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Réflexions sur la création de la fiducie-prévention. Par Boubacar Sidikou, Docteur en Droit.
Parution : mardi 25 mai 2021
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Explications de la Fiducie-sûreté et des procédures collectives.

1. Introduite en droit français par la loi du 19 février 2007 [1], la fiducie-sûreté est, aux termes de l’article 2011 du Code civil

« l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires ».

Le créancier bénéficiaire de la fiducies-sûreté acquiert la propriété des biens donnés en fiducie dès lors qu’il n’est remboursé par le constituant. Au moment du dénouement de cette sûreté, le créancier devrait échapper au concours avec les autres créanciers du débiteur constituant [2].

2. Selon l’article 2018-1 du Code civil, la fiducie-sûreté peut être assortie d’une convention de mise à disposition au profit du constituant. En ce cas, si ce dernier est en procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, le bénéficiaire ne peut que déclarer sa créance [3]. Il ne peut, du fait de l’ouverture d’une de ces procédures, dénouer la fiducie-sûreté puisque la convention de mise à disposition est soumise au régime des contrats en cours, prévu par l’article L622-13 du Code de commerce [4]. De même, l’article L622-23-1 du Code de commerce s’oppose au deuxième transfert au profit du bénéficiaire. À ce stade, l’efficacité de la fiducie-sûreté est remise en cause même si, en liquidation judiciaire, selon l’article L641-11-1, IV du Code de commerce, le bénéficiaire peut résilier la convention de mise à disposition. Au constat de cette inefficacité, il serait possible d’envisager la création d’une fiducie-prévention dont la mise en œuvre serait efficace.

3. Il s’agit de prévoir la possibilité de réaliser une opération de fiducie en phase de mandat ad hoc ou de conciliation. Le constituant qui bénéficie de l’une de ces procédures va pouvoir établir un contrat de fiducie-sûreté avec un créancier. Ce contrat doit, d’une part, être assorti d’une convention de mise à disposition, ce qui rendrait ce type de fiducie-sûreté plus attrayant pour les débiteurs ; d’autre part, il doit prévoir que, en cas d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire du constituant, le créancier pourra demander le dénouement de la fiducie-sûreté, ce qui mettra fin à l’inefficacité de cette sûreté pendant cette procédure. En outre, le créancier qui désire bénéficier d’une telle sûreté doit consentir un nouveau crédit au débiteur constituant qui est en mandat ad hoc ou conciliation, dans les mêmes conditions que l’article L611-11 du Code de commerce.

4. Le créancier bénéficiaire de la fiducie-prévention devrait pouvoir jouir de la protection prévue par l’alinéa 2 de l’article L631-8 du Code de commerce [5]. Selon ce texte, sauf cas de fraude, la cessation des paiements ne peut être reportée à une date antérieure à la décision définitive ayant homologué un accord amiable en application du II de l’article L611-8 du Code de commerce. A l’instar du créancier titulaire du privilège de conciliation, le créancier bénéficiaire de la fiducie-prévention aurait tout intérêt à conditionner son soutien financier par l’homologation de l’accord de conciliation.

5. De même, le créancier bénéficiaire de la fiducie-prévention ne devrait pas subir l’effet de la majorité lors du vote des plans en présence des comités de créanciers puisque l’article L626-30-2, alinéa 4 du Code de commerce dispose déjà que « Pour les créanciers bénéficiaires d’une fiducie constituée à titre de garantie par le débiteur, sont seuls pris en compte les montants de leurs créances non assorties d’une telle sûreté » [6].

6. L’ouverture subséquente d’une procédure de sauvegarde conduirait à se poser la question de savoir si le créancier-bénéficiaire de la fiducie-prévention devrait déclarer sa créance. Afin de répondre à cette question, il faut peut-être se référer au cas du créancier bénéficiaire d’une fiducie-sûreté. Ce dernier doit, selon des auteurs [7], déclarer sa créance compte tenu du caractère accessoire de la fiducie-sûreté. D’autres auteurs [8] soutiennent le contraire en mettant en avant la situation d’exclusivité qu’offre cette sûreté. Certains ont émis une opinion intermédiaire [9], ils estiment que la déclaration des créances s’impose au créancier-bénéficiaire dès lors que les biens donnés en fiducie se trouvent, au jour du jugement d’ouverture, dans le patrimoine du débiteur constituant. C’est-à-dire en présence d’une convention de mise à disposition. Cette opinion intermédiaire cadre avec la situation du créancier bénéficiaire d’une fiducie-prévention. Il faut inférer qu’en cas d’ouverture ultérieure d’une procédure de sauvegarde au profit du débiteur constitution, ce créancier devrait déclarer sa créance.

Enfin, il convient de souligner que la création de la fiducie-prévention risquerait de faire de l’ombre au privilège de la conciliation.

SEYNI SIDIKOU Boubacar, Docteur en droit privé.

[1Loi n°2007-211 du 19 février 2007, JORF du 21 février, p. 3052 ; F. BARRIERE, « La fiducie : commentaire de la loi n°2007-211 du 19 février 2007 », BJS, 1er avril. 2007, n°4, p. 440 ; G. BELLARGENT, « L’introduction de la fiducie en droit français par la loi du 19 février 2007 », Rev. Éco. Publique, novembre 2007, n°647, ét. 3.

[2S. FARHI, « Les Sûretés permettant d’échapper à la règle de l’arrêt des voies d’exécution », in mesures d’exécution et procédures collectives, éd., Bruylant, 2012, p. 199 ; M. BOURASSIN, V. BREMOND, Droit des sûretés, 6e éd., SIREY. 2018., p. 499.

[3S. FARHI, « La fiducie-sûreté et le droit des entreprises en difficulté », Gaz. Pal. 16 janvier. 2018, n° 311d5, p. 81 ; P-M. LE CORRE, Droit et pratique des procédures collectives, 10e éd., Dalloz, 2019-2020, p. 2197.

[4M-C. LASSERE, « La paralysie de la fiducie-sûreté », LPA, 11 février. 2011, n° PA201103001, p. 3.

[5T. DORLEAC, « Le banquier et la nouvelle loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 », LPA 22 septembre 2006, n° 190, p. 7.

[6L. AYNES, P. CROCQ, Droit des sûretés, 13e éd., LGDJ, 2019, p. 488 ; N. BORGA, « Le sort des propriétaires de biens », BJE 01 novembre 2019, n° 06, p. 57.

[7F. PEROCHON, « A propos de la réforme de la liquidation judiciaire par l’ordonnance du 18 décembre 2008 », Gaz. Pal. 10 mars 2009, n° GP20090310001, p. 3 ; G. BERTHELOT, « Le traitement de la fiducie-sûreté dans la nouvelle ordonnance sur les procédures collectives », Dr et patr , octobre 2009, n°185, p.89 et s.

[8R. DAMMANN, G. PODEUR, « Fiducie-sûreté et droit des procédures collectives : évolution ou révolution ? », D. 2007. 1359, sp. 1361 ; N. BORGA, « Regards sur les sûretés dans l’ordonnance du 18 décembre 2008 », RD banc. Mai-juin 2009, n°20, p.9.

[9S. FARHI, « La fiducie-sûreté et le droit des entreprises en difficulté », art. préc ; P-M. LE CORRE, Droit et pratique des procédures collectives, 10e éd., op. cit., p. 2197.