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La Liberté d’expression sur Internet pour les citoyens en Afrique. Par Désiré Allechi, Juriste.
Parution : mardi 8 juin 2021
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La liberté d’expression est de plus en plus bafouée malgré l’existence d’Internet. La récente décision du gouvernement nigérian de suspendre Twitter pour une durée indéterminée est la preuve de la prééminence des intérêts personnels et égaux sur les droits des citoyens en Afrique.

La nature humaine a horreur de l’oppression et de l’asservissement. Pour ce faire, l’un des moyens pour s’affirmer est l’expression de sa volonté à travers la langue ou l’écriture. Pour paraphraser les propos de Blaise Pascal « penser fait la grandeur de l’homme » extraits de son œuvre philosophique Pensées, l’on pourrait dire dans cette époque moderne que : « pouvoir s’exprimer en dehors de toutes contraintes fait la grandeur de l’homme ».

S’exprimer librement est un pouvoir considérable accordé à l’individu. D’ailleurs dans nos sociétés africaines hiérarchisées et organisées, pouvoir s’exprimer est quelque chose de sacré car l’usage de la parole en public est en principe fortement structuré.

En effet, dans les sociétés africaines où les us et coutumes n’ont pas encore connu le modernisme, il n’est pas permis à tout individu de pouvoir s’exprimer en présence des aînés.

Cela dit, peu importent les idées que vous souhaitez développer, vous n’avez pas le droit de vous exprimer en présence de vos aînés tant qu’ils n’ont pas encore donné leur autorisation et ce même si vos velléités d’idées sont excellentes. Dans certaines coutumes par exemple, et cela toujours en Afrique, les femmes n’ont pas droit à la parole. Elles sont donc reléguées au second plan non pas parce qu’elles ne constituent pas des êtres humains, mais parce que la société est organisée suivant une certaine logique.

Les considérations ci-dessus exposées concernant l’organisation des sociétés africaines semblent révolues du fait du modernisme d’une part, mais aussi du fait de l’intervention du législateur pour tenter de réguler les droits reconnus aux individus (homme et femme). Ainsi, faut-il mentionner qu’en vertu de l’article 1er de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, ONU de 1948 : 

« tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».

Cette disposition de ce texte connu de tous remet les pendules à l’heure en consacrant juridiquement l’égalité et la liberté des individus indépendamment de leur sexe (homme ou femme, âgé ou moins âgé).

Toutefois, l’aspect que nous voulons mettre en évidence ou disons sur lequel nous souhaitons quelque peu nous appesantir est la question de la liberté, plus précisément la liberté d’expression. Bien que la disposition précitée fasse intervenir le terme « libre », c’est l’article 19 de ladite Déclaration qui mentionne véritablement la question de la liberté. Il ressort donc de ce texte que : 

« tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».

Cette disposition propose un contenu assez large de la liberté d’expression qui à elle seule serait source de désordre dans la mesure où chaque individu pourrait faire tout ce qu’il veut quand il en a envie au seul nom de sa liberté d’expression.

C’est donc pour éviter cela que les législateurs dans chaque Etat ont trouvé des garde-fous pour empêcher tout abus. Ainsi, la liberté d’expression constituerait le fait de faire tout ce qui ne porte pas atteinte aux droits des autres. Dans le meilleur des mondes (c’est-à-dire avant l’avènement l’internet), la régulation de la liberté d’expression aurait quelque peu été moins ardue.

Toutefois, avec le développement des Technologies de l’Information et de la Communication et particulièrement d’internet, l’on assiste à des scènes incroyables sur les réseaux sociaux.

En effet, dans certains Etats en Europe comme en Afrique, l’on constate des actes illégaux qui deviennent des normes dans ce 21ème siècle.

Nous souhaitons donc pointer du doigt ici les actes de certains gouvernants de pays dits démocratiques en Afrique. C’est également le lieu de préciser que notre référence fréquente à l’Afrique dans nos propos ne devrait aucunement être interprétée comme l’endroit où tous les actes néfastes sont commis car il en existe aussi ailleurs (en Occident).

L’Afrique est donc le théâtre de certains actes manifestement anormaux et illégaux de la part de nos dirigeants. Dans un continent ayant assez de difficultés pour ne serait-ce qu’accéder à l’internet, les droits des internautes sont encore bafoués.

