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Le droit des chercheurs sur leurs créations scientifiques. Par Dalila Madjid, Avocat.
Parution : mercredi 19 mai 2021
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« La connaissance s’acquiert par l’expérience, tout le reste n’est que de l’information » Albert Einstein.
Les chercheurs, terme générique qui renvoie aux personnes qui se consacrent à la recherche scientifique, œuvrant dans la majorité des cas dans le cadre d’une mission de service public, peuvent s’interroger sur leurs droits et obligations qu’ils ont lorsqu’ils créent dans le cadre de leur activité scientifique.

Les recherches peuvent donner lieu à de nombreux types de protections, soit par le droit d’auteur ou le dépôt de brevet. Tout en sachant que la mission de service public a une influence sur leur création et leur statut d’auteur.

1- Le droit d’auteur des chercheurs.

1.1. Si des résultats scientifiques ne sont pas des œuvres de l’esprit, au sens du droit d’auteur, leurs communications, qui ont lieu sous forme d’écrits, de conférences, d’ouvrages ou de séminaires, peuvent, néanmoins, revêtir la qualité d’œuvres de l’esprit, à condition d’être originales.

L’article L111-1 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle reconnaît expressément aux agents publics « de l’Etat, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public à caractère administratif, d’une autorité administrative indépendante dotée de la personnalité morale ou de la Banque de France » un droit de propriété sur les œuvres qu’ils créent.

La création scientifique a pu être définie par le comité d’éthique du CNRS (Comets) comme : « le fait de développer de manière originale des idées, des méthodes ou des dispositifs, d’effectuer de nouvelles observations, de produire des résultats nouveaux ou inattendus, ou bien de contribuer à définir ou réorganiser un champ de recherches ».

L’article L131-3-1 du Code de la propriété intellectuelle mentionne que :

« Dans la mesure strictement nécessaire à l’accomplissement d’une mission de service public, le droit d’exploitation d’une œuvre créée par un agent de l’Etat dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions reçues est, dès la création, cédé de plein droit à l’Etat.

Pour l’exploitation commerciale de l’œuvre mentionnée au premier alinéa, l’Etat ne dispose envers l’agent auteur que d’un droit de préférence. Cette disposition n’est pas applicable dans le cas d’activités de recherche scientifique d’un établissement public à caractère scientifique et technologique ou d’un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, lorsque ces activités font l’objet d’un contrat avec une personne morale de droit privé ».

Le dernier alinéa de l’article L111-1 du CPI prévoit que :

« (…) Les dispositions des articles L121-7-1 et L131-3-1 à L131-3-3 ne s’appliquent pas aux agents auteurs d’œuvres dont la divulgation n’est soumise, en vertu de leur statut ou des règles qui régissent leurs fonctions, à aucun contrôle préalable de l’autorité hiérarchique ».

Ce régime spécifique vise notamment les professeurs d’universités, les enseignants-chercheurs, et plus généralement agents qui disposent dans leurs fonctions d’une grande autonomie intellectuelle, voire une indépendance de jugement, même si celle-ci s’inscrit dans une hiérarchie selon les débats parlementaires.

Ainsi, ces agents disposent de la plénitude de leurs droits d’auteur. Et en principe, aucune limite ne leur est infligée dans leur contrat.

1.2. Les chercheurs et enseignants-chercheurs relèvent en principe de la catégorie d’agents qui disposent de la plénitude de leurs droits.

En effet, l’article L123-9 du Code de l’éducation dispose qu’« à l’égard des enseignants-chercheurs, des enseignants et des chercheurs, les universités et les établissements d’enseignement supérieur doivent assurer les moyens d’exercer leur activité d’enseignement et de recherche dans les conditions d’indépendance et de sérénité indispensables à la réflexion et à la création intellectuelle ».

En outre, l’article L952-2 du Code de l’éducation prévoit que : « Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d’objectivité ».

1.3. Néanmoins, si les « écrits scientifiques » sont considérés comme de œuvres de l’esprit par les dispositions de l’article L112-2 du Code de la propriété intellectuelle, leur protection par le droit d’auteur n’est pas automatique et nécessite d’en caractériser l’originalité au sens du droit d’auteur, qui est un critère cardinal dans la qualification d’une œuvre de l’esprit.

Ainsi, « le contenu scientifique, le savoir scientifique est indifférent ; c’est la manière d’exposer le résultat d’en rendre compte qui importe » (Benoît Humblot, enseignant-chercheur).

Tout comme il a été jugé, qu’étaient dépourvues d’originalité « des définitions considérées comme l’expression exacte d’une réalité scientifique commune ».

En somme, et comme le précise certains, la rédaction d’un article scientifique doit relever plus de la mise en œuvre d’un savoir-faire que d’un acte de création. Il doit respecter des standards des revues académiques, il ne doit comporter « ni fantaisie, ni expression d’un style d’écriture ou d’une sensibilité personnelle ». « Dans cette adoption d’une écriture standardisée, l’auteur affirme sa conformité aux règles de conduite du groupe auquel il prétend appartenir : ses actions cadrent avec les règles » [1].

