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Une semaine pour découvrir le Conseil d’Etat, Jour 1 : Sa présidence.
Parution : lundi 7 juin 2021
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Le Conseil d’État porte-t-il bien son nom ? Oui, il est le conseiller du Gouvernement, et examine à ce titre notamment les projets de loi et d’ordonnance, avant que ceux-ci ne soient soumis au Conseil des ministres.
Mais le Conseil d’État est également une juridiction, le juge administratif "suprême" des contentieux - pour faire simple - liés à l’action publique.
Son nom est donc trompeur. Son image aussi, celle d’une institution distante des citoyens, recluse au Palais Royal. Et pourtant, il est évoqué quasi quotidiennement dans l’actualité. Les nombreux textes liés à l’état d’urgence sanitaire ont permis de rappeler que le Conseil d’État est sans doute avant tout le gardien de nos libertés.
Le Village de la Justice avait très envie d’aller à la rencontre de cette juridiction à la dualité complexe, en interviewant celui qui en assure la présidence, Bruno Lasserre. Une interview en plusieurs épisodes pour découvrir pas à pas le Conseil d’État.

« Bruno Lasserre, concrètement, en quoi consiste le fait de présider le Conseil d’Etat ? »

Bruno Lasserre, Vice-Président du Conseil d’État.

"Le vice-président occupe une position très particulière au sein du Conseil d’Etat et ses fonctions sont multiples. (N.D.L.R : "Vice-président" est l’appellation consacrée du Président du Conseil d’Etat [1]).

Il exerce bien sûr des fonctions au titre de ce qu’on peut appeler le « cœur de métier » du Conseil d’Etat, c’est-à-dire ses missions consultative et juridictionnelle.

C’est ainsi lui qui préside l’Assemblée générale, qui se réunit presque chaque semaine pour examiner les projets de texte les plus importants ou ceux qui posent des difficultés particulières. Ces projets sont dans un premier temps instruits par les sections administratives. Si elles estiment que l’un d’eux justifie un passage en Assemblée générale, elles en discutent avec le vice-président qui prend ou non la décision de la convoquer. A noter qu’en tant que président de l’Assemblée générale, le vice-président oriente les débats, mais sa voix ne pèse pas plus que celles de chacune et chacun de ses autres membres. C’est l’expression du principe de collégialité qui irrigue les travaux du Conseil d’Etat. Le vice-président n’est jamais qu’un primus inter pares [2] lorsqu’il délibère avec ses pairs.

Il occupe une position similaire lorsqu’il préside l’Assemblée du contentieux, qui se réunit moins fréquemment que l’Assemblée générale. Les chambres réalisent leur travail d’instruction et le président de la section du contentieux propose le cas échéant au vice-président de soumettre une affaire à l’Assemblée. Je peux dire que les Assemblées du contentieux marquent toujours un temps fort dans l’agenda du vice-président, car elles constituent les seuls moments où il participe directement à l’activité juridictionnelle du Conseil d’Etat.

Mais le vice-président exerce aussi des fonctions « exécutives », souvent moins connues que les précédentes et pour lesquelles il s’appuie sur le secrétariat général, avec qui il est en contact constant.

Il préside le bureau du Conseil d’Etat, constitué de tous les présidents de section, qui est chargé de définir les orientations stratégiques de la maison ainsi que, par exemple, de donner son avis sur les nominations les plus importantes en interne.

Le vice-président s’occupe par ailleurs de la gestion de la juridiction administrative. C’est une particularité de notre ordre de juridiction que le Conseil d’État gère directement et de manière autonome l’ensemble de la juridiction, qu’il s’agisse de la carrière des magistrats administratifs ou de l’équipement et de l’immobilier des juridictions du fond.

C’est mon prédécesseur, Marceau Long, qui avait obtenu cette autonomie de gestion lorsque les cours administratives d’appel ont été créées en 1987 et c’est un acquis essentiel pour l’unité de notre ordre de juridiction. Le vice-président négocie ainsi chaque année le budget de la juridiction avec le ministère des Finances, préside le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel et signe toutes les décisions importantes qui se rapportent à ces juridictions. J’accorde la plus grande importance à cette fonction qui m’amène également à sillonner la France chaque mois pour rencontrer les magistrats et les agents d’un tribunal ou d’une cour.

Enfin, le vice-président exerce des fonctions de représentation : il est la voix du Conseil d’État auprès de ses interlocuteurs extérieurs. Il propose et négocie avec le gouvernement les réformes touchant à notre ordre de juridiction. Il contribue à faire connaître le Conseil d’État et à expliquer ce qu’il fait auprès du grand public, par sa communication dans les médias généralistes, mais aussi auprès de la doctrine par ses interventions dans des colloques et ses publications dans des revues et ouvrages juridiques.

Vous voyez que présider le Conseil d’État est un exercice complet qui requiert à la fois des compétences juridiques, stratégiques et managériales. "

(Crédit photos : Conseil d’État)

Retrouvez les autres épisodes dans les articles liés, en haut à gauche du chapeau de l’article sous le guide de lecture !

Interview de Bruno Lasserre, Vice-président du Conseil d’État, par Nathalie Hantz, Rédaction du Village de la Justice.

[1C’est le lointain souvenir de l’époque où le Conseil d’État était effectivement présidé par le chef de l’État ou par une autorité politique. Source : Site du Conseil d’Etat.

[2La locution latine primus inter pares désigne une personne qui préside une assemblée sans avoir de pouvoirs propres.