Pour privilégier leurs intérêts, des coupures de connexion à internet sont organisées de concert avec les opérateurs de téléphonie mobile, lesquels sont des pourfendeurs de la bonne gouvernance et du respect des droits des citoyens. Des méthodes sont mises en place pour porter atteinte à la liberté d’expression et ce à travers des restrictions de l’accès à internet se matérialisant par la limitation des avantages accordés aux citoyens. En effet, l’Autorité de Régulation des Télécommunications en Côte d’Ivoire (ARTCI) a par une décision [1] entrée en vigueur le 1er janvier 2021 limité les avantages accordés aux internautes sur le territoire ivoirien avec des motifs à la limite inconcevables ou qui frisent le ridicule. Sachant que l’Internet est aujourd’hui le moyen privilégié pour s’exprimer, une telle décision loin d’aller dans l’intérêt des consommateurs, porte atteinte à leurs droits.

Bien que l’usage de l’internet par les citoyens ne soit pas exempt de reproches dans la mesure où les dérives au nom de la liberté d’expression se constatent incessamment, cela n’est en rien une raison pour restreindre l’accès à internet qui d’après les propos de Maitre Assoko Héraclès Mayé est : « un droit de l’homme moderne, une commodité essentielle ».

En vertu de ces propos, le régulateur, les opérateurs mais aussi et surtout l’Etat devraient mettre en place une synergie pour faire prévaloir les droits des citoyens. Malheureusement, l’idée que nous soutenons à savoir celle de favoriser l’accès à l’internet pour permettre la liberté d’expression des citoyens contraste avec la décision prise par le gouvernement Nigérien suite à la suppression du tweet du Président Nigérian. En effet, le réseau social a supprimé le tweet du Président Muhammadu Buhari qui menaçait les responsables des violences actuelles dans le Sud-Est du Nigéria sur Twitter.

En guise de représailles, le gouvernement nigérian a annoncé la suspension du réseau social dans le pays pour une durée indéterminée [2]. Cette décision du gouvernement nigérian est le fruit ou la manifestation du syndrome d’hubris.

L’hubris c’est une ambition personnelle trop forte, une soif de pouvoir inextinguible, mais aussi le vertige que provoque le succès que l’on rencontre dans la recherche du pouvoir [3].

Pour aller dans le même sens le chercheur Ian Robertson pouvait dire : « le pouvoir absolu inonde le cerveau de dopamine. Il crée aussi une addiction ». Ce que nous souhaitons mettre en évidence ici relativement à notre sujet qui traite de la liberté d’expression, c’est le fait que tous les individus étant égaux devant la loi indépendamment de leurs fonctions (Président ou élève…), sont tous des citoyens au même titre et sans distinction.

Il est inconcevable que la liberté d’expression d’un président qui enfreint les CGU d’un réseau social ait pour conséquence la suspension dudit réseau dans un pays ce qui contribue à brimer la liberté d’expression des autres citoyens. Loin d’être un acte simple, cette suspension porte atteinte à l’activité économique des citoyens ayant choisi ce réseau comme canal pour leurs activités. La liberté d’expression n’a pas été définie sous un angle pour le Président et sous un autre pour les administrés, par conséquent il est plus que temps que cette manière de penser cesse car il existe bel et bien des limites à la liberté d’expression.

Somme toute il convient de dire que des décisions peuvent être prises avec une portée assez générale lorsqu’elles ne sont pas personnelles. C’est-à-dire que nous adhérons à l’idée selon laquelle une décision puisse être prise par un dirigeant lorsque les droits de ses administrés sont bafoués.

D’ailleurs c’est qui est logique car les dirigeants ou gouvernants sont les garants de l’ordre et du respect du droit de leurs citoyens à l’intérieur et à l’extérieur de leur pays tant sur le plan physique que sur le plan du numérique (souveraineté numérique).

Mais il est inadmissible que soient trouvées des excuses inintelligentes pour brimer les droits des citoyens et ainsi préserver les intérêts personnels et démesurés des gouvernants surtout dans ce monde moderne. En d’autres termes, nous désirons ardemment que la liberté d’expression cesse d’être considérée comme la conformité ou l’alignement à la volonté des dirigeants.

Elle doit être analysée ou appréciée au regard de la définition à elle donnée par le législateur.

Désiré ALLECHI, Juriste Spécialiste du Droit des TIC

[1N°2020-0599 du 9 septembre 2020, portant encadrement du marché de détail de la téléphonie mobile.

[2H. B. avec AFP, Nigeria : le gouvernement annonce suspendre Twitter « pour une durée indéterminée », consulté en ligne sur https://m.20minutes.fr/amp/a/3054963?utm_term=Autofeed&xtref=twitter.com&utm_medium=Social&utm_source=Twitter&_twitter_impression=true le 05/06/2021 à 11h30

[3Leaticia vitaud, « soif de pouvoir, égo démesuré…souffrez-vous du syndrome d’Hubris ? », consulté en ligne sur https://www.welcometothejungle.com/fr/articles/syndrome-hubris-consequences-rh-biais le 05/06/2021 à 11h41