Ainsi, si une publication scientifique peut théoriquement être protégée par le droit d’auteur, dans la pratique cette protection n’est pas certaine.

En effet, « si Albert Einstein restera dans l’histoire comme le père de la théorie de la relativité, il n’aurait pu en revendiquer la propriété intellectuelle au sens juridique et commercial du terme » (Pierre le Hir).

Au final, dans le secteur de la recherche, le brevet demeure le principal dispositif d’encadrement de la propriété intellectuelle.

2. Les inventions des chercheurs.

2.1. « La recherche du chercheur n’est pas détachable de celle de l’organisme auquel il appartient » (Michel Vivant).

En effet, il ressort du Décret n°83-1260 du 30 décembre 1983 fixant les dispositions statutaires communes aux corps des fonctionnaires des établissements publics scientifiques et technologiques, et notamment à l’article 6 al. 1er modifié par Décret du 1er février 2002 : « Ils doivent la totalité de leur temps de service à la réalisation des différentes activités qu’implique l’exercice des missions définies à l’article 24 de la loi du 15 juillet 1982 ».

A l’instar du salarié du secteur privé, le chercheur du CNRS est dans un rapport de dépendance, il n’est ni maître de son travail ni du fruit découlant de celui-ci.

2.2. Aux termes de l’article L611-1 du Code de la propriété intellectuelle :

« Toute invention peut faire l’objet d’un titre de propriété industrielle délivré par le directeur de l’Institut national de la propriété industrielle qui confère à son titulaire ou à ses ayants cause un droit exclusif d’exploitation (...) ».

Le brevet est un titre qui confère au titulaire un droit exclusif d’exploitation d’une invention brevetable pour un territoire déterminé et pendant une durée déterminée, soit 20 ans à compter du jour du dépôt de la demande [2].

Ainsi, sont brevetables les inventions, suffisamment décrites, qui ne sont pas exclues de la brevetabilité et qui sont nouvelles, qui sont susceptibles d’application industrielle, excluant ainsi la découverte scientifique pure et enfin, impliquent une activité inventive, à savoir qui présente un progrès par rapport aux techniques en vigueur.

Sont exclues de la brevetabilité [3] :
- Les découvertes, théories scientifiques, méthodes mathématiques,
- Les créations esthétiques ; plans, principes et méthodes dans l’exercice d’activités intellectuelles ou dans le domaine des activités économiques ; règles de jeux,
- Les programmes d’ordinateurs,
- Les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique ou de diagnostic appliquées au corps humain ou animal,
- Les obtentions végétales, races animales et procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux,
- Les inventions contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs.

Et enfin l’invention ne doit pas être comprise dans l’état de la technique, à savoir tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande.

2.3. Titularité du droit :

Aux termes de l’article R611-12 du Code de la propriété intellectuelle :

« 1. Les inventions faites par le fonctionnaire ou l’agent public dans l’exécution soit des tâches comportant une mission inventive correspondant à ses attributions, soit d’études ou de recherches qui lui sont explicitement confiées appartiennent à la personne publique pour le compte de laquelle il effectue lesdites tâches, études ou recherches. Toutefois, si la personne publique décide de ne pas procéder à la valorisation de l’invention, le fonctionnaire ou agent public qui en est l’auteur peut disposer des droits patrimoniaux attachés à celle-ci, dans les conditions prévues par une convention conclue avec la personne publique.

2. Toutes les autres inventions appartiennent au fonctionnaire ou à l’agent.

Toutefois, la personne publique employeur a le droit, dans les conditions et délais fixés par la présente sous-section, de se faire attribuer tout ou partie des droits attachés au brevet protégeant l’invention lorsque celle-ci est faite par un fonctionnaire ou agent :
Soit dans le cours de l’exécution de ses fonctions ;
Soit dans le domaine des activités de l’organisme public concerné ;
Soit par la connaissance ou l’utilisation de techniques, de moyens spécifiques à cet organisme ou de données procurées par lui
 ».

2.4. Le chercheur-inventeur perçoit une rémunération supplémentaire qui est constituée par une prime d’intéressement aux produits tirés de l’invention par la personne publique qui en est bénéficiaire et par une prime au brevet d’invention [4].

La prime due correspond à 50% du produit HT des redevances perçues après déduction des frais, Plafond : 2e chevron hors échelle D, au-delà 25%.

Une décision avait été rendue par le Tribunal de grande instance de Paris, le 25 mars 2016 à propos de la prescription d’une prime d’intéressement d’un chercheur inventeur, agent public du CNRS.

Le Tribunal avait jugé les créances du chercheur prescrites en application de l’article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 qui prévoit que « sont prescrites, au profit de l’État, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre ans ».

Estimant qu’il n’avait pas eu connaissance de l’existence de sa créance, le chercheur a alors saisi la Cour d’appel de Paris qui toutefois confirme le jugement de première instance sur le même fondement [5].

Les juges du fond considèrent que la créance de l’inventeur envers le CNRS, au titre de la prime au brevet, est prescrite en l’espèce, le délai s’étant achevé antérieurement à la première réclamation de l’inventeur et à la date de saisine de la CNIS.

