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Les conventions d’établissement et les exonérations fiscales et douanières en Guinée. Par Albert Dione, Docteur en droit.
Parution : mercredi 2 juin 2021
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En Guinée les exonérations fiscales et douanières sont légales si elles sont prévues par des textes législatifs. Par ailleurs, les conventions d’établissement doivent être ratifiées par le parlement si elles ne sont pas prévues par des textes.

La convention d’établissement est l’un des contrats que l’on peut retrouver dans la typologie des contrats innommés. Il est aussi rare de la retrouver dans un manuel de droit que dans un cours de droit des contrats spéciaux. Cela ne nie pas pour autant son existence. Elle fait partie des vieux contrats conclus dans les ex-pays sous-développés devenus aujourd’hui des pays en développement. Ce contrat est souvent ignoré du grand public ou des profanes du droit public ou du droit fiscal. Il est conclu dans certains pays africains avant les indépendances c’est-à-dire vers les années 50. Le modèle de contrat proposé à l’époque est toujours utilisé avec un copier-coller quasi identique des clauses.

Pour rappel, un article de Jean-Claude Gautron qui date de 1968 publié dans l’Annuaire de droit international donne l’historique des conventions d’établissement au Sénégal. Selon cet auteur, (…) sous l’empire de la loi-cadre du 23 juin 1956, les autorités locales avaient été autorisées à passer des conventions avec des entreprises présentant une réelle importance pour l’économie locale.

C’est dans ce cadre, qu’une convention de longue durée fut passée le 11 juillet 1958 entre le territoire du Sénégal et la Compagnie des Phosphates de Taïba, entreprise qui exploitait la principale ressource minière du pays [1].

En 1961, le Code minier du Sénégal, puis le Code pétrolier, conféraient, dans des domaines particuliers, certains avantages fiscaux aux investisseurs. C’est presque ce même modèle que l’on retrouve dans le Code minier, le Code pétrolier et le Code des investissements de la Guinée.

Selon la définition de Jean-Claude Gautron, (…) la convention d’établissement, est la convention par laquelle sont fixées les conditions de l’activité d’une entreprise sur le territoire d’un Etat. Nous retiendrons que la convention d’établissement est un contrat accordant aux investisseurs étrangers ou locaux, des avantages fiscaux et douaniers.

Nous traiterons d’abord les aspects juridiques de la convention d’établissement dans la conclusion des contrats d’investissement, en évoquant son caractère dérogatoire au droit commun (I), et ensuite nous analyserons l’impact de la loi de Finance 2021 sur les conventions non ratifiées par l’Assemblée Nationale et sur les exonérations dépourvues de base légale (III).

I. Les aspects juridiques des conventions d’établissement et les mesures d’exonération fiscales et douanières.

Les conventions d’établissement sont à la frontière du droit privé, du droit public, du droit fiscal et du droit douanier. Elles soulèvent la problématique de l’investissement dans les pays en développement. Cependant, peu d’analyses sont consacrées à ce sujet. Ces conventions sont négociées entre les investisseurs et l’Etat. A cet effet, la Loi partenariat public privé (PPP) et le Code des investissements prévoient des avantages et exonérations fiscaux et douaniers sous certaines conditions. De même les Code minier et pétrolier accordent des exonérations fiscales et douanières aux entreprises.

Bien que les conventions d’établissement définissent les engagements fiscaux douaniers, économiques, sociaux, et environnementaux de l’investisseur, elles contiennent néanmoins des clauses dérogeant aux dispositions de droit commun.

Il ressort de cette analyse que cinq sources légales que sont le Code minier le Code pétrolier le Code des investissements le Code douanier et le Code général des impôts, mettent à l’abri les contribuables qui ont suivi les procédures d’exonération prévues par ces sources. En effet, par ces privilèges, l’Etat renonce volontairement à une partie de ses revenus fiscaux, en vue d’atteindre certains objectifs politiques économiques et sociaux.

Compte tenu du niveau d’investissement requis et des caractéristiques spécifiques des opérations industrielles, la convention d’établissement prévoit un régime fiscal dérogeant en partie au régime défini par les Lois en vigueur pendant une période dite la période stabilisée. Ce qui signifie que l’investisseur et ses contractants directs seront assujettis pendant la période stabilisée aux seuls impôts indiqués dans la convention d’établissement. Ils seront donc exonérés de tous autres impôts sans exceptions.

L’article 16 de la loi de finance de 2014, fixe les dérogations au droit commun dans les domaines fiscaux et douaniers susceptibles d’inciter les personnes physiques et morales à investir en Guinée. Et l’article 17 de la loi précitée énonce que le bénéfice des avantages prévues par ces dispositions est accordé à tout investisseur dont l’activité est conforme aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur et consolidées dans le v des investissements.

Il résulte de ce qui précède que la Loi de finance de 2014, le Code des investissements et son décret d’application ont prévu le processus d’octroi des avantages fiscaux et douaniers parmi lesquels on retrouve la convention d’établissement qui est un contrat qui permet de négocier la durée des avantages fiscaux.

