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Assure-toi et la garantie dommages-ouvrage préfinancera (épisode 2). Par Aurore Lafaye, Avocate.
Parution : mercredi 26 mai 2021
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Reposant sur un système à double détente, ce système de préfinancement privilégie la réparation des désordres par l’assureur dommages ouvrage à la recherche de responsabilités qui n’intervient que dans un second temps.

Ce second épisode [1], vous explique son fonctionnement, son déroulement au cours de la période décennale comme sa mise en œuvre avant réception en cas de défaillance des constructeurs – hypothèse récemment illustrée par la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation par un arrêt du 1er avril 2021 (n°19-16.179), outre les réflexes à avoir lors de sa mise en œuvre.

Par qui peut-elle être mise en œuvre ?

Cette assurance se transmet automatiquement aux acquéreurs successifs de l’ouvrage ou à ceux qui sont subrogés dans leurs droits.

Elle doit être mise en œuvre par le propriétaire de l’ouvrage assuré – et non par celui qui l’a vendu – au jour où survient le sinistre.

Par exemple, en matière de crédit-bail, seul le crédit-bailleur, en sa qualité de propriétaire, peut actionner la garantie à moins que le preneur ait préfinancé les travaux de construction, et selon les clauses prévues aux termes du bail.

L’exploitant du fonds de commerce n’a pas davantage la qualité de propriétaire de l’immeuble. Il n’a donc pas qualité pour déclarer un sinistre auprès de l’assureur dommages ouvrage.

Quand est-elle mise en œuvre ?

Le propriétaire de l’ouvrage assuré dispose d’un délai de 2 ans – dans les 10 ans suivant la réception des travaux – après la survenance du sinistre pour le déclarer auprès de son assureur. Il dispose donc d’un délai maximal de 12 ans pour déclarer un sinistre auprès de l’assureur dommages-ouvrage. Il convient néanmoins que le dommage soit effectivement apparu dans les dix ans de la réception.

Toutefois, l’inertie de l’assuré dans la déclaration de sinistre auprès de son assureur peut lui être reprochée et sanctionnée. En effet, une déclaration de sinistre qui interviendrait tardivement, soit après l’expiration du délai décennal, ne doit pas avoir pour effet de priver l’assureur dommages-ouvrage d’exercer ses recours à l’encontre des constructeurs [2].

Dans ces conditions, l’assureur peut valablement opposer un refus de garantie fondé sur le caractère tardif des déclarations effectuées après l’expiration du délai décennal.

La décharge ne sera, à la lecture de la jurisprudence, pas automatique et le caractère tardif de la déclaration sera apprécié au cas par cas.

a. En cas de sinistre avant la réception.

Le maître d’ouvrage doit avoir mis en demeure l’entrepreneur d’exécuter ses obligations, et avoir résilié le marché pour défaillance de l’entrepreneur (ou à la suite de sa liquidation judiciaire) avant la réception de l’ouvrage.

Dans le cadre d’une vente d’immeuble à construire, seul le vendeur en l’état futur d’achèvement a qualité pour déclarer le sinistre survenu avant la réception et percevoir l’indemnité d’assurance.

Seuls les désordres décennaux survenant avec la réception seront couverts.

b. En cas de sinistre après la réception.

La réception est le point de départ de la garantie.

Sont garantis par la police dommages ouvrage

Les dommages réservés à la réception, qui présente la gravité requise pour l’application de la responsabilité décennale, et pour lesquels l’entrepreneur a été mis en demeure d’intervenir pendant le délai de garantie de parfait achèvement [3] ;
En effet, l’assurance dommages ouvrage a vocation, pendant le délai de parfait achèvement, après mise en demeure restée infructueuse, à garantir les dommages réservés à la réception qui sont de nature à engager la responsabilité de plein droit des constructeurs.

La jurisprudence a posé le principe selon lequel l’assuré a l’obligation d’adresser à son assureur copie de la mise en demeure qu’il aura adressée au constructeur défaillant.

Ainsi, selon la Cour de cassation :

« En cas de réception, la garantie de l’assurance dommages ouvrage est subordonnée à la seule condition de la mise en demeure de procéder au parfait achèvement de l’ouvrage, sans qu’il soit nécessaire d’attendre la résiliation du marché » [4].

