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Infractions sexuelles sur mineurs et inceste : Que change la loi du 21 avril 2021 ? Par Patrick Lingibé, Avocat.
Parution : mercredi 19 mai 2021
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Cet article traite de la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste.

La loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, publiée au Journal Officiel du 22 avril 2021, trouve son origine dans la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels déposée par la sénatrice Annick Billon [1].

Cette loi est née dans un contexte bien spécifique. En effet, de nombreuses polémiques ont animé les débats publics au cours de l’année précédente. Du livre Le Consentement de Vanessa Springora à La Familia Grande de Camille Kouchner, en passant par des affaires fortement médiatisées, les questions de violences sexuelles sur mineurs et d’inceste ont refait surface et enflammé l’opinion.

Le présent article se propose d’aborder le contenu de cette loi appelée à renforcer la protection des mineurs.

Une législation jusque-là insuffisante ?

Il faut savoir que depuis 1810, le Code pénal mentionne la capacité pour un mineur à donner son consentement dans le cadre d’attentat à sa pudeur. A partir des années 1950, ce seuil est fixé à 15 ans. Toutefois, ce palier de 15 ans, correspondant à la majorité sexuelle, ne s’entend pas comme un âge légal de non-consentement, mais comme une limite en-deçà de laquelle une relation sexuelle entre un majeur et un mineur est illicite. La notion d’attentat à la pudeur sera remplacée par la suite par les deux délits que nous connaissons aujourd’hui : d’une part, l’atteinte sexuelle et d’autre part, l’agression sexuelle. Les infractions sexuelles commises contre les mineurs sont prévues aux articles 227-21-1 du Code pénal à 227-28-3 du code pénal.

L’agression sexuelle sur mineur est un acte sexuel sans pénétration commis par violence, contrainte, menace ou surprise. La différence avec l’atteinte sexuelle se situe dans la notion de consentement. En effet, contrairement à l’agression sexuelle, l’absence de consentement de la victime n’a pas besoin d’être prouvée pour constituer l’infraction d’atteinte sexuelle.

Si l’acte sexuel est commis sans le consentement de la victime, les faits seront qualifiés d’agression sexuelle. Si l’acte sexuel n’implique pas de pénétration, on reste dans le cadre de ce délit. En revanche, s’il y a pénétration, il s’agit d’un viol et donc d’un crime.

La clé de la qualification réside donc dans la notion de consentement, qui n’est pas définie en tant que telle par la loi qui mentionne seulement l’absence de violence, de contrainte, de menace ou de surprise, ce qui rend la notion relativement floue. Deux affaires ont notamment révélé la difficulté de reconnaître l’absence de consentement à des relations sexuelles entre majeurs et mineurs. Tout d’abord, l’affaire de Sarah (décision du parquet de Pontoise du 26 septembre 2017). Le parquet retient ici la qualification d’atteinte sexuelle sur mineur de moins de 15 ans, considérant que Sarah a donné son consentement.

Cette décision se fonde sur les éléments caractérisant le viol et l’agression sexuelle : la contrainte, la violence, la menace ou la surprise ne sont pas démontrées. La seconde affaire est l’affaire dite Julie (Cass. crim., 17 mars 2021, n°20-86.318). La Cour a affirmé le caractère interprétatif et l’application immédiate et rétroactive des dispositions apportées par la loi Schiappa de 2018, à savoir la caractérisation de la contrainte morale et de la surprise par l’abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire. La Cour de cassation a déjà jugé par le passé que la contrainte pouvait venir d’un fait supprimant la liberté de choix de la victime, voire l’altérant à tel point que le comportement ne pouvait être considéré comme consenti (Cass. crim., 27 nov. 1996, n° 96-83.954). Elle a également repris la notion de discernement pour qualifier un viol dans l’arrêt Cass. crim., 11 juin 1992, n° 91-85.847. Toutefois dans l’affaire Julie, la Cour conclut que la Chambre d’Instruction, dans l’étendue de son pouvoir souverain d’appréciation, a pu estimer par des motifs « exempts d’insuffisance comme de contradiction » que la victime « disposait du discernement nécessaire pour les actes dénoncés auxquels elle a consenti ».

