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La loi du 30 juillet 2020 : la fin de l’accès libre aux sites pornographiques ? (partie 1). Par Simon Takoudju, Avocat et Justine Freslon, Etudiante.
Parution : samedi 22 mai 2021
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La loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales oblige désormais les sites pornographiques à renforcer les vérifications d’âge. Cette nouvelle disposition soulève des interrogations au regard de l’équilibre entre protection de l’intégrité morale des mineurs et protection de la vie privée des utilisateurs et de leurs données.

Au début du mois de mars 2021, la plateforme de films pornographiques Xnxx affichait pour son public français ce message sur sa page d’accueil : « Cher visiteur, il se peut que vous n’ayez plus accès à notre site dans moins d’un mois. », mais elle n’est pas la seule puisque 7 autres grands sites pornographiques sont dans la même situation.

La menace de fermeture de ces sites résulte d’une procédure créée par la loi (n° 2020-936) du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales. Cette loi a pour but de renforcer la protection des mineurs contre de tels contenus et oblige ainsi les sites à renforcer les vérifications d’âge de leurs visiteurs.

Cependant garantir la majorité des visiteurs des sites pornographiques n’est pas chose aisée car il est nécessaire de trouver un équilibre entre la protection de l’intégrité morale des mineurs et la protection de la vie privée des consommateurs de pornographie.

I) La protection de l’intégrité morale des mineurs.

A) La protection des mineurs dans l’espace numérique.

L’objectif de protection des mineurs dans l’espace numérique est l’un des trois objectifs cités par le Président de la République, le 20 novembre 2019 lors de son discours pour les trente ans de la Convention internationale des droits de l’enfant et de la Journée mondiale de l’enfance.

Il estime nécessaire de protéger les enfants face aux nouvelles menaces que présente Internet où ils peuvent avoir accès à des messages durs et des contenus qui ne sont pas faits pour eux. Il précise notamment qu’« en moyenne, on considère que dans notre pays c’est à 13 ans qu’on accède à la pornographie ».

Il explique ensuite que les pouvoirs publics disposent d’un droit d’ingérence au sein d’Internet concernant la protection des mineurs puisque « comme dans la société, on doit protéger nos enfants et ne pas considérer que le numérique est un espace où tout est permis ». Ainsi, Internet ne doit pas être perçu comme un espace sans ordre public.

Il annonçait alors que dès le début de l’année 2020 des mesures claires et fortes seraient prises afin de permettre aux parents de reprendre davantage la main sur l’utilisation du numérique par leurs enfants en prévoyant de façon automatique un contrôle parental par défaut.

Le 17 janvier 2020, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) et l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) ont signé le Protocole d’engagements pour la prévention de l’exposition des mineurs aux contenus pornographiques en ligne. Ce protocole a été signé avec au total 32 acteurs clés tels que des fournisseurs d’accès à Internet, des opérateurs mobiles, des moteurs de recherche, des éditeurs de contenus, des constructeurs de terminaux, des systèmes d’exploitation et des associations en charge de la protection de l’enfance.

Il est prévu le déploiement et la promotion d’outils de contrôle parental, comme l’avait annoncé le Président de la République, par le biais notamment d’un portail d’informations sur les systèmes de contrôle parental et d’en évaluer leur utilisation.

A ce titre, la plateforme « Je protège mon enfant de la pornographie » a été mise en ligne le 9 février 2021 à l’occasion de la Journée internationale pour un Internet plus sûr. L’objectif est de sensibiliser les parents à l’exposition des mineurs au contenu pornographique. Il y est expliqué comment mettre en place ces outils de contrôle parental et il y est également proposé des contenus éducatifs sur le thème de la sexualité pour libérer la parole dans le rapport parent-enfant.

B) L’infraction de fabrication, de transfert ou de diffusion de message à caractère violent ou pornographique à l’encontre d’un mineur.

Les actions à l’encontre de la protection des mineurs face à la pornographie ne se sont pas arrêtées au stade de la prévention puisqu’il a également été prévu la répression de l’exposition des mineurs à de tels contenus.

La loi du 30 juillet 2020 est venue ajouter un dernier alinéa à l’article 227-24 du Code pénal qui incrimine l’infraction de fabrication, de transfert ou de diffusion de message à caractère violent ou pornographique à l’encontre d’un mineur.