Les dommages survenus postérieurement à la réception, durant le délai de la garantie de parfait achèvement, lorsque l’entrepreneur mis en demeure de reprendre les désordres de nature décennale n’a pas exécuté ses obligations.
Une procédure à 4 quatre temps fondée sur l’expertise parajudiciaire

1er temps : la déclaration de sinistre.
Le propriétaire de l’ouvrage doit adresser à l’assureur une déclaration de sinistre par écrit, soit contre récépissé, soit par lettre recommandée avec avis de réception, dont la régularité sera appréciée strictement par l’assureur, puisque son contenu est désormais réglementé.

Ce préalable est obligatoire et d’ordre public, de sorte que toute action engagée contre l’assureur dommages ouvrage en l’absence d’une telle déclaration est irrecevable selon une jurisprudence constante.

A titre d’exemple, une assignation en référé expertise ne vaut pas déclaration de sinistre.

En vertu de l’article L.242-1 et surtout l’annexe II de l’article A243-1 du Code des assurances, la déclaration de sinistre doit comporter obligatoirement et au minimum les renseignements suivants :
- Le numéro du contrat et, le cas échéant, celui de l’avenant ;
- Le nom du propriétaire de la construction endommagée ;
- L’adresse de la construction endommagée ;
- La date de réception ou, à défaut, la date de la première occupation des locaux ;
- La date d’apparition des dommages ainsi que leur description et localisation ;
Si la déclaration survient pendant la période de parfait achèvement, la copie de la mise en demeure effectuée au titre de la garantie de parfait achèvement.
A défaut, elle n’est pas réputée constituée et ne permettra pas de faire courir les délais impartis à l’assureur.

L’assureur dommages-ouvrage doit, dans un délai de 10 ans suivant la réception de la déclaration de sinistre, solliciter auprès de l’assuré tout renseignement manquant.

Enfin, il convient de préciser que le sinistre peut être déclaré par l’avocat du propriétaire.

2ème temps : La désignation d’un expert par l’assureur.
Lorsque l’assureur évalue, au vu des éléments contenus dans la déclaration de sinistre, que le montant du dommage est inférieur à 1 800 €, il n’est pas tenu de recourir à une expertise.

Dans ce cas, l’assureur dommages-ouvrage doit faire une proposition d’indemnité dans les 15 jours de la déclaration de sinistre.

En dehors de cette hypothèse, l’expert désigné devra se prononcer sur la gravité du sinistre au vu de ses premières constatations aux termes d’un rapport préliminaire qu’il remet à l’assureur qui l’a mandaté.

Cette expertise sera opposable aux personnes responsables et à leurs assureurs de responsabilité à condition qu’ils aient été consultés pour avis par l’expert, chaque fois qu’il l’estime utile, et avant le dépôt du rapport. Ces derniers doivent en outre être systématiquement informés par l’expert du déroulement des différentes phases du constat des dommages et du règlement des indemnités.

En revanche, ces opérations ne sont pas opposables aux sous-traitants et à ses assureurs en responsabilité, en l’absence de lien contractuel avec le maître d’ouvrage [5].

3ème temps : La décision de l’assureur.
Rapport préliminaire
L’assureur doit faire connaître sa position à l’assuré quant au principe de la mise en jeu des garanties dans un délai de 60 jours courant à compter du lendemain de la réception de la déclaration de sinistre.

A cette occasion, il doit faire savoir s’il accepte ou non le principe de sa garantie en avançant des motifs d’ordre matériel ou technique, voire juridique (prescription), et indiquer et estimer, le cas échéant, les mesures conservatoires propres à éviter l’aggravation du sinistre.

Dès l’expiration du délai de 60 jours, la garantie de l’assureur est automatiquement acquise pour les seuls dommages matériels visés dans la déclaration de sinistre.

En cas de dépassement des délais légaux précités, l’assureur ne peut plus contester le caractère décennal des désordres ni solliciter une expertise, ou encore opposer la nullité du contrat ou une prescription. Il sera en outre tenu de verser une indemnité majorée à ce titre.

Ces sanctions sont limitativement énumérées à l’article L.242-1 du Code des assurances.

Le rapport définitif d’expertise
Lorsqu’il accepte la mise en jeu de sa garantie, l’assureur doit formuler une offre indemnitaire dans un délai de 90 jours suivant la déclaration de sinistre, sur la base du rapport d’expertise définitif de l’expert, décrivant et chiffrant les moyens de remédier au sinistre. A cet égard, l’expert mandaté est investi de la mission de la maîtrise d’œuvre de conception des travaux de reprise pérennes (dont la charge financière incombe à l’assureur).

