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Concurrence déloyale par manquement à la réglementation : une action trop souvent négligée. Par Bertrand Pautrot et Lionel Henry, Avocats.
Parution : vendredi 21 mai 2021
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Rare est le cas dans la vie d’une entreprise où elle ne se sent pas défavorisée par rapport à un acteur économique concurrent, peu soucieux à ses yeux, du respect des règles garantissant une saine concurrence.

En pareille circonstance, l’agent lésé dispose d’une action relativement méconnue, lui permettant d’agir en justice à l’encontre de cet autre acteur économique afin de mettre un terme à cette distorsion de concurrence résultant de la violation de la réglementation en vigueur.

Il est aujourd’hui constant que le respect des contraintes réglementaires a nécessairement un coût humain et financier pour les entreprises. Cela est d’autant plus le cas dans un contexte où l’inflation législative et réglementaire est devenue un phénomène chronique dans notre pays. Or, l’auteur des pratiques litigieuses fait injustement l’économie de ces coûts induisant à son profit un « avantage concurrentiel indu » [1].

La jurisprudence considère depuis fort longtemps que la violation d’une disposition légale et/ou réglementaire par une entreprise est constitutive d’actes de concurrence déloyale par manquement à la loi à l’égard des autres acteurs économiques compte tenu du positionnement anormalement favorable que cette violation lui procure et de la distorsion de concurrence en résultant nécessairement [2].

Les motivations d’une telle jurisprudence ont d’ailleurs pu être énoncées par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt très motivé rendu en 2012 et approuvé par la Cour de cassation en 2014, rappelant que

« (…) la liberté du commerce suppose, en effet, que les entreprises exercent une concurrence par les mérites, s’interdisant tout procédé déloyal qui leur conférerait un avantage injustifié (…) » [3].

Il est important de relever contrairement à l’approche encore retenue par certains juges du fond, que le simple constat du manquement à la loi ou à la réglementation en vigueur suffit à caractériser un acte de concurrence déloyale sans démonstration supplémentaire portant notamment sur la recherche inopérante d’un effet négatif de la pratique critiquée sur le marché considéré [4].

Il est tout aussi constant que le succès d’une telle action ne nécessite pas non plus de caractériser une influence de la pratique critiquée sur le « comportement économique du consommateur », cette recherche n’étant requise qu’au titre des pratiques commerciales déloyales en raison de pratiques commerciales trompeuses au sens des articles L121-1 et suivants du Code de la consommation [5], laquelle doit être effectuée par le juge « au regard de l’incidence de la pratique » « sur la décision commerciale du consommateur moyen » et non « au regard de l’incidence de la pratique sur le marché concerné et le chiffre d’affaires » [6].

La Cour de cassation a d’ailleurs expressément rappelé cette forme d’« automaticité » entre le manquement à la réglementation et la caractérisation de la faute de concurrence déloyale dans un arrêt du 17 mars 2021 en considérant que tout manquement à la réglementation dans l’exercice d’une activité économique induit « nécessairement un avantage concurrentiel indu pour son auteur » [7].

Notons enfin que tout acte de concurrence déloyale cause, en lui-même, « nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral », la victime de telles pratiques n’ayant pas besoin de rapporter la preuve du principe du préjudice subi ni de son lien de causalité avec le manquement imputé, cette dernière bénéficiant d’une forme de présomption en ce domaine [8].

A ne pas négliger, cette action aura pour objet et pour effet de mettre un terme à toute rupture d’égalité dans la compétition économique.

Bertrand Pautrot et Lionel Henry Avocats au Barreau de Paris SELARL PAUTROT & HENRY [->avocats@pautrot-henry.com] www.pautrot-henry.com

[1Cass. com., 17 mars 2021, n° 19-10.414 ; Cass. com., 12 février 2020, n° 17-31.614.