Selon les juges, l’inventeur ne justifie d’aucun document de nature à interrompre la prescription conformément à l’article 2 de la loi précitée. « En effet, pour être interruptive de prescription, la communication écrite de l’administration doit avoir trait au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance. Or, les documents versés aux débats sont relatifs à la propriété des brevets concernés, à leur utilisation ou encore aux dispositions réglementaires relatives à la prime au brevet d’invention des agents publics, mais ne concernent pas la créance personnelle de l’inventeur au sens de l’article R611-14-1 III du Code de la propriété intellectuelle. L’inventeur ne démontre pas qu’il peut être légitimement regardé comme ignorant l’existence de sa créance au jour de la saisine de la CNIS. En effet, les dispositions réglementaires relatives à la prime au brevet d’invention des agents publics ont été publiées au JO et mises en ligne par le CNRS antérieurement à cette saisine. En outre, il était informé du dépôt des demandes de brevets en cause en sa qualité d’unique inventeur ».

2.5. Par ailleurs, le statut spécial des inventions de salariés suppose précisément que l’inventeur soit dans les liens d’un contrat de travail.

L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation clôt un long contentieux opposant le CNRS à un de ses stagiaires en réaffirmant le domaine spécial du régime des inventions de salarié.

Le Dr Puech, avec un statut d’étudiant, effectuait un stage au sein d’un laboratoire ophtalmologie dépendant du CNRS. Aucune convention particulière ne liait le stagiaire du Centre de recherches, excepté un règlement interne que l’intéressé avait dû signer tardivement et qui prévoyait la simple affectation au CNRS de toute demande de brevet qui pourrait être déposée sur la base des travaux réalisés.

Au visa des articles L611-6 et L611-7 du Code de la propriété intellectuelle, la Cour de cassation casse l’arrêt des juges du fond, aux motifs que : « le droit au titre de propriété industrielle appartient à l’inventeur, et (...) les exceptions à ce principe ne résultent que de la loi avant de constater que le stagiaire n’était ni salarié du CNRS, ni agent public, ce dont il résultait que la propriété de son invention ne relevait d’aucune des exceptions limitativement prévues par la loi ».

Ledit règlement avait été signé par le stagiaire, après que l’invention ait été réalisée. Selon la Cour, l’établissement d’accueil n’est pas l’ayant droit de l’article L611-6 du Code de la propriété intellectuelle.

2.6. Sur la valorisation des inventions des chercheurs.

La valorisation de la recherche est la deuxième mission du CNRS, après la production des connaissances : « évaluer, effectuer ou faire effectuer toutes recherches présentant un intérêt pour l’avancement de la science ainsi que pour le progrès économique, social et culturel du pays (...) contribuer à l’application et à la valorisation des résultats de ces recherches » [6].

En 2019, le CNRS se situe à la 6e position des entreprises et établissements publiques français, principaux déposant des brevets à l’INPI (« Top 10 des déposants de brevet », Inpi.fr).

Ainsi, toute négociation avec un chercheur doit avoir l’aval de son organisme. En ce que le fonctionnaire est soumis à la fois à une obligation d’exclusivité et de désintéressement [7].

A défaut de quoi, le fonctionnaire peut être sanctionné pénalement sur le fondement de la prise illégale d’intérêts [8].

Les principales formes de valorisation de la recherche publiques peuvent se traduire par :
- La signature de contrats de recherche par le centre public de recherche avec les entreprises,
- L’exploitation des résultats de la recherche (dépôt de brevets et négociation de licence d’exploitation prévoyant une contrepartie financière),
- La mobilité des chercheurs,
- Et la création d’entreprise par les chercheurs eux-mêmes pour valoriser ses travaux (art. 25.1).

En effet, la loi dite « Recherche et Innovation » de 1999 permet aux enseignants-chercheurs, et pratiquement tous les fonctionnaires civils, de participer à la valorisation de leurs inventions, notamment en créant une entreprise et en donnant aux universités, au CNRS et aux laboratoires publics la possibilité de participer, plus facilement à des filiales et groupement.

En somme, si les chercheurs disposent de droits sur leurs créations, ceux-ci demeurent limités tant par leur qualité de chercheur, que par leur lien de rattachement avec l’établissement de recherche.

Dalila Madjid Avocat au Barreau de Paris [->dalila.madjid@avocat-dm.fr] https://dalilamadjid.blog http://www.avocat-dm.fr/

[1David Pontille, « L’écriture comme dispositif d’articulation entre terrain et recherche, Sciences Sociales et Humaines » (https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00261760/document

[2Art. L611-2 du CPI.

[3Art. L611-16 à L611-19 du CPI.

[4Art. R611-14-1 du Code de la propriété intellectuelle.

[5CA Paris, Pôle 5, ch. 2, 12 mai 2017, n° 16/13227.

[6Art. 14 loi du 15 juillet 1982 et art. 2 du décret 82-993 modifié par la loi 99-587 du 12 juil. 1999.

[7Art. 25 de la loi 99-587 du 12 juillet 1999.

[8Art. 432-12 et 13 du Code pénal.