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Droit pénal de l’urbanisme : permis de construire modificatif et construction irrégulière dans un site inscrit. Par Alexandre Chevallier, Avocat et Amélie Salcede, Etudiante.
Parution : lundi 31 mai 2021
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Dans cet arrêt du 24 septembre 2019 n°18-86.164, la chambre criminelle de la Cour de cassation apporte deux précisions.

D’une part, seules les irrégularités mentionnées par un permis de construire modificatif peuvent être régularisées. La remise en état des lieux reste susceptible d’être prononcée pour les irrégularités non mentionnées dans ledit permis modificatif.

D’autre part, l’arrêt met en avant l’obligation de remise en l’état d’un bâtiment dans un site inscrit, et ce nonobstant le droit au respect de la vie privée et familiale.

Ainsi, la Cour de cassation affirme une fois de plus la primauté de l’intérêt général sur l’intérêt privé pourtant garanti au niveau européen.

Le 26 avril 2010, deux frères se voient délivrer un permis de construire afin d’ériger chacun une villa sur un site situé à proximité de la commune d’Ajaccio.

L’apparition de quelques irrégularités du fait de travaux non-conformes au permis de construire initial marque le commencement d’une longue procédure judiciaire.

La direction Départementale des Territoires et de la Mer (DDTM) s’empare de l’affaire et demande alors leur constatation.

Par la suite, il est enjoint aux deux frères de se prémunir chacun d’un permis de construire modificatif afin de régulariser la situation. Or, l’achèvement de certains travaux ne l’a pas permis.

Ainsi, les deux frères ne pouvaient plus être exonérés d’une condamnation sur le fondement de travaux litigieux effectués en violation du permis de construire.

C’est alors que le 10 septembre 2014, un nouveau constat est effectué par procès-verbal afin de faire état de nouvelles irrégularités.

Des suites de cela, un premier jugement est rendu par le tribunal correctionnel d’Ajaccio le 18 décembre 2017 par lequel les deux prévenus ont été condamnés pénalement pour exécution de travaux non autorisés.

Un appel est interjeté. La Cour d’Appel vient confirmer le jugement rendu en première instance. Elle ordonne par ailleurs, une remise en l’état des lieux et la condamnation des protagonistes à une amende délictuelle.

Un pourvoi en cassation est formé. La Cour de cassation rejette le pourvoi en apportant deux précisions. L’une porte sur le régime du permis de construire modificatif et la portée des régularisations demandées (I), l’autre, sur le contrôle de proportionnalité entre la vie privée et familiale [1] et la démolition d’une construction irrégulière dans un site inscrit (II).

I) Les limites aux effets exonératoires d’un permis de construire modificatif tacite.

Selon l’article L600-5-1 du Code de l’urbanisme :

« […] le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé […] ».

Ainsi, cela permet au constructeur de régulariser des travaux non prévus à l’origine, sans pour autant devoir édicter un nouveau permis de construire initial. Par ailleurs, il est possible que ce permis soit tacite dès lors que l’autorité compétente n’ait fait aucune déclaration expresse de refus. Le silence de l’administration valant donc ici acceptation.

Néanmoins, la chambre criminelle émet quelques réserves sur le fait que les irrégularités puissent être régularisées par ce type de permis. En somme, il est alors dit que :

« pour écarter tout effet exonératoire du permis modificatif tacite invoqué […] les juges en concluent que rien aux pièces communiquées par les prévenus ni à celles de la procédure, n’établit que ce permis modificatif invoqué concerne bien l’ensemble des irrégularités détaillées dans la prévention ».

Par conséquent, seules les irrégularités dont la mention dans le permis modificatif a été prouvée, peuvent permettre une exonération sur le plan pénal. A défaut, la remise en l’état des lieux doit être enjointe aux constructeurs.

En outre, le moyen invoqué énonçant que : « la délivrance ultérieure d’un permis de construire modificatif tacite […] fait obstacle à une mesure de démolition ou de remise en état des lieux conformément au permis de construire initial, tant que le permis de construire modificatif tacite n’a pas été annulé » ne peut s’appliquer en l’espèce.

Par ailleurs, il est intéressant de voir que cet arrêt apporte une double précision. En effet, peu importe le fait que la défense ait invoqué le droit au respect de la vie privée et familiale. La remise en l’état d’un site inscrit prime sur cet intérêt particulier.

II) La remise en l’état d’un bâtiment dans un site inscrit : la primauté de l’intérêt général sur l’intérêt privé.

L’article L480-5 du Code de l’urbanisme énonce que :

« […] pour une infraction prévue aux articles L480-4 et L610-1, le tribunal, au vu des observations écrites ou après audition du maire ou du fonctionnaire compétent, statue […] sur la démolition des ouvrages ou la réaffectation du sol en vue du rétablissement des lieux dans leur état antérieur ».

La remise en l’état de lieux est donc une mesure visant à régulariser des travaux réalisés en violation d’un simple permis de construire ou d’un permis modificatif.

Cette mesure à caractère réel est alors mise en œuvre dans le but de faire cesser ces agissements illicites.

L’article 8 de la CESDH dispose lui que :

« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

Ici, pour rejeter le moyen invoqué par la défense qui avance que : « la cour d’appel a porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale », il est rappelé que des bâtiments litigieux : « ne sont ni régularisables ni susceptibles de demeurer en l’état », dès lors que ces derniers aient été édifiés sur site inscrit.

Prévus par l’article L631-1 du Code du patrimoine, ces sites bénéficient d’une certaine protection en raison notamment de leur caractère artistique, historique ou encore scientifique.

C’est pourquoi, certains travaux ne sont pas envisageables. Partant de ce constat, l’intérêt général représenté par la nécessaire conservation de ces sites, vient l’emporter sur le droit à la vie privée et familiale du prévenu, alors que ce dernier occupe les lieux au titre de résidence principale.

Conclusion.

Logiquement, concernant le premier point portant sur la régularisation d’une construction illégale par un permis de construire modificatif, la position de la haute juridiction concernant son étendue montre que seules les irrégularités mentionnées par ce dernier sont en mesure d’empêcher une condamnation pénale pour leur constructeur.

Concernant le second point portant sur le contrôle de proportionnalité entre une remise en état et l’article 8 de la CESDH relevant du droit au respect de la vie privée et familiale, même si une remise en état est parfois ordonnée par la juridiction malgré l’invocation de cet article en raison notamment de la mauvaise foi du prévenu [2], il est intéressant de voir que la Cour de cassation tend à contourner sa primauté dans l’hypothèse d’une construction irrégulière sur un site inscrit.

On peut tout à fait comprendre l’importance de tels sites pour le patrimoine national. Or, le fait de favoriser leur conservation à la jouissance d’un logement décent pour le prévenu pose cependant quelques questions.

L’édiction d’une telle mesure montre une sorte d’incohérence. Bien que son application nécessite une appréciation souveraine et particulièrement mesurée des juges, il n’en reste pas moins que cette mesure pourrait s’apparenter à une forme d’ingérence à l’article 8 de la CESDH, laissant ainsi dubitatif.

Amélie SALCEDE et Alexandre CHEVALLIER Equitéo Avocat [->cabinet@equiteo.fr] www.equiteoavocat.fr

[1Article 8 de la CESDH.

[2Cour de cassation, chambre criminelle, 15/05/2018, n°17-82.222.