[2Cass. com., 1er décembre 1987, n°86-14.164, publié au bulletin ; Cass. com., 9 avril 1991, n° 88-15.437 ; Cass. com., 18 octobre 1994, n°92-21.087, publié au bulletin ; Cass. com., 28 novembre 1995, n° 94-13.045 ; Cass. com., 1er avril 1997, n°94-22.129, publié au bulletin ; Cass. com., 8 juillet 1997, n°94-20.701 ; Cass. com., 3 mai 2000, n° 97-20.888, publié au bulletin ; Cass. com., 19 juin 2001, n° 99-15.411, publié au bulletin ; Cass. civ. 1re, 14 novembre 2001, n°98-19.033, publié au bulletin ; Cass. com., 12 mai 2004, n°02-16.623 ; Cass. com., 3 octobre 2006, n°04-11.741 ; Cass. com., 2 décembre 2008, n° 07-19.861 ; CA Bourges, ch. civ., 19 mars 2009, n° 08/01439 ; Cass. com., 9 mars 2010, n°08-16.752, publié au bulletin ; Cass. com., 28 septembre 2010, n°09-69.272 ; Cass. civ. 1re, 6 juillet 2011, n°10-20.588 ; CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 28 septembre 2011, n° 10/00389 ; CA Paris, pôle 5 - ch. 5, 20 oct. 2011, n° 08/23246 ; CA Paris, Pôle 5, chambre 4, 30 Mai 2012 – n° 10/13056, lexis nexis 360 ; Cass. com., 21 janvier 2014, n°12-25.443 ; CA Chambéry, 27 janv. 2015, n° 13/02626 ; Cass. com., 7 juillet 2015, n°14-19.304 ; Cass. com., 15 janvier 2020, n° 17-27.778, publié au bulletin ; Cass. com., 12 février 2020, n° 17-31.614, publié au bulletin ; Cass. com., 7 juillet 2020, n° 19-12.143 ; Cass. com., 30 septembre 2020, n° 19-12.145 ; Cass,com, 17 mars 2021, n° 19-10414.

[3Cour d’appel, Paris, Pôle 5, chambre 4, 30 Mai 2012, rg n° 10/13056, approuvé par : Cass. com., 21 janvier 2014, n° 12-25.443.

[4Cass. com., 21 janvier 2014, n°12-25.443 : la première branche du moyen du pourvoi rejeté, critiquait notamment la Cour d’appel en ce qu’elle avait retenu des actes de concurrence déloyale en énonçant « que l’inobservation d’une réglementation n’est constitutive d’un acte de concurrence déloyale que lorsqu’elle a pour effet de porter atteinte au marché ; que l’existence d’une telle atteinte ne peut être inférée du seul non-respect de la réglementation (…) » ; Cass. com., 7 juillet 2015, n°14-19.304 : la troisième branche du moyen unique du pourvoi qui n’était pas fondée, critiquait notamment la Cour d’appel en ce qu’elle avait retenu des actes de concurrence déloyale en énonçant « que la méconnaissance d’une disposition législative ou réglementaire qui n’a pas pour objet d’assurer la loyauté de la concurrence n’est pas, en elle-même, caractéristique d’un acte de concurrence déloyale (…) » ; CA Paris, Pôle 5, chambre 4, 30 mai 2012, rg n° 10/13056 ; Cass. com., 15 janvier 2020, n° 17-27.778, publié au bulletin ; Cass. com., 12 février 2020, n°17-31.614, publié au bulletin ; Cass. com., 17 mars 2021, n° 19-10.414.

[5Cass. com., 29 novembre 2011, n°10-27.402, publié au bulletin ; CA Paris, pôle 5, chambre 1, 19 septembre 2017, rg n° 16/05727, approuvé par Cass.com.12 février 2020, n° 17-31614, publié au bulletin ; Cass. com., 1er mars 2017, n°15-15.448, publié au bulletin ; Cass. com., 26 février 2013, n°12-12.203.

[6Cass. com., 8 juin 2017, n° 15-22.792.

[7Cass. com., 17 mars 2021, n° 19-10.414.

[8Cass. com., 22 octobre 1985, n°83-15.096 ; Cass. com., 9 février 1993, n°91-12.258, publié au bulletin ; Cass. com., 25 janvier 2000, n°97-19.809 ; Cass. com., 14 juin 2000, n°98-10.689 ; Cass. com., 19 juin 2001, n° 99-15.411, publié au bulletin ; Cass. com., 9 octobre 2001, n°99-16.512 ; Cass. com., 1er juillet 2003, n° 01-13.052 ; Cass. com., 12 décembre 2006, n°04-11.947 ; Cass. com., 27 mai 2008, n° 07-14.422 ; Cass. com., 2 décembre 2008, n°07-19.861 ; Cass, 1ère civ., 22 octobre 2009, n°08-19.499, publié au bulletin ; Cass. com., 28 septembre 2010, n°09-69.272 ; Cass. civ. 1re, 6 juillet 2011, n°10-20.588 ; Cass. com., 26 juin 2012, n°11-19.520 ; Cass. com., 11 janvier 2017, n° 15-18.669 ; Cass. civ. 1re, 21 mars 2018, n°17-14.582 ; Cass. 1ère civ., 10 avril 2019, n°18-13.612 ; Cass. com., 15 janvier 2020, n°17-27.778, publié au bulletin ; Cass. com., 12 février 2020, n° 17-31.614 ; Cass. com., 17 mars 2021, n° 19-10.414 ; Cass, com, 12 mai 2021, n° 19-17942.