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Troubles anormaux de voisinage : faudra-t-il concilier ou médier avant de saisir le Juge ? Par Christophe Courtau, Juriste.
Parution : vendredi 28 mai 2021
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Oui, c’est ce que prévoit le projet de loi pour la confiance en l’institution judiciaire n°4091 [1] adopté en première lecture par l’assemblée nationale, le 25 mai 2021 et transmis au sénat, le 26 mai 2021.

Il s’agit d’un projet de loi « fourre-tout » ou « couteau suisse » comportant des dispositions de nature différente notamment la généralisation des cours criminelles départementales sans jury populaire, l’autorisation des procès filmés mais aussi étendant aux troubles anormaux de voisinage, le recours obligatoire à un mode de règlement amiable préalablement à la saisine du tribunal judiciaire.

Cette dernière disposition a été présentée par Mme Rossi, Mme Dubré-Chirat, Mme Thourot et M. Eliaou en commission des lois par voie d’amendement n° CL387 [2] proposant un article additionnel après l’article 29 du projet de loi et rédigé comme suit :

« Au premier alinéa de l’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, les mots : "ou est relative à un conflit" sont remplacés par les mots : "est relative à un conflit de voisinage ou à un trouble anormal" ».

Cet amendement a été adopté en première lecture et inséré à l’article 29 ter de ce projet de loi et si ce texte est définitivement adopté par l’assemblée nationale, l’obligation de concilier, médier ou tenter une procédure participative avant la saisine du juge, ne s’appliquera plus uniquement à certains conflits de voisinage mais aussi aux troubles anormaux de voisinage.

Cette réforme appelle plusieurs précisions et interrogations : Quelles en sont les motivations et que recouvre la notion de troubles anormaux de voisinage ? Quels seront les critères de choix du mode amiable par le justiciable ? Enfin, quelles sont les limites de cette mesure ?

1/ La notion de conflit de voisinage ne recouvre pas la notion de trouble anormal de voisinage.

L’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle modifié par l’article 3 II de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 dispose :

« Lorsque la demande tend au paiement d’une somme n’excédant pas un certain montant ou est relative à un conflit de voisinage, la saisine du tribunal de grande instance (NDLR au 1er janvier 2020 le Tribunal judiciaire) doit, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation... ou d’une tentative de procédure participative... ».

Le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 [3] vient préciser quels sont les litiges soumis à cette obligation préalable de règlement amiable : litiges d’un montant n’excédant pas 5 000 euros et certains conflits de voisinage notamment l’action en bornage, les actions relatives à la distance prescrite par la loi, les règlements particuliers et l’usage des lieux pour les plantations ou l’élagage d’arbres ou de haies.

Les troubles anormaux de voisinage n’étant pas visés expressément par cette obligation préalable obligatoire de tentative de règlement amiable, les auteurs de l’amendement ont souhaité les soumettre à celle ci au motif [4] « qu’il s’agit de litiges qui se prêtent naturellement à une tentative de rapprochement amiable ».

Certes, ce sont des litiges à forte dimension relationnelle et émotionnelle mais il s’agit aussi par cette mesure, de décharger le rôle des juridictions de ce type de conflits « dévoreurs de temps » et difficiles à apaiser par un jugement. Et il ne faudrait pas sous estimer le cadre juridique de certains de ces troubles notamment en matière de nuisances sonores soumises à une législation de plus en plus complexe qui doit-être respectée.

Mais que recouvre la notion de trouble anormal de voisinage ? Elle est issue d’une construction jurisprudentielle fondée sur les anciens articles 544 et 1382 du Code civil, visant à sanctionner des nuisances excessives de la vie quotidienne (bruit, fumée, feuilles mortes…) c’est-à-dire dépassant les nuisances normales inhérentes à la vie quotidienne, par l’octroi de dommages et intérêts à la victime y compris en l’absence de faute de la part de l’auteur du trouble anormal.

2/ Les critères de choix entre conciliation, médiation ou procédure participative.

Comment la victime présumée d’un conflit ou d’un trouble anormal de voisinage va t-elle choisir entre la conciliation par un conciliateur de justice, la médiation par un médiateur ou la procédure participative par un avocat ? Selon 2 critères, le coût du recours à chacun de ces 3 modes de règlement amiable et le rôle du tiers intervenant.

- Sur le coût du mode de règlement amiable : un accès gratuit ou payant :

Pour la conciliation conduite par un conciliateur de justice, son accès est gratuit car le conciliateur est intégré au service public de la justice dont l’accès est gratuit.

Pour la médiation conduite par un médiateur, son accès est payant pour ce type de litige mais les associations de médiation agrées pratiquent des tarifs tenant compte des ressources des parties en litige.

Enfin, pour la procédure participative conduite par un avocat (articles 2062 à 2068 du Code civil et 1542 à 1567 du Code de procédure civile), chacune des parties devra lui verser des honoraires dont le montant est fixé librement par l’avocat et son client. Cette procédure est éligible à l’aide juridictionnelle totale ou partielle sous condition de ressources de la partie qui en fait la demande.

- Sur le rôle du tiers intervenant : négociateur actif ou médiateur facilitateur neutre :

S’agissant du conciliateur ou du médiateur, la loi n’est pas d’un grand secours puisque l’article 1530 du Code de Procédure Civile issu du décret n°2012-66 du 20 janvier 2012 - art. 2, donne une définition identique et très souple à la médiation et à la conciliation conventionnelles :

« La médiation et la conciliation conventionnelles régies par le présent titre s’entendent… de tout processus structuré, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord, en dehors de toute procédure judiciaire en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers choisi par elles qui accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence ».

