces critères d’appréciation limitatifs ne sont dorénavant plus circonscrits à l’appréciation des points d’ancrage de l’urbanisation mais s’appliquent au principe de continuité dans son ensemble. Ils sont de manière constante utilisés par les juridictions administratives afin de contrôler concrètement la continuité des projets de constructions à l’urbanisation existante.

En pratique, la continuité peut être appréciée :

- En fonction de constructions situées sur le territoire d’une autre commune [9] ; la continuité est évaluée en observant la réalité physique de l’urbanisation, cette évaluation ne s’arrêtant pas à la frontière communale. Le Conseil d’État a jugé que «  … la cour, en appréciant la continuité de l’urbanisation au regard de la seule commune de Surba, au lieu de rechercher si les opérations prévues par le projet de zone d’activité s’inscrivaient, dans leur ensemble, dans la continuité de l’urbanisation existante, y compris sur le territoire d’autres communes, a commis une erreur de droit » [10] ;
- En fonction de l’orientation du développement d’un bourg [11] ;
- En considération des caractéristiques architecturales et des principes d’urbanisation retenus pour l’aménagement de la station (Arc 1800), constituée principalement d’un bâti espacé de grand volume [12] ;
- Au regard du prolongement d’un secteur déjà ouvert à l’urbanisation [13].

Quoi qu’il en soit, le juge considère de manière pragmatique « que pour déterminer si un projet de construction réalise une urbanisation en continuité par rapport à un tel groupe, il convient de rechercher si, par les modalités de son implantation, notamment en termes de distance par rapport aux constructions existantes, ce projet sera perçu comme s’insérant dans l’ensemble existant » [14]. L’urbanisation en continuité signifie donc que les constructions nouvelles doivent se situer dans le prolongement direct des zones bâties existantes sans que, visuellement, il y ait création d’un nouveau point d’urbanisation.

Le principe de l’extension de l’urbanisation en continuité avec l’urbanisation existante, dont l’objectif est de protéger l’environnement montagnard contre le mitage, n’est toutefois pas un principe absolu. Des dérogations sont tout à la fois prévues par l’article L122-5 précité du Code de l’urbanisme (adaptation, changement de destination, réfection ou extension limitée des constructions existantes, construction d’annexes de taille limitée à ces constructions, réalisation d’installations ou d’équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées) et, le cas échéant et sous réserve de la réalisation d’une étude de discontinuité soumise à la commission départementale compétente en matière de nature, de paysages et de sites, par les auteurs du plan local d’urbanisme.

En tout état de cause, la mise en place du principe et de ses exceptions trouve à s’appliquer sous le contrôle du juge administratif, chargé le cas échéant de veiller au respect des critères précédemment énoncés et, plus généralement, des objectifs fixés par le législateur.

Maître Manon Chevalier, Avocat au Barreau de Toulon

[1Voir articles L122-1 à L122-27 du Code de l’urbanisme.

[2Article L122-6 du Code de l’urbanisme.

[3CE, 14 déc. 1992, Cne Saint-Gervais-les-Bains : JurisData n° 1992-048471 ; Lebon T., p. 1361.

[4CE, 5 févr. 2001, n° 217796, secr. d’État au log. c/ Cne Saint-Gervais : JurisData n° 2001-062008 ; BJDU 2/2001, p. 74, concl. Touvet ; Constr.-Urb. 2000, comm. 152.

[5V. des cas concrets, CAA Lyon, 22 juin 2006, n° 05LY01465, préfet Haute-Savoie : JurisData n° 2006-311188. - CAA Lyon, 24 nov. 2009, n° 07LY02682, Cne Bonne. - CAA Lyon, 28 sept. 2010, n° 08LY02384.

[6CAA Lyon 22 juin 2006 n° 05LY01465 ; CAA Marseille 4 décembre 2012 n° 12MA01910.

[7TA Montpellier, 31 déc. 2009, n°070278, Assoc. défense riverains et protection environnement mines et usines.

[8DAU, La loi n° 85-30 relative au développement et à la protection de la montagne : Jurispr. adm. illustrée, éd. JO, juin 1993. - V. des analyses, J.-F. Moutte, L’appréciation par le juge administratif des rigueurs de la loi Montagne - J.-F. Joye, L’écriture du PLU de montagne, fiche 2 : Cah. Gridauh, 2012, n°23, p. 515. - N. Calderaro, Loi Littoral et loi Montagne, 12 ans de jurisprudence commentée : éd. EFE, 1998.

[9CE, 5 janv. 1994, Cribier.

[10CE, 30 oct. 2013, n° 356338, min. Int. : JurisData n° 2013-030739.

[11TA Grenoble, 23 mai 1990, Potkof : Jurispr. adm. illustrée, DAU, éd. JO 1993, p. 71.

[12TA Grenoble, 14 mai 2002, n°0003042, Abate : RD imm. 2003, p. 584, obs. P. Soler-Couteaux.

[13CE, 7 oct. 1998, n° 168165, Assoc. Aujourd’hui pour demain : JurisData n° 1998-050919. - CAA Lyon 10 juin 1997, n° 96LY00389, Cne Contamines-Montjoie : BJDU 5/1997, p. 459.

[14CAA Lyon, 24 nov. 2009, no 07LY02682, Commune de Bonne.

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