Il n’existe donc en France aucune loi fixant un âge légal de non-consentement. La jurisprudence s’est toutefois positionnée dans deux arrêts, fixant le seuil à 5 ans (Cass. crim. 7 déc. 2005, 05-81.316) puis 6 ans (Cass. crim. 5 déc. 2007). Cette nouvelle limite ne paraissant pas suffisante, des évolutions législatives ont été envisagées, mais rapidement freinées par le Conseil d’Etat et le Conseil Constitutionnel notamment dans une de ses décisions [2] où il rappelle qu’il « appartient aux juridictions d’apprécier si le mineur était en état de consentir à la relation sexuelle en cause ». Un projet de loi consistant à fixer un âge de non-consentement, entraînant la qualification d’agression sexuelle de toute relation sexuelle avec des mineurs en deçà de celui-ci, a également été abandonné en 2018, celui-ci étant potentiellement anticonstitutionnel.

Quelles sont les apports de la nouvelle loi ?

La création de nouvelles infractions.

La loi du 21 avril 2021 a créé quatre nouvelles infractions :

Le crime de viol sur mineur de moins de 15 ans.

Le crime de viol incestueux sur mineur de moins de 18 ans, punis toutes deux de 20 ans de réclusion criminelle.

Le délit d’agression sexuelle sur mineur de moins de 15 ans, modifiant l’article 222-22-2 du Code pénal en précisant que constitue également une agression sexuelle le fait « d’imposer à une personne, par violence, contrainte, menace ou surprise, le fait de subir une atteinte sexuelle de la part d’un tiers ou de procéder sur elle-même à une telle atteinte ».

Le délit d’agression sexuelle incestueuse sur mineur de moins de 18 ans.

Ces deux nouveaux délits sont punis de 10 ans d’emprisonnement et 150 000
euros d’amende.

La question de la violence, la contrainte, la menace ou la surprise dans le cadre du viol ou de l’agression sexuelle ne se pose plus ; les juges n’ont plus à établir cette situation.

Le législateur vient préciser la définition du viol en y intégrant les actes bucco-génitaux (article 222-23 du Code pénal). Il introduit la clause dite « Roméo et Juliette » afin de ne pas pénaliser les amours adolescentes lorsque le majeur et le mineur ont moins de cinq ans d’écart.

Toutefois, celle-ci elle ne s’applique pas pour les cas d’inceste, de non-consentement et de prostitution.

S’agissant des atteintes sexuelles sur mineur, les aggravations de peines des articles 227-26 1° et 227-27 1° du Code pénal sont désormais étendues à toute « personne majeure ayant sur la victime une autorité de fait ou de droit ». La peine d’emprisonnement prévue pour les atteintes sexuelles sur mineur de plus de 15 ans est portée à 5 ans, contre 3 ans auparavant.

Pour ce qui est de l’inceste, la question du consentement de l’enfant ne se pose plus non plus en dessous de l’âge de 15 ans ou 18 ans ; le mineur ne sera jamais consentant. La loi également étend le périmètre de l’inceste aux grands-oncles et grands-tantes (article 227-27-2-1 du Code pénal).

Une nouvelle prescription.

Une prescription dite glissante est aussi mise en place. La loi Schiappa avait déjà introduit en 2018 (voir notre article publié sur cette loi) (Voir Loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes : une avancée notable pour la défense des femmes et des mineurs) les nouveaux délais de 30 ans à compter de la majorité de la victime. La nouvelle loi dispose que le délai de prescription d’un viol, d’une agression sexuelle ou d’une atteinte sexuelle sur un mineur peut être prolongé si le même auteur viole ou agresse sexuellement un autre mineur jusqu’à la date de prescription de cette nouvelle infraction. La prescription peut être interrompue par un acte d’enquête, d’instruction, un jugement ou un arrêt concernant ce même auteur. Cela vaut pour toutes les procédures. Dans la même optique, la prescription pour le délit de non-dénonciation est portée à 10 ans à compter de la majorité de la victime en cas d’agression ou d’atteinte sexuelle et à 20 ans à partir de la majorité de la victime en cas de viol.