L’acte réprimé a pour but de préserver l’intégrité morale des mineurs face à la pornographie et empêcher le plus possible leur exposition à de tels contenus. Il est précisé que la caractérisation de l’infraction est indifférente au moyen ou au support utilisé. La commercialisation d’un tel contenu est également sanctionnée. Il s’agit d’une infraction formelle puisque l’infraction sera consommée à la seule condition que ce message soit susceptible d’être vu ou perçu par le mineur.

Cette infraction est sanctionnée par une peine de 3 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende pour les personnes physiques et de 375 000 euros d’amende pour les personnes morales comme des sites internet.

Le nouvel alinéa est spécifique aux sites pornographiques puisqu’il prévoit que l’infraction sera constituée y compris si l’accès d’un mineur aux contenus incriminés par l’article visé résulte d’une simple déclaration de celui-ci indiquant qu’il est âgé d’au moins dix-huit ans.

Les sites pornographiques utilisent classiquement ce type de déclaration puisque pour accéder au site, l’utilisateur doit seulement cliquer sur un bouton disant qu’il a plus de 18 ans pour confirmer sa majorité.

Ainsi, une telle disposition incite les sites pornographiques à renforcer leurs conditions d’accessibilité et d’intégrer des vérifications poussées sur l’âge de l’utilisateur.

C) Une procédure à l’initiative du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA).

Afin de garantir le respect de l’article 227-24 du Code pénal la loi du 30 juillet 2020 a mis en place dans son article 23 une procédure particulière applicable lorsqu’un site pornographique y contrevient.

Le CSA peut adresser à son encontre une mise en demeure enjoignant de prendre toute mesure de nature à empêcher l’accès des mineurs au contenu incriminé. Le destinataire a alors un délai de quinze jours pour présenter ses observations.

En cas d’inexécution de l’injonction et si le contenu est toujours accessible à des mineurs à l’expiration du délai, le Président du CSA peut saisir le Président du Tribunal judiciaire de Paris aux fins d’ordonner la fin de l’accès au service ou toute mesure destinée à faire cesser le référencement du service de communication en ligne par un moteur de recherche ou un annuaire.

Le CSA peut agir d’office, sur saisine du Ministère public ou de toute personne physique ou morale ayant intérêt à agir.

La première saisine du CSA a eu lieu le 27 novembre 2020, par l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open), soutenu par l’Union nationale des associations familiales (Unaf) et par le Conseil français des associations pour les droits de l’enfant (Cofrade) qui ont par courrier demandé au CSA de mettre en demeure plusieurs sites pornographiques ne respectant le texte de loi.

Suite à cette saisine, le CSA a ouvert une instruction début mars 2021 à l’encontre de huit sites pornographiques comprenant Pornhub, xhamster, Xnxx, xvidéos ainsi que Jacquie et Michel et plusieurs de ses antennes françaises.

Il a été enjoint à leurs éditeurs de produire leurs observations pour le 16 mars 2021. A la suite de ce délai, le CSA a indiqué qu’une décision serait prise dans les prochaines semaines mais à ce jour le Président du Tribunal Judiciaire n’a pas été saisi et la plupart des sites concernés sont toujours accessibles sans plus de vérification.

II) La protection de la vie privée des consommateurs de pornographie.

Les sites pornographiques sont tenus de prévoir des vérifications d’accès permettant d’assurer l’âge des utilisateurs s’ils veulent respecter la loi. Toutefois, cette dernière ne prévoit pas la façon dont ces sites doivent agir pour garantir cet objectif et il n’y a pas encore eu de décret d’application. C’est donc aux sites de déterminer eux-mêmes le type de dispositif qui permettrait d’être en conformité avec la législation.

La mise en pratique de la loi du 30 juillet 2020 apparait extrêmement difficile mais aussi dangereuse notamment au regard du respect du droit à la vie privée des utilisateurs.

A) Les vérifications d’âge envisagées.

Lorsque les différents sites pornographiques ont été mis en demeure, certains ont proposé un questionnaire à leurs utilisateurs français pour savoir quel type de vérifications ils préfèreraient.

