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Viols sur mineurs : ce que change la loi du 21 avril 2021. Par Avi Bitton, Avocat et Clémence Ferrand, Juriste.
Parution : lundi 31 mai 2021
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La loi du 21 avril 2021 a modifié la définition du viol sur mineur et de l’inceste, ainsi que les délais de prescription pour réprimer ces crimes.

La loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste a créé de nouvelles règles concernant les infractions suivantes :

- Les crimes de viol sur mineur de moins de 15 ans [1] et de viol incestueux sur mineur [2] ;

- Les délits d’agression sexuelle sur mineur de moins de 15 ans [3] et d’agression sexuelle incestueuse sur mineur [4] ;
- Le délit dit de « sextorsion », qui réprime le fait pour un majeur d’inciter un mineur à se livrer à des pratiques sexuelles sur Internet, qui est aggravé lorsque les faits ont été commis en bande organisée [5].

Quels sont les apports de cette loi en termes de crimes de viols sur mineurs ?

1. L’élargissement de la définition du viol et l’extension de la qualification d’inceste.

1.1. L’élargissement de la définition du viol.

Initialement, le viol était défini à l’article 222-23 du Code pénal comme : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ». Cette définition, assez restreinte, ne permettait pas d’appréhender certains cas de figure [6] puisque seuls étaient visés les actes de pénétration sexuelle commis sur la personne d’autrui.

En conséquence, la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite loi « Schiappa », a étendu et clarifié la définition du viol en précisant que l’acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, pouvait être « commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur », permettant ainsi de faire tomber sous la qualification de viol le fait, pour une femme, d’imposer un rapport sexuel à un homme par pénétration vaginale pénienne (ou digitale), mais également le fait, pour l’auteur, de pratiquer une fellation non consentie à la victime.

Aux termes des modifications apportées par la loi du 21 avril 2021, le viol est désormais défini comme : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». La notion de viol est ainsi de nouveau élargie puisque les actes bucco-génitaux commis sur la personne d’autrui (homme ou femme) ou de l’auteur (homme ou femme) sont dorénavant clairement inclus dans sa définition.

1.2. L’extension de la qualification d’inceste.

Avant l’entrée en vigueur de la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, l’inceste était envisagé dans un paragraphe 3 du Code pénal intitulé « De l’inceste ». L’article 222-31-1 du Code pénal disposait :

« Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis par :
1° Un ascendant ;
2° Un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce ;
3° Le conjoint, le concubin d’une des personnes mentionnées aux 1° et 2° ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l’une des personnes mentionnées aux mêmes 1° et 2°, s’il a sur la victime une autorité de droit ou de fait
 ».

La loi du 21 avril 2021 élargit le champ d’application de la qualification d’inceste puisque le nouvel article 222-22-3 du Code pénal vise désormais les grands-oncles et les grands-tantes. Un viol commis par le grand-oncle ou la grand-tante de la victime sera donc qualifié d’incestueux.

La loi du 21 avril 2021 n’apporte pas de précision quant à son application dans le temps. Toutefois, compte-tenu des règles générales d’application de la loi pénale dans le temps, il semble qu’il faille appliquer le principe de non-rétroactivité de la loi pénale de fond plus sévère [7] puisque l’élargissement de la définition du viol et l’extension de la qualification d’inceste sont des dispositions de fond plus sévères, qui tendent à élargir le champ d’incrimination des crimes de viols. Autrement dit, ces nouvelles dispositions ne devraient s’appliquer que pour l’avenir, à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi du 21 avril 2021.

2. La nouvelle définition du viol sur mineur.

Avant l’entrée en vigueur de la loi du 21 avril 2021, le crime de viol sur majeur ou sur mineur était caractérisé par tout acte de pénétration sexuelle commis sur la personne d’autrui ou de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise, c’est-à-dire sans le consentement de la victime.

Dans tous les cas, il était obligatoire de caractériser un moyen coercitif - la violence, la contrainte, la menace ou la surprise - avec lequel l’acte de pénétration sexuelle intervenait, afin de démontrer le caractère imposé de l’acte.

En sus de ce cas général de viol de l’article 222-23 du Code pénal, qui perdure, la loi du 21 avril 2021 a créé deux nouveaux crimes de viols sur mineurs, dont les éléments constitutifs diffèrent de ceux évoqués ci-dessus, afin de protéger au mieux les mineurs des infractions sexuelles les plus graves.