Le plus souvent, cette proposition sera provisionnelle en l’absence de chiffrage et de ventilation entre les différents postes de dépenses retenus définitivement arrêtés.

En cas de refus de garantie par l’assureur dommages-ouvrage.
Si l’assuré conteste la position de non-garantie prise par l’assureur dommages ouvrage, ce n’est qu’après épuisement de la procédure d’expertise amiable contractuelle (et donc à l’expiration du délai de 60 ou 90 jours sauf prorogation) que l’assuré pourra saisir le juge des référés pour obtenir la désignation d’un expert judiciaire.

L’assuré pourra engager les travaux et dépenses nécessaires à la réparation des dommages (sur la base de sa propre estimation) lorsque l’assureur n’a pas respecté les délais légaux ou si la proposition de l’assureur est manifestement insuffisante.

S’il entend obtenir le préfinancement immédiat de l’assureur, il pourra recourir à la procédure de référé-provision.

Le défaut ou le retard de mise en œuvre de l’assureur n’exonèrent pas, même partiellement, les constructeurs impliqués ou leurs sous-traitants.

Enfin, l’assuré n’est pas tenu de mettre en œuvre la garantie dommages ouvrage préalablement à la mise en cause des locateurs d’ouvrage [6].

4ème et dernier temps : La décision de l’assuré et le versement de l’indemnité.
L’assuré n’est tenu par aucun délai pour refuser la proposition chiffrée de l’assureur.

En revanche, l’assureur doit, dans le délai de 15 jours suivant ce refus, verser les ¾ de la somme proposée.

En cas d’acceptation par l’assuré de l’offre qui lui a été faite, le règlement de l’indemnité doit intervenir dans un délai de 15 ans jours.

Comme évoqué précédemment, l’indemnité versée doit être utilisée à la remise en état effective de l’immeuble. En effet, la Cour de cassation impose désormais que l’indemnité d’assurance soit utilisée à la réparation du dommage.

Qui bénéficie de l’indemnité ?

L’assurance dommages-ouvrage est attachée à l’immeuble. Elle se transmet donc aux acquéreurs successifs de l’immeuble.

Ainsi, et sauf clause contraire, l’indemnité due au titre du sinistre revient à l’acquéreur du bien, même si le sinistre est survenu avant la vente de l’ouvrage [7].

Le vendeur après achèvement a la qualité de subrogé dans les droits de l’actuel propriétaire s’il a pris en charge les réparations après la vente.

Le débiteur de l’indemnité.

L’assureur dommages ouvrage n’est pas tenu de supporter définitivement la charge de l’indemnisation. Après indemnisation, il peut donc se retourner contre les constructeurs responsables et leurs assureurs de responsabilité.

Ainsi, et une fois l’indemnité versée à l’assuré, l’assureur dommages-ouvrage exerce ses recours.

Cette exigence de paiement doit être remplie au jour où le juge statue [8].

La jurisprudence l’a rappelé une nouvelle fois dans un arrêt du 5 novembre 2020 [9].

Le paiement peut même intervenir après la forclusion de la garantie décennale.

Recommandations :

Les bons réflexes à avoir en cas de sinistre sont multiples :
- mettre en demeure l’entreprise d’intervenir afin de remédier aux dommages ; - déclarer son sinistre dans un délai raisonnable après sa survenance et veiller à sa régularité afin de faire courir les délais impartis à l’assureur dommages ouvrage ;
- mettre en œuvre la procédure d’expertise amiable préalable avant toute action à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage.

Aurore Lafaye, Avocat. BJA Avocats

[2Cass., 3ème Civ., 8 fév. 2018, n°17-10.010.

[3Pour une illustration récente : Cass., 3ème, 1er avril 2021, n°19-16.179.

[4Civ. 3e, 18 décembre 2002, n°01-12667.

[5Cass., 3ème Civ., 14 nov. 2001, n°00-11.037.

[6Cass., 3ème Civ., 29 mars 2000, n°98-19.744.

[7Cass., 3ème Civ., 7 mars 2019, n°18-10.973.

[8Cass., 3ème Civ., 3 mars 2010, n°98-19.505.

[9Cass., 3ème Civ., 5 nov. 2000, n°19-18.284.