Aucune précision sur la nature du rôle du conciliateur ou du médiateur n’est apportée par la loi.

S’agissant de la convention de procédure participative, l’article 2062 du Code Civil dispose :

« La convention de procédure participative est une convention par laquelle les parties à un différend s’engagent à œuvrer conjointement et de bonne foi à la résolution amiable de leur différend ou à la mise en état de leur litige ».

A la lecture des textes, le conciliateur et le médiateur sont tenus d’une obligation d’impartialité alors que l’avocat assiste son client dans le cadre de la convention de procédure participative.

Néanmoins dans la pratique, le rôle du conciliateur et de l’avocat semble plus actif et directif en proposant, le cas échéant, une solution aux parties alors que celui du médiateur repose sur une stricte neutralité visant à aider les parties en conflit à construire, par elles mêmes, leurs propres solutions y mettant un terme.

3/ Les limites de cette mesure.

L’extension aux troubles anormaux de voisinage de l’obligation de recourir à un mode amiable avant la saisine du juge comporte des limites communes à tout mode de règlement amiable devenu obligatoire mais aussi des limites spécifiques à certains d’entre eux.

- Les limites communes au recours obligatoire à tout mode amiable :

L’atteinte au caractère volontaire des modes amiables : la nature de tout mode de règlement amiable repose sur son caractère volontaire et au consentement libre et éclairé de chacune des parties en litige : elle est libre d’y participer et de conclure un accord ou non, de ne pas y participer sans justifier de motifs. L’obligation légale de tenter un règlement amiable et non de conclure un accord pour certains litiges avant toute saisine du juge sous peine d’irrecevabilité de la demande, contrevient à l’adhésion volontaire à tout mode amiable et à l’exigence de bonne foi des parties tout au long du process amiable.

En y intégrant un élément de contrainte, le risque est de transformer cette tentative amiable en une simple formalité sans réelle volonté de négocier, permettant au demandeur de satisfaire cette obligation pour saisir le juge compétent mais en ayant perdu du temps. La recours obligatoire à l’amiable va-t-il réellement « désengorger » les juridictions des litiges du quotidien ?

Les difficultés d’exécution de l’accord amiable : S’agissant de troubles anormaux de voisinage, se pose la question de l’efficacité de l’exécution du protocole d’accord même homologué par le juge et devenant exécutoire. L’accord amiable ne peut contenir aucune contrainte (clause pénale, astreinte, injonction) garantissant l’exécution des obligations des parties signataires sauf si elles les acceptent et le juge saisi d’une demande d’homologation de l’accord, ne peut y ajouter aucune clause notamment une astreinte financière. En cas d’inexécution par l’une des parties, l’autre devra saisir le juge, sur le fond, aux fins d’obtenir la condamnation du débiteur.

Des parties en situation d’inégalité en terme de ressources cognitives et psychologiques : Même si dans le cadre d’une conciliation ou médiation, les parties peuvent se faire assister par un avocat ou un proche, elles devront s’impliquer personnellement et directement dans la recherche d’un accord amiable. Or, chacun de nous a ses propres ressources cognitives, émotionnelles, de communication, de distance par rapport à un événement, de respect de sa vie privée et ce qui est juste ou équitable pour l’un ne le sera pas forcément pour l’autre ce qui limite l’efficacité de tout mode amiable. Or cette dimension relationnelle, émotionnelle voire parfois pathologique est particulièrement présente dans les troubles anormaux de voisinage ce qui rend difficile le dialogue entre les parties qui ne disposent pas toutes des mêmes ressources pour les exprimer, prendre du recul même accompagnées par un tiers intervenant.

Il ne faut pas non plus sous-estimer l’attachement des citoyens au recours à un juge même si une majorité d’entre eux exprime son mécontentement à l’égard du service public de la justice notamment sur les délais de jugement, le temps consacré à leur audition et l’explication de la décision ou « pédagogie de la loi ». Le recours aux modes amiables ne doit pas devenir systématique mais rester l’un des outils pour régler certains litiges.

- Les limites spécifiques à la conciliation par un conciliateur de justice :

Le conciliateur de justice est un bénévole dont les attributions n’ont cessé de s’accroître depuis sa création en 1978. L’obligation de recourir à un mode amiable pour les troubles anormaux de voisinage, va encore augmenter sa charge de travail, son accès étant gratuit mais sans contrepartie notamment en matière d’indemnisation, de moyens matériels, de formation suffisante en techniques de communication, gestion de crise et en droit, ni véritable statut alors qu’il/elle remplace de facto, les juges de proximité supprimés.

Un nouveau statut plus protecteur s’impose afin de diversifier le recrutement des candidats, d’améliorer leur formation initiale et continue et de mieux les identifier par rapport aux médiateurs en consacrant leur rôle spécifique se rapprochant plus de celui de juge de paix délégué du tribunal judiciaire que de médiateur neutre facilitateur social.

Reste à savoir, si l’obligation de recourir à un mode amiable pour les troubles anormaux de voisinage aura l’effet recherché, apaiser les troubles anormaux de voisinage mieux que le recours au juge et désencombrer les tribunaux judiciaires…

Christophe M. COURTAU, Diplômé d'études supérieures en droit de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Conciliateur de Justice près le Tribunal d'Instance de Versailles.

[1Projet de loi n° 4091 pour la confiance dans l’institution judiciaire, article 29 ter https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15t0612_texte-adopte-provisoire.pdf

[3Décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile.

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