Au regard des règles générales d’application de la loi pénale dans le temps, il semble que s’applique là aussi le principe de non-rétroactivité de la loi pénale de fond plus sévère [8] puisque la création de nouvelles infractions correspond à une disposition de fond plus sévère. Autrement dit, ces nouveaux articles ne devraient être applicables que pour l’avenir, à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi du 21 avril 2021.

2.1. Le crime de viol sur mineur de moins de 15 ans [9].

Le nouvel article 222-23-1 du Code pénal dispose :

« Hors le cas prévu à l’article 222-23, constitue également un viol tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur de quinze ans ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque la différence d’âge entre le majeur et le mineur est d’au moins cinq ans.
La condition de différence d’âge prévue au premier alinéa du présent article n’est pas applicable si les faits sont commis en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage
 ».

Cet article instaure un seuil de non-consentement pour tout acte de pénétration sexuelle ou tout acte bucco-génital intervenant entre un mineur âgé de moins de 15 ans et un majeur, dès lors que ceux-ci ont au moins 5 ans d’écart.

Dans ce cas de figure, l’absence de consentement de la victime mineure (par l’emploi d’un moyen coercitif, à savoir la violence, la contrainte, la menace ou la surprise) n’a donc plus à être caractérisée et établie par les juges. Au titre de l’élément matériel de l’infraction, les juges devront toutefois démontrer l’existence d’un acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou d’un acte bucco-génital commis sur la personne du mineur ou de l’auteur.

Ainsi, tombe par exemple sous la qualification du crime de viol du nouvel article 222-23-1 du Code pénal tout acte de pénétration sexuelle ou tout acte bucco-génital intervenant entre un mineur âgé de 14 ans et un majeur âgé de 19 ans ou plus, ou entre un mineur âgé de 13 ans et un majeur âgé de 18 ans ou plus.

La loi du 21 avril 2021 instaure une clause dite « Roméo et Juliette », afin de ne pas réprimer les relations sexuelles lorsque le majeur et le mineur ont moins de 5 ans d’écart.

Ainsi, par exemple, les actes de pénétration sexuelle ou bucco-génitaux intervenant entre un mineur âgé de 14 ans et un majeur âgé de 18 ans ne pourront être qualifiés de viol, puisque leur différence d’âge est inférieure à 5 ans. Toutefois, cette clause ne s’applique pas en cas d’inceste, de non-consentement de la victime et de prostitution.

2.2. Le crime de viol incestueux sur mineur [10].

Le nouvel article 222-23-2 du Code pénal dispose :

« Hors le cas prévu à l’article 222-23, constitue un viol incestueux tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque le majeur est un ascendant ou toute autre personne mentionnée à l’article 222-22-3 ayant sur le mineur une autorité de droit ou de fait ».

Cet article instaure un seuil de non-consentement pour tout acte de pénétration sexuelle ou tout acte bucco-génital intervenant entre un mineur, quel que soit son âge, et un majeur qui est un ascendant ou une personne mentionnée à l’article 222-22-3 du Code pénal ayant une autorité de droit ou de fait [11].

Les juges n’auront pas, là encore, à caractériser et établir l’absence de consentement de la victime mineure mais devront démontrer, au titre de l’élément matériel de l’infraction, l’existence d’un acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou d’un acte bucco-génital commis sur la personne du mineur ou de l’auteur.

Tombera par exemple sous la qualification de crime de viol incestueux sur mineur tout acte de pénétration sexuelle ou bucco-génital survenant entre un mineur et l’un de ses parents ou grands-parents, ou encore entre un mineur et son frère, sa tante ou son grand-oncle ayant une autorité de droit ou de fait.

Ce nouveau crime, comme celui évoqué ci-dessus, est puni de 20 ans de réclusion criminelle.

3. L’instauration d’un délai de prescription de l’action publique « prolongé » en matière de viols sur mineur.

Le délai de prescription des crimes sexuels sur mineur, instauré par la loi dite « Schiappa » du 3 août 2018, reste de 30 ans à compter de la majorité de la victime - contre 20 ans à compter de la commission de l’infraction s’agissant du viol sur majeur [12].