Il est important de noter que tout investisseur peut bénéficier d’une exonération fiscale ou douanière lorsque la Loi le prévoit expressément et s’il en rempli les conditions. Mais, toute clause d’exonération fiscale ou douanière contenue dans un accord ou une convention conclue entre l’Etat et un investisseur est de nul effet lorsqu’elle n’est pas prévue par une loi.

C’est cette base légale qui met à l’abri le contribuable d’éventuels problèmes de redressements en cas de contrôle fiscal.

Quelles que soient les raisons qui les justifient, les avantages fiscaux que l’Etat accorde à certains contribuables, ou dont bénéficient certains secteurs d’activités ou opérations particulières, dérogent au principe général de l’égalité de tous devant l’impôt. Il est donc nécessaire de rendre publiques les conditions de leur octroi, de les justifier par les sources légales et d’évaluer leur impact sur le budget, en termes de manques à gagner pour le Trésor Public.

Aucune disposition légale n’apportait une précision sur la définition de la convention d’établissement mentionné notamment à l’article 33 du Code des investissement, mais aussi sur la procédure d’agrément et de ratification par le parlement. Cette précision est désormais prévue par la loi de Finance 2021.

II. Les conventions d’établissement non ratifiées par le Parlement : l’analyse de la Loi de Finance 2021 ?

En Guinée l’État accorde beaucoup d’exonérations fiscales et douanières, il signe aussi plusieurs conventions d’établissement. Toutefois, selon les termes du gouvernement, certains avantages fiscaux ne sont pas ratifiés par le parlement et d’autre sont accordés sans base légale. Nous verrons le rôle du parlement dans la fiscalité avant d’aborder les conséquences de la loi de finance 2021 annulant les avantages fiscaux dépourvus de bases légales.

Le rôle du parlement et des textes législatifs sur la fiscalité.
À la lecture de l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, il apparaît que les « citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, […] d’en suivre l’emploi ». S’il est un domaine qui reste finalement quelque peu méconnu, c’est le contrôle du Parlement sur l’impôt.

Le parlement est au cœur de l’adoption de la loi fiscale. La loi fixe les règles concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures. L’essentiel de la législation fiscale se trouve dans des lois de finances et partiellement dans des lois ordinaires. Vue le caractère économique de l’impôt, les parlementaires sont amenés à voter chaque année des dispositions fiscales nombreuses et complexes. En Guinée, L’essentiel de la législation concernant les impôts est présentement contenu dans des lois de finances.
Toutefois, pour des raisons de développement économique, l’Etat est obligé sous le contrôle du parlement, d’accorder des exonérations fiscales aux entreprise.

L’alinéa 2 de l’article 33 du Code des investissements mentionne que les investissements majeurs peuvent faire l’objet d’une Convention d’Etablissement, auquel cas, un traitement particulier pourrait être consenti en matière de fiscalité au profit de l’investisseur bénéficiaire durant une période négociée.

Cette durée négociée peut être prorogée. Le gouvernement est autorisé par la Loi de finance de 2014 à proroger de 8 à 10 ans la durée du régime dérogatoire . De ce point de vue, il prolonge en même temps le contrat de convention d’établissement. Si la Loi permet au gouvernement de prendre de telle mesure, cela signifie que la convention d’établissement dont il est question à l’alinéa 2 de l’article précité n’est pas soumis à une ratification par le Parlement mais à un agrément du Ministre en charge de la Promotion du secteur privé. Le parlement à déjà voté la base légale ; le Ministre ne fait qu’appliquer une disposition légale.

Toutefois, si aucune base légale ne permettait de soutenir que les conventions d’établissement en Guinée n’étaient pas soumises à la ratification du Parlement. Il en est autrement dans la pratique. Le silence de la loi est rompu par la pratique. En effet, l’Assemblée Nationale a voté, la loi n°/2016/007/AN du 18 janvier 2016 autorisant la ratification de la Convention d’établissement d’une raffinerie de pétrole à Kamsar. Elle a aussi procédé en juin 2019 au vote d’une loi relative à la Convention d’Etablissement entre la République de Guinée et la société Beverage Market Incorporated pour la construction d’une usine de production de boissons alcoolisées et non alcoolisées ; la société bénéficiera d’avantages fiscaux pendant 10 ans.

Malgré l’absence de dispositions expresses, en pratique, la plupart des contrats de concession qui contiennent des conventions d’établissement sont ratifiées par le parlement. D’un autre côté, les conventions d’établissement régies par le Code des investissements n’ont pas besoin d’être ratifiées par le parlement. Elles sont accordées par le Ministre en charge de la Promotion du Secteur privé, qui délivre un certificat d’exonération.

Dès lors, en l’absence de disposition expresse sur la question de la ratification de la convention d’établissement, nous pouvons confirmer que les investisseurs qui remplissent les conditions énumérées à l’article 33 du Code des investissements n’étaient pas obligés de faire ratifier leur convention d’établissement par le Parlement. L’absence de norme sur la procédure de ratification rendait la procédure de ratification inapplicable puisqu’elle n’existait pas.