Prendre en compte dans les délits sexuels les moyens de communication électronique.

La nouvelle loi aborde la question de « sextorsion », c’est-à-dire « le fait pour un majeur d’inciter un mineur, par un moyen de communication électronique, à commettre tout acte de nature sexuelle, soit sur lui-même, soit sur ou avec un tiers, y compris si cette incitation n’est pas suivie d’effet ». Ce délit de corruption de mineur, encadré par l’article 227-22-2 du Code pénal, voit ses peines aggravées : 10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende lorsque les faits ont été commis à l’encontre d’un mineur de 15 ans et 10 ans d’emprisonnement et à 1 million d’euros d’amende lorsque les faits ont été commis en bande organisée.

La loi adapte également le délit d’extorsion d’images pornographiques aux mineurs, en créant l’article 227-23-1 du Code pénal incriminant « Le fait pour un majeur de solliciter auprès d’un mineur la diffusion ou la transmission d’images, vidéos ou représentations à caractère pornographique dudit mineur ». Les peines encourues sont calquées sur celles du délit de corruption de mineur.

La prostitution plus durement sanctionnée.

La prostitution est également visée. L’article 225-7-1 du Code pénal punit désormais de 20 ans de réclusion criminelle et de 3 000 000 euros d’amende le proxénétisme commis à l’égard d’un mineur de quinze ans. L’article 225-12-1 du Code pénal est également modifié ; ainsi le fait « d’accepter ou d’obtenir, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage, des relations de nature sexuelle de la part d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, lorsque cette personne est mineure » est désormais puni de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

Les peines sont portées à 10 ans d’emprisonnement et à 100 000 euros d’amende dans le cas d’un mineur de 15 ans lorsque l’infraction est commise de façon habituelle ou à l’égard de plusieurs personnes, la personne a été mise en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation d’un réseau de communication, les faits sont commis par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, l’auteur des faits a délibérément ou par imprudence mis la vie de la personne en danger ou a commis contre elle des violences (article 225-12-2 du Code pénal). Ces peines ne s’appliquent pas en cas de viol ou d’agression sexuelle.

La modification de la sanction du délit d’exhibition sexuel.

En matière d’exhibition, l’infraction est constituée si la réalisation explicite d’un acte sexuel ou un geste obscène est imposé à la vue d’autrui, dans un lieu accessible aux regards du public, et ce même en l’absence de partie dénudée (Article 222-32 du Code pénal). Si l’infraction est commise au préjudice d’un mineur de quinze ans, les peines sont portées à 2 ans d’emprisonnement et à 30 000 euros d’amende.

L’inscription systématique au FIJAISV et l’incitation au prononcé de peines complémentaires.

Les auteurs d’infractions sexuelles sur mineurs, quelles qu’elles soient, seront automatiquement inscrits dans le fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV). Les juridictions sont encouragées à prononcer des peines complémentaires comme l’interdiction d’exercer une activité bénévole ou professionnelle au contact d’enfants à titre définitif.

Enfin, la procédure applicable aux infractions de nature sexuelle et à la protection des mineurs victimes (article 706-47 du Code de procédure civile) est étendue aux tentatives d’atteinte sexuelle et au délit d’incitation à commettre un crime ou un délit à l’encontre d’un mineur.

Patrick Lingibé Membre du Conseil National des barreaux Ancien vice-président de la Conférence des bâtonniers de France Avocat associé Cabinet Jurisguyane Spécialiste en droit public Diplômé en droit routier Médiateur Professionnel Membre du réseau interprofessionnel Eurojuris Membre de l’Association des Juristes en Droit des Outre-Mer (AJDOM) www.jurisguyane.com

[1Proposition n°158 de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels https://www.senat.fr/leg/ppl20-158.pdf déposée par la sénatrice Annick Billon le 26 novembre 2020 à la présidence du Sénat.

[2Cons. const., 6 fév. 2015, M. Claude Agression sexuelle commise avec une contrainte morale, n° 2014-448 QPC https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2015/2014448QPC.htm#:~:text=6.,7.