Toutefois, en vue de réprimer plus efficacement les crimes et/ou délits sexuels en série, la loi du 21 avril 2021 introduit un mécanisme de prescription dite « glissante » ou « en cascade » [13], qui précise désormais, s’agissant des viols sur mineur :

« […] toutefois, s’il s’agit d’un viol, en cas de commission sur un autre mineur par la même personne, avant l’expiration de ce délai, d’un nouveau viol, d’une agression sexuelle ou d’une atteinte sexuelle, le délai de prescription de ce viol est prolongé, le cas échéant, jusqu’à la date de prescription de la nouvelle infraction ».

En matière de crimes sexuels sur mineur, le délai de prescription de 30 années à compter de la majorité de la victime peut ainsi être prolongé. Pour cela, l’auteur du viol sur mineur doit violer, agresser sexuellement ou commettre une atteinte sexuelle sur un autre mineur, autrement dit commettre une nouvelle infraction sexuelle, avant l’expiration du délai de prescription initial de 30 années à compter de la majorité de la première victime. Le délai de prescription du crime de viol initial sera alors prolongé, si besoin jusqu’à la date de prescription de la nouvelle infraction commise.

A travers ce dispositif, une autre chance est donnée à la première victime de faits de viol en ce qu’elle a la possibilité de se joindre à l’action publique engagée par la seconde victime de faits de viol, d’agression sexuelle ou d’atteinte sexuelle.

La loi du 21 avril 2021 instaure un mécanisme similaire en matière d’actes interruptifs de prescription, en ajoutant un nouvel alinéa à l’article 9-2 du Code de procédure pénale, selon lequel :

« Le délai de prescription d’un viol, d’une agression sexuelle ou d’une atteinte sexuelle commis sur un mineur est interrompu par l’un des actes ou l’une des décisions mentionnés aux 1° à 4° intervenus dans une procédure dans laquelle est reprochée à la même personne une de ces mêmes infractions commises sur un autre mineur ».

Cela signifie que les actes interruptifs de prescription, énumérés à l’alinéa 1er de l’article 9-2 [14], interrompent la prescription non seulement dans l’affaire considérée, mais également dans les autres affaires d’infractions sexuelles [15] reprochées à l’auteur du viol initial, faisant alors courir, à compter de la date de l’acte interruptif, un nouveau délai de prescription de même durée que l’ancien.

Tel sera par exemple le cas, en cas de viol, d’agression sexuelle ou d’atteinte sexuelle commis sur une nouvelle victime mineure, si celle-ci dépose plainte ou encore si une enquête préliminaire ou une information judiciaire est ouverte.

Les lois relatives à la prescription de l’action publique étant d’application immédiate [16], ces nouveaux mécanismes sont immédiatement applicables à la répression des infractions commises avant l’entrée en vigueur de la loi du 21 avril 2021, dès lors que leur prescription n’est pas acquise au jour de l’entrée en vigueur de ladite loi.

Avi Bitton, Avocat, et Clémence Ferrand, Juriste Courriel: [->avocat@avibitton.com] Site: [->https://www.avibitton.com]

[1Nouvel article 222-23-1 du Code pénal.

[2De moins de 18 ans, nouvel article 222-23-2 du Code pénal.

[3Nouvel article 222-29-2 du Code pénal.

[4De moins de 18 ans, nouvel article 222-29-3 du Code pénal.

[5Nouvel article 227-22-2 du Code pénal.

[6Notamment l’hypothèse d’un rapport sexuel vaginal qu’une femme imposerait à un homme et l’hypothèse d’une fellation forcée que l’auteur pratiquerait à la victime.

[7Article 112-1 du Code pénal.

[8Article 112-1 du Code pénal.

[9Article 222-23-1 du Code pénal.

[10Article 222-23-2 du Code pénal.

[11Frère, sœur, oncle, tante, grand-oncle, grand-tante, neveu, nièce de la victime, ou conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité à un ascendant de la victime ou à l’une des personnes mentionnée ci-avant.

[12Article 7 du Code de procédure pénale.

[13Article 7 du Code de procédure pénale.

[14Actes émanant du ministère public ou de la partie civile tendant à la mise en mouvement de l’action publique, actes d’enquête émanant du ministère public, procès-verbaux dressés par un officier de police judiciaire ou un agent habilité, actes d’instruction, jugements ou arrêts même non définitifs.

[15Viol, agression sexuelle ou atteinte sexuelle sur une autre victime mineure.

[16Article 112-2 4° du Code pénal.

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