Ce point de vue est conforté par l’article 5 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui dispose que tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. Ce principe est intégré dans le préambule de la Constitution de la Guinée.

Mais, le principe de la légalité fiscale est un principe constitutionnel intangible, comme le rappelle Michel Bouvier  [2].

Il revient alors au législateur de déterminer les facultés contributives des contribuables en basant son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il propose d’atteindre afin d’éviter « une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques ».

Ainsi, en application de la Constitution, les conventions qui « engagent les finances de l’État » doivent faire l’objet d’une ratification législative s’ils ne sont pas prévus par des textes législatifs.

L’adoption de la Loi de Finance 2021.

L’adoption de la Loi de Finance 2021 et notamment l’article 16 alinéa 3 qui dispose que les exonérations fiscales et douanières accordées aux contribuables sans fondement légal ou conventionnel doivent être annulées par arrêté du Ministre du Budget, tombe à pic pour écarter le doute sur la ratification des conventions d’établissement. Cela a pour fondement la rationalisation des exonérations fiscales tel que présentée par le Ministre du Budget lors de son allocution devant l’assemblée nationale pour l’adoption de la loi de finance 2021. Ce qui confirme que l’État a accordé des avantages fiscaux sans fondement légale et tente de corriger ce laxisme.

Mais, l’article doit être interprété dans son ensemble pour en comprendre les effets sur les conventions antérieures non ratifiées ou dépourvues de base légales. Comme nous l’avons souligné un peu plus haut, le Code des investissements, et les conventions minières ont prévu des avantages fiscaux et douaniers. Par conséquent toutes exonérations accordées sur le fondement de ces textes et aux conditions définies par ces textes devraient être considérées comme conforme aux dispositions de l’alinéa 1 de l’article 16 de la loi de finance 2021.

En effet l’alinéa premier de l’article précité énonce que les exonérations fiscales et douanières accordées aux contribuables doivent être préalablement prévues par une loi ou par une convention dûment ratifiée par l’assemblée Nationale. Nous constatons que cet article a créé une obligation de ratification des conventions d’établissement qui ne sont pas prévues par une loi notamment la loi de finance ou contenue dans un code.

La remarque est que, le Code des investissements, le Code minier, le Code pétrolier constituent des lois ratifiées par le parlement. Par conséquent, et par application de cet alinéa premier, toutes les conventions d’établissement ou exonérations accordées en application de ces textes restent valables. C’est-à-dire, les certificats accordés par le Ministre d’Etat, Ministre de l’Economie et des Finances ou encore par le Ministre en charge de la Promotion du Secteur privé restent valables.

Quels sont les contribuables que cette Loi de Finance devrait inquiéter ? Il s’agit à notre avis des contribuables, à qui on a accordé des avantages fiscaux et douaniers sans aucune base légale. Tous les autres pourront se prévaloir du Code des investissements, du Code minier ou encore du Code pétrolier. Que risque ces contribuables ? Ils risquent l’annulation de l’exonération fiscale et douanière conformément à l’alinéa 3 de l’article 16.

Mais, le silence de la loi de finance 2021 sur un éventuel redressement fiscal et douanier pourrait se justifier. Nous ne pensons pas que l’annulation prévue dans la loi de finance 2021 puisse avoir des effets rétroactifs de redressement fiscal. En effet, les sanctions pénales dans un Etat de droit doivent être prévues par une loi. Or le redressement fiscal est une sanction qui ne peut être appliquée que sur le fondement d’une loi et la loi précitée ne prévoit pas pour le moment un redressement fiscal.

Si la loi le prévoit à l’avenir, il faudrait, pour lancer une procédure de redressement, imputer à ces contribuables une infraction fiscale ou douanière. L’infraction sera difficile à établir, Si le contribuable a agi de bonne foi et si l’administration douanière ou fiscale était informée et qu’elles ont délivré des certificats d’exonération. Appliquer un redressement reviendrait à remettre en cause le principe des droits acquis.

D’un autre côté, nul ne pouvant se prévaloir de sa propre turpitude, le gouvernement ne saurait soulever une irrégularité de ces conventions dans la mesure où c’est l’Etat même qui les a signés selon le communiqué du ministre du Budget. Par conséquent, l’article 16 ne devrait avoir d’effet que pour l’avenir.

Compte tenu de ce qui précède le gouvernement a choisi, sans pour autant le dire expressément, de renégocier ces conventions. En effet, il appelle les entreprises concernées par l’article 16 à déposer les justificatifs de leurs exonérations fiscales ou douanières pour une étude de conformité. Nous pouvons en déduire que les contribuables peuvent saisir cette occasion pour renégocier leur convention d’établissement et par conséquent les régulariser. Au lieu d’intenter des actions en justice qui risquent de durer une éternité.

Albert Dione Docteur en droit Avocat au Barreau de Paris

[1Jean-Claude Gautron, les conventions d’établissement signée par le Sénégal avec des entreprises, Annuaire de droit international, 1968/14/pp 654-670.

[2Michel Bouvier, Introduction au droit fiscal général et à la théorie de l’impôt, 12e éd., Paris, LGDJ-Lextenso, 2014, p. 57.