Voici les différentes solutions proposées qui permettraient aux majeurs d’accéder aux sites pornographiques :
- Un identifiant venant d’un service public comme FranceConnect (dispositif garantissant l’identité d’un visiteur en s’appuyant sur des comptes existants pour lesquels son identité a déjà été vérifiée) ;
- Un identifiant fourni par le prestataire internet FAI (fournisseur d’accès Internet) ;
- Une vérification « zéro euro » (gratuite) par carte bancaire ;
- Un micro paiement par carte bancaire ;
- Un code sms par le biais du prestataire mobile qui sait si la personne est majeure ou non ;
- Un simple login fourni par le fournisseur Internet ;
- Une analyse du visage en webcam par une Intelligence Artificielle ;
- Une analyse du visage en webcam par une personne réelle ;
- Une présentation d’un document d’identité à une Intelligence Artificielle ;
- Une présentation d’un document d’identité par webcam à une personne réelle ;
- Un achat d’un pass dans un bureau de tabac ;
- Une demande en personne dans un établissement public.

Certains sites tel que Jacquie et Michel testent déjà des solutions permettant de déclarer son âge à l’entrée sur le site. Le site Jacquie et Michel a choisi le système My18pass qui consiste à faire vérifier un document d’identité ou la carte bancaire par un tiers de confiance. Néanmoins, le CSA ne s’est pas encore prononcé sur la validité de ce système.

My18pass n’est censé conserver ou transférer aucune donnée personnelle.

Toutefois, des doutes peuvent être émis vis-à-vis de la protection des données. Ce n’est pas le seul système de vérification qui pose ce problème en effet d’autres dans la liste ci-dessus sont concernés.

Le seul élément à vérifier est la majorité de la personne, or présenter son visage devant une webcam ou fournir une pièce d’identité renseigne sur bien plus d’informations que simplement l’âge de l’internaute ce qui ne semble pas justifié.

Internet est depuis sa création un espace de liberté et d’anonymat mais surtout un lieu où toute personne peut accéder au contenu qu’elle souhaite. Cette promesse d’anonymat est avantageuse pour les utilisateurs de pornographie qui ne souhaitent pas forcément que leur consommation soit exposée au grand jour.

Donner des informations personnelles et d’identité à un site signifie prendre le risque que ces informations soient révélées. La consommation de pornographie représente une donnée sensible qui doit être protégée au même titre que les mineurs. Les systèmes de vérifications installés se doivent d’être proportionnées au risque subi par les utilisateurs.

Les vérifications d’âge peuvent ainsi poser question au regard de la conformité à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme garantissant le droit à la vie privée mais également le règlement général sur la protection des données du 27 avril 2016.

Enfin, imposer des vérifications aussi poussées à l’accès aux sites pornographiques pourrait décourager de nombreux utilisateurs et mettre en péril l’avenir de l’industrie de la pornographie.

B) Les tentatives de filtrage par d’autres pays.

Par ailleurs, la France n’est pas le premier pays à tenter d’installer un filtrage des consommateurs de pornographie puisque le Royaume-Uni avait déjà essayé en vain d’en installer un.

Le pays avait voulu en 2017 imposer une vérification d’âge pour les visiteurs des sites pornographiques au sein de la troisième partie du Digital Economy Act. Il avait ainsi été intégrée une obligation pour les éditeurs de sites de vérifier la majorité sans pour autant préciser comment mettre en pratique la législation.

Finalement les législateurs britanniques se sont retrouvés face à une impasse lorsqu’il a fallu mettre en œuvre une solution technique satisfaisante. Il y a donc eu de nombreux reports dans son application effective. La mesure a alors été abandonnée en 2019.

A titre de comparaison, les Etats-Unis avaient adopté une mesure du même ordre dans les années 1990 mais celle-ci a été jugée contraire à la Constitution américaine ainsi qu’à la liberté d’expression.

Il existe plusieurs pays où les sites pornographiques sont totalement bloqués comme la Chine ou bien les Émirats Arabes Unis qui sont des pays où les libertés individuelles ne sont pas toutes garanties.

Au vu de l’abandon du blocage des sites pornographiques par certain pays, se pose la question de l’efficacité de cette mesure et de son intérêt.

Simon Takoudju, Avocat Barreau de Bordeaux CANOPIA AVOCATS mail: [->st@canopia-avocats.com] site web : https://www.stakoudju